2022
Parasha Ki Tissa : beauté et sainteté
Nous lisons dans le Décalogue: « Tu ne feras pour toi ni sculpture ni toute image de ce qui est dans les ciels en haut, sur la terre en bas, et dans les eaux sous terre. » [Ex. 20 :4] Mais pendant que la Transcendance communique à Moshé ces lois, les Israélites construisent le veau d’or. Généralement cet objet est considéré comme idolâtre car il est perçu comme objet de culte et d’adoration. Mais l’impulsion qui anime les Juifs n’est probablement pas d’ordre cultuel et religieux uniquement. Il y a aussi un désir de beauté. Les Israélites viennent de sortir d’Égypte, lieu où la beauté artistique est recherchée et soignée. Aujourd’hui encore, les ornithologues peuvent savoir quels types d’oiseaux il y avait en Égypte à l’époque, grâce à la qualité artistique des détails de leurs représentations. Les Juifs, peut-être inspirés par la beauté des paysages désertiques, veulent eux aussi pouvoir créer quelque chose d’artistique. Mais nous savons que la beauté peut parfois comporter des risques.
Matthew Arnold, poète et écrivain britannique du XIXe siècle, a écrit que les Grecs adoraient la sainteté de la beauté, les Juifs recherchaient la beauté de la sainteté. C’est une définition peut-être simpliste mais fascinante. Les Grecs, cependant, étaient conscients des dangers de l’expression artistique. Platon dans la République critique l’art parce qu’il exerce son charme sur la partie irrationnelle, enchante l’âme, l’exalte et la confond, enflammant les passions, et nous savons que cela est susceptible de se produire véritablement.
Le Judaïsme n’a pas toujours été très orienté vers l’art, mais l’art en a toujours fait partie. La Torah consacre quelques versets à la création du monde, mais des centaines de versets à la construction du Tabernacle. Il existe aussi un concept de Hiddour Mitsvah, beauté de la Mitsvah, selon lequel nous devrions accomplir les mitsvot de la manière la plus somptueuse et la plus élégante possible. Nous remarquerons que dans le Décalogue, il est dit : «Tu ne feras pour toi ni sculpture ni toute image … ». Je pense que l’expression « pour toi » est centrale. Si l’objet est fait « pour toi », pour nourrir l’ego et pour flatter la vanité de ceux qui le réalisent, nous sommes dans l’idolâtrie. S’il est conçu pour transcender ceux qui le réalisent et canaliser l’attention vers autre chose, c’est autre chose. L’idée juive selon laquelle il faudrait imiter la Transcendance dans ses qualités de générosité et de sollicitude pourrait et devrait aussi s’étendre à la faculté de créer la beauté. Ce n’est pas un hasard si dans la prochaine Sidra nous rencontrerons le personnage de Betsalel, qui aura les qualités artistiques qui manquent à Moshè pour créer le Tabernacle. Cela signifie que déjà à partir de l’époque biblique les artistes et l’arts ont un rôle, et que même le culte peut et doit s’exercer dans la beauté et par la beauté, sans toutefois que la beauté elle-même devienne un objet de culte. La beauté créée par l’humain doit être une force qui conduit à aller au-delà de l’humain, quelque chose qui va engendrer l’admiration pour la création divine. Ce n’est pas un hasard si le même or utilisé dans cette Sidra pour le veau sera utilisé dans la prochaine pour le Tabernacle. Symboliquement, cela signifie que les mêmes impulsions que nous pouvons utiliser pour nous glorifier et nous auto-célébrer peuvent être utilisées pour ressentir et exprimer qu’il y a quelque chose de plus grand que nous et qui nous transcende. Cela peut être réalisé avec des vertus comme la générosité, ou des valeurs comme la justice, mais aussi avec la beauté, une beauté qui ne sera pas seulement extérieure, mais qui touchera quelque chose de profond et d’intérieur dans l’être humain et dans le monde que la Transcendance a créé. C’est en prenant soin de cette beauté dans ce que nous faisons et dans la manière dont nous le faisons que nous montrerons à nous-mêmes, aux autres et à la Transcendence elle-même l’amour pour ce monde et la gratitude pour la beauté qui nous a été donnée. Le souhait pour nous tous est donc celui de pouvoir reconnaître et imiter cette beauté dans nos vies, avec l’aide de HaChem.
Liens : Etz Haim / H. F. Cipriani / H.F.Cipriani (page Facebook)
Photo de KoolShooters provenant de Pexels