2023
‘Haye Sarah : le voyage de Rebecca – par le rabbin Floriane Chinsky
La parasha ‘Haye Sarah (La vie de Sarah) nous présente la mort de Sarah, à l’âge de 127 ans. Abraham achète alors la grotte de Makhpela, qu’il consacre comme caveau familial. Il donne ensuite à son serviteur Eliezer l’ordre d’aller trouver une épouse pour son fils Isaac, dans sa famille restée à Haran. Eliézer fait la connaissance de Rébecca, près du puits de Haran. Rébecca se révèle non seulement généreuse, mais également fille de Bethuel, le neveu d’Abraham. La proposition de mariage est acceptée. Les jeunes mariés se rencontrent pour la première fois lors du retour d’Eliezer en Canaan et tombent amoureux. Abraham se remarie et a d’autres enfants mais il fait d’Isaac son unique héritier. Puis Abraham lui-même meurt, à l’âge de 175 ans. Il est enseveli par ses fils Isaac et Ismael.
Illustration : Katsiaryna Endruszkiewicz – Unsplash
2022
‘Haye Sarah : un érotisme de la pudeur – par Mira Neshama, socio-anthropologue
La parasha ‘Haye Sarah (La vie de Sarah) nous présente la mort de Sarah, à l’âge de 127 ans. Abraham achète alors la grotte de Makhpela, qu’il consacre comme caveau familial. Il donne ensuite à son serviteur Eliezer l’ordre d’aller trouver une épouse pour son fils Isaac, dans sa famille restée à Haran. Eliézer fait la connaissance de Rébecca, près du puits de Haran. Rébecca se révèle non seulement généreuse, mais également fille de Bethuel, le neveu d’Abraham. La proposition de mariage est acceptée. Les jeunes mariés se rencontrent pour la première fois lors du retour d’Eliezer en Canaan et tombent amoureux. Abraham se remarie et a d’autres enfants mais il fait d’Isaac son unique héritier. Puis Abraham lui-même meurt, à l’âge de 175 ans. Il est enseveli par ses fils Isaac et Ismael.
Illustration : Katsiaryna Endruszkiewicz – Unsplash
2021
Parasha Hayé Sarah : « Je promets… pour que tu puisses agir »
Contrairement à beaucoup d’autres traditions que l’on pourrait trouver sur le marché des idées de notre société moderne, on ne peut pas être juif tout seul. Au cœur de notre tradition se trouve le rassemblement en tant que peuple, en tant que famille. On ne peut pas avoir un minyan d’un seul fidèle, lire un kaddish tout seul ou avoir une lecture de Torah en solo. On se réunit ensemble pour former les communautés, mais ce qui fait de nous, non seulement une communauté, mais une tradition, c’est la perpétuation de nos valeurs à travers le temps, ledor vador.
La parasha que nous étudions cette semaine est cruciale dans la mesure où les personnes que Dieu avait choisies pour diriger sa nouvelle nation commencent à mourir. Notre parasha, Hayé Sarah, la vie de Sarah, débute par l’annonce de sa mort et se termine par l’annonce de celle d’Abraham. Le flambeau d’Abraham et de Sarah, qui devait être une lumière pour les nations, commence à s’éteindre, et personne ne peut encore le porter.
Nous avons lu il y a quelques semaines, dans le parasha Lekh Lekha, la promesse que Dieu a faite à Abraham d’avoir une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel, qu’il sera le père d’une nation sainte, et que la terre de Canaan sera pour lui et ses descendants. On sait qu’Abraham meurt à la fin de cette parasha : alors où est sa grande descendance ? sa nation ? sa terre? La parasha fait le récit de deux événements principaux, l’achat du caveau funéraire et la recherche d’une épouse pour Isaac. Comme nous le verrons, ce sont les deux manières par lesquelles l’Homme, et non Dieu, accomplit la promesse de Dieu.
Une invitation à agir
Notre parasha commence avec Abraham qui se rend chez les Hittites pour leur acheter une parcelle de terre pour un caveau funéraire familial. il doit négocier avec Ephron pour finalement obtenir la grotte de Makhpéla à un coût de 400 shekels. Ceci est significatif non seulement car c’est le premier achat de terre dans la terre promise, mais que pour obtenir la terre que Dieu a promise à Abraham, il a dû payer une somme conséquente « de sa propre poche ».
Avec sa femme enterrée et ayant acquis un caveau funéraire pour la famille, le reste de la parasha suit la tentative d’Abraham de trouver une femme pour Isaac. Abraham est avancé en années, nous dit notre texte, et il a demandé à son serviteur de trouver une femme pour son fils dans son pays d’origine et pas sur la terre de Canaan. Beaucoup d’encre a coulé sur le sujet du refus catégorique d’Abraham de prendre une femme parmi les Cananéennes, ce sont les femmes du pays qu’on lui a promis alors pourquoi retourner dans sa patrie pour chercher une femme pour son fils ? Jusqu’ici dans le texte, l’alliance n’a pas été une affaire de famille mais une affaire d’Abraham. Nos sages nous disent qu’Abraham et Isaac ne se parlent plus après l’Akeda, et que la mort de Sarah peut être attribuée à sa découverte de ce qu’Abraham avait fait (1). On ne peut pas avoir d’alliance de génération en génération si la moitié de notre famille est envoyée dans le désert et que le fils restant ne veut plus rien avoir à faire avec son père. Il n’est pas nécessaire d’expliquer à un public de Juifs occidentalisés que les traditions sont des choses fragiles. Il suffit juste d’être entouré de personnes qui pratiquent différemment pendant suffisamment longtemps pour que peu à peu la tradition n’existe plus. Je pense qu’Abraham voulait qu’Isaac ait une femme de sa patrie pour éviter de confronter Isaac avec une nouvelle tradition cananéenne qu’il pourrait adopter au détriment de celle de son père. Par ce choix, il espère que l’alliance peut continuer à travers Isaac, et à travers ses descendants.
Lorsque le serviteur d’Abraham, que notre tradition identifie comme Eliezer, arrive au puits où il s’attend à trouver une femme pour Isaac, il fait quelque chose qui n’a pas encore été raconté dans la Torah. Il prie. Nous avons maintes fois lu des histoires de personnes dans la Torah qui ont parlé, supplié et argumentant avec Dieu, mais c’est la première fois que nous trouvons quelqu’un en train de prier comme nous le lisons aujourd’hui, priant pour être guidé, priant pour que Dieu intercède dans le monde et l’aide à remplir sa mission. Il prie pour qu’il puisse trouver une femme pour Isaac. Sa prière achevée, Rebecca est devant lui.
Si Dieu est l’architecte, nous sommes les bâtisseurs
Le mot promesse dans notre langage moderne a une connotation en contradiction avec ce que notre parasha nous raconte. Nous parlons de Dieu qui fait une promesse à Abraham, mais nous voyons bien qu’Abraham ne reçoit pas de générations de descendants, son fils ne reçoit pas de femme et il ne reçoit pas de parcelles de terre en terre de Canaan. Ce qu’Abraham a reçu n’est pas une promesse de récompense, mais une promesse d’appel: une invitation à agir. Dieu fait des promesses et nous bénit de beaucoup de choses. Mais c’est nous qui devons prendre les paroles de nos bénédictions, et le contenu des promesses divines et, à travers nos actions, les rendre existantes dans le monde. Si Dieu est l’architecte, c’est nous qui sommes les bâtisseurs. S’il exige que le monde soit meilleur, c’est la mission d’Israël de le changer. Abraham a été béni avec un fils et avec beaucoup de richesses. Mais il appartenait à Abraham d’utiliser la richesse dont il a été béni afin d’obtenir des terres en Canaan et de s’assurer que le fils qui lui avait été donné perpétue sa tradition.
Le récit de la genèse plus généralement nous fait souvent remettre en question notre impulsion rationaliste à comprendre le monde comme avançant selon ses propres lois naturelles. Nous sommes confrontés ici au conflit que nous avons en nous de vouloir que nos prières soient efficaces, pour que nous puissions compter sur Dieu pour influencer le monde en notre nom, pour nous aider en cas de besoin, et pour changer nos circonstances lorsque nous sommes en détresse. Mais si c’est à nous, et seulement à nous, d’agir sur le monde pour accomplir la promesse de Dieu, alors pourquoi nous, et pourquoi Eliezer se tourne-t-il vers la prière ? Eliezer prie puis voit Rebecca, alors Dieu est-il intervenu dans le monde ? a-t-il agi sur l’ordre naturel de l’univers pour faire apparaître la bonne personne à Eliezer ? Quand on regarde les paroles de sa prière, on voit qu’il dit : « Accorde-moi la bonne fortune ce jour », « que la jeune fille à qui je dis […] soit celle d’Isaac ». Par le « moi » et le « je », il met en avant qu’il sait que c’est lui qui doit changer afin de voir la future épouse d’Isaac. Il termine alors sa prière et il voit Rebecca.
Etre choisi, c’est accepter la responsabilité de notre mission
Maïmonide dans son Guide des Perplexes (2) explique la vision rationaliste selon laquelle l’univers et son ordre naturel sont immuables depuis sa création. La providence divine dans le monde n’est qu’une fonction de l’activité humaine, et que Dieu intervient dans le monde par nos actions. Prier pour le changement, c’est changer sa perception des situations et donc son propre état d’esprit, pour être capable de voir les opportunités qui sont déjà là et dans lesquelles nous pouvons déjà agir. Eliezer prie pour trouver la bonne épouse pour Isaac, il utilise la prière pour affiner sa propre perception afin de s’aligner sur sa mission, puis il peut la voir, puis il peut agir.
Pourquoi vénérons-nous les Avot ? Est-ce juste parce qu’ils ont été les premiers à essayer de vivre selon le Torah ? Est-ce juste parce qu’ils ont initié notre tradition ? Ou est-ce parce qu’ils incarnent une vérité plus profonde à laquelle nous nous connectons, parce qu’ils nous disent quelque chose sur ce que cela signifie d’être un peuple élu ou choisi. Être choisi, ce n’est pas recevoir les promesses et voir les récompenses s’ensuivrent d’elles-mêmes. Etre choisi, c’est accepter la responsabilité de notre mission divine dans ce monde, prier pour que notre volonté s’aligne sur le ratzon hashem mais, en fin de compte, c’est utiliser la bénédiction que nous avons reçue pour remplir notre vocation sainte dans ce monde.
1- Bereshit Rabbah, 58:5
2- Le Guide des perplexes, 2:29-3:17
Version anglophone
Parasha Haye Sarah: « I promise that… you may act »
Unlike many other traditions, philosophies or religions one could reach for in the modern day marketplace of ideas, one can not be Jewish alone. Central to our tradition is the coming together as a people, as a family. One can not have a minyan of one, a Kaddish by oneself, or Torah service solo. As communities we come together with our peers, but what makes us a tradition and not only a community is the perpetuation of our values through time, ledor vador.
The parasha we study this week is pivotal in that the people God had chosen to lead his new nation are starting to die off. Our parasha, Haye Sarah, the life of Sarah, starts by announcing her death, and will end with Abraham’s own. The torch of Abraham and Sarah, that was to be a light unto the nations, is starting to go out, and no one is yet willing to carry it forwards.
We read a few weeks ago in Lekh Lekha, of God coming to Abraham and making him a promise, he will have descendants as numerous as the stars, he will be the father of a holy nation, and the land of Canaan will be for him and his descendants. We know Abraham dies at the end of this parasha: so where are his descendants, his nation, his land? The portion has two main events, the buying of the burial plot, and the finding of a wife for Issac. As we shall see, they are both ways in which it is man, not god, who fulfils God’s promise.
Our parasha begins with Abraham going to the Hittites to ask to buy a parcel of land for a family burial plot; he has to negotiate with Ephron to finally obtain the Cave of Machpelah at a cost of 400 shekels. This is significant not only as it is the first purchase of land within the promised land, but that to obtain the land God promised Abraham he had to pay a significant sum of his own silver.
An invitation to act
With his wife buried, and a resting place for the family obtained, the rest of the parsha follows the attempt of Abraham to find a wife for Issac. Abraham was now old, our text tells us, and he instructed his servant to find a wife for his son from the land he came from and not from the surrounding Canaanites. Much has been made of Abraham’s adamant refusal to take a wife from the Canaanites, the women from the land he was told will be his. Why go back to his homeland to get a woman for his son? So far in the text the covenant has not been a family affair but an Abraham affair. Our sages tell us that Abrahram and Issac never speak again after the Akedah, and that Sara’s death can be attributed to finding out about what Abraham had done (1). One can not have a covenant from generation to generation if half your family is sent off into the desert, and the remaining son wants nothing to do with you. An audience of westernised reform Jews doesn’t need to be told that traditions are fickle things, be only around people who do differently for long enough and suddenly the tradition is no more. I think Abraham wanted Issac to have a wife from his homeland to avoid confronting Issac with a new Canaanite tradition that he would prefer to that of his father. By his choice of wife, he hopes the covenant can live on through Issac, and through Issac’s descendants.
When Abraham’s servant, that our tradition identifies as Eliezer, arrives at the well where he expects to find a wife for Issac, he does something not yet encountered in the Torah. He prays. Many a time have we read about people in the Torah who have spoken, pleaded with, and argued with God, but this is the first time we find someone praying as we would recognise it today, praying for guidance, praying for God to intercede in the world and help him fulfil his mission. He prays that he may find a wife for Issac, and as soon as he has finished, Rebecca appears in front of him.
If God is the architect, we are the builder
The word promise in our modern parlance has a connotation at odds with what our parasha provides us. We talk of God making Abraham a promise, but Abraham is not given generations of descendants, his son isn’t given a wife, and he is not given parcels of land in Canaan. What Abraham was given is not a promise of reward, but a promise of calling. An invitation to act. God makes promises, and blesses us with many things. But it is us who must take the words of the blessings, and the contents of divine promises, and through our actions make them real in the world. If god is the architect, we are the builder. If he demands the world be better, it is the mission of Israel to change it. Abraham was blessed with a son, and many riches. But it was up to Abraham to use the wealth with which he had been blessed to obtain land in Canaan, and to ensure the son he was given continued his tradition.
The genesis narrative in general often makes us question our rationalist impulse to understand the world as moving according to its own laws of nature. We are confronted here with the conflict we have inside us to want prayer to be effective, for us to be able to have God influence the world on our behalf, to help us when in need, and to change our circumstances when we plead in distress. But if it is on us, and only on us, to act on the world to fulfil God’s promise, then why would we, and why would Eliezer, turn to prayer? Eliezer prays and then sees Rebecca, so has god interceded in the world, acted on the natural order of the universe to make the right person appear to Eliezer? When we look at the words of his prayer, we see he says: « grant me good fortune this day », « let the maiden to who I say […] be the one for Issac ». By the « me » and the « I » in his prayer, he shows a recognition that it is on him to change, such that he can see the future wife of Issac. He finishes his prayer and then he sees Rebeca.
To be chosen is to accept our divine mission
Maimonides in his Guide for the Perplexed (2) explains the rationalist view that the universe and its order is immutable since its creation. Divine providence in the world is but a function of human activity, intervening through our actions. To pray for change, is to change one’s mindset, one’s perception, to be able to see the opportunities in which we can act in the world in the way we would want God to. Eliezer prays to find the right wife for Issac, he uses prayer to hone his own perception to align with his mission, and then he can see her, then he can act.
Why do we revere the Avot? Is it just because they were the first to try and live lives of Torah? Is it just because they started our tradition? Or is it because they embody a deeper truth to which we connect, because they tell us something about what it means to be chosen. To be chosen is not to receive the promises and have the blessings ensue by themselves. To be chosen is to accept our divine mission in this world, to pray so that our will might align the ratzon hashem, but ultimately it is to use that with which we have been blessed to fulfill our sacred calling in this world.
1- Bereshit Rabbah, 58:5
2- The Guide for the Perplexed, 2:29-3:17
Photo : Bradyn Trollip - Unsplash
2021
La haftarah de Hayé Sara
Par Georges-Elia Sarfati
I Rois : Chap. I, 1-31
Les Sages ont choisi un passage du premier Livre des Rois (I Rois, chap.1, 1-31) pour valoriser l’un des principaux enseignements de la parasha Hayé Sara. Parmi tous les évènements qui traversent celle-ci, c’est le thème de l’intercession dans la succession qui a été mis en exergue.
Un verset de l’extrait prophétique fait directement écho à la sidra : « (I Rois, chap.1, v.2) Ses serviteurs (du roi David) lui dirent : « Que l’on cherche, pour mon seigneur le roi, une jeune fille vierge, qui se tiendra devant le roi, et aura soin de lui (…) ». Ce verset réédite, dans le contexte de la fin de vie du roi David, l’épisode de la sidra au cours duquel Abraham, parvenu au soir de sa vie, demande à son serviteur d’aller chercher une épouse parmi les siens, pour son fils Isaac (Gn. 24, 2-4).
Ces deux récits sont des récits d’intercession, fortement liés à l’élément féminin, ici comme là, garants de la continuité de la vie. Dans le cas d’Abraham, il s’agit de vérifier la promesse divine, selon laquelle sa postérité sera effective et nombreuse, tandis que dans le cas du roi David, il s’agit de s’assurer qu’il pourra demeurer en vie le temps de désigner son juste successeur. Néanmoins, dans le Livre des Rois, la figure féminine se différencie en deux occurrences : celles d’Avishag, la jeune Sunamite – au service du souverain –, et celle de sa favorite Batsheva, la mère de Salomon.
La succession d’Abraham et de David : similitudes et différences
Plusieurs similitudes thématiques permettent de rapprocher les deux textes : au-delà du motif initial, il en est d’autres qui méritent d’être signalés : chacune à sa manière, les deux épouses sont absentes (Sarah est défunte, tandis que Bethsabée, la favorite de David, est éloignée) ; le Patriarche agit relativement à ses deux fils (Ishmaël, Isaac), tout comme David est ici amené à trancher entre Adonias et Salomon. Dans l’esprit de chacun des pères, seul l’un des deux serait parfaitement digne d’hériter pleinement de lui : c’est par Isaac, mais aussi par Salomon que passe un lignage qui distinguerait une authentique filiation spirituelle – telle est la logique des engendrements (Toledot) : la véritable lignée se doit d’être fidélité à l’intégralité de l’héritage, pratique et spirituel. Or, dans les deux récits, la confirmation de l’élection du fils choisi passe par l’action d’un tiers : son serviteur Eléazar, dans le cas d’Abraham, et le prophète (nabi) Nathan, dans celui du roi David. C’est ainsi que l’élément féminin, qui marque autant la nécessité que la signification de la filiation, se trouve justifié et tout autant servi par l’action de ce tiers. C’est à deux hommes dévoués que les engendrements d’Israël doivent leur continuité.
Mais à la convergence des histoires anciennes qui nous sont rapportées ensemble s’oppose leurs différences non moins significatives, qui nous servent ici de guide pour comprendre et interpréter le présent d’Israël. Toute la question est de savoir ici ce que la Torah peut encore nous aider à saisir de la triangulation située au principe de la persistance du message d’Israël : la paternité de l’autorité, avec ses successeurs putatifs, et l’éventuelle action d’un tiers.
Un effort constant d’éducation et d’éthique
A l’époque d’Abraham, celui-ci n’exprimait pas de doute sur son bon droit, et son fidèle serviteur Eléazar (dont le nom signifie celui que Dieu aide), avait pour mission d’énoncer formellement ce droit ; à l’époque de David, la sénescence du souverain l’a conduit à s’abstraire des affaires du royaume, au risque de laisser faire une sédition, et seule la remontrance de Nathan, le ramène à la conscience de son devoir moral.
Aujourd’hui, la situation d’Israël projette dans son présent la conjonction des deux écueils du passé. Bien des choses miment encore les risques de chaque commencement (Abraham découvre le Dieu Un, tandis que David, après Saül, inaugure la souveraineté des Douze tribus d’Israël) : à l’intérieur, l’esprit schismatique d’Adonias s’exprime sans vergogne, tandis que la prétention railleuse et le plus souvent violente d’Ishmaël s’exacerbe de l’irrespect du précédent.
Le renouvellement de la souveraineté, le plein exercice de l’indépendance, appuyé sur une collectivité éduquée à la responsabilité, ne sont pas des attributs naturels. Ils résultent plutôt de l’effort constant du Musar. Sur le plan pratique, cela implique toutes les échelles de la hiérarchie, qui assurent la transmission et son maintien pratique. Il n’est nul besoin d’éclats pour cela, mais seulement de l’action discrète et attendue de ceux qui seront toujours les tiers irréprochables : ceux qui participant d’Israël, en l’aimant – tel Eléazar – et ceux qui, dans l’esprit inspiré de Nathan (dont le nom signifie Celui qui a donné), diraient à l’ensemble de la Maison d’Israël :«(I Rois, 1 : 12)- Eh bien ! Ecoute, je veux te donner un conseil, et tu sauveras ta vie… »