Bamidmar ou Arithmoi : une double identité

Le quatrième livre de la Torah porte deux noms. Il possède donc deux facettes, et de cette double identité nous pouvons puiser des réflexions très intéressantes et profondes.

Le titre hébreu, Bemidbar, signifie «dans le désert». Nombres est la traduction littérale du titre grec utilisé dans la traduction de la Septante, Arithmoi, qui est intitulé ainsi en raison des divers recensements dont nous lisons dans les quatre premiers chapitres du livre.

Regardons ces deux titres. Le nom hébreu du livre nous parle de desert. Or cette espace constitue une métaphore essentielle de l’esprit hébraique. La tradition juive suggère que pour recevoir la Torah il est essential d’être ouvert et vide comme un désert [Tanhuma Bemidbar 6:1]. Dans cette vision, les qualités essentielles pour une vie spirituelle intense et riche sont la créativité et l’ouverture totale. La faculté de conserver un ciel ouvert au dessus de nos pensées est ce qui permet de créer et d’innover de façon dynamique.

Mais un de mes Maitres, Rabbi Joseph Gelbermann z’l, disait que la créativité sans discipline est comme un mixeur sans couvercle. Ce genre de créativité ne peut terminer que dans le chaos.  C’est pourquoi nous avons le deuxième nom du livre, Nombres, qui évoque discipline et precision. Imaginons un musicien, qui interprète la musique dans un état d’abandon qui est exclusivement apparent. La réalité est que derrière sa performance il y a des dizaines d’heures d’exercices, de gammes et d’arpèges, en general travaillés au metronome qui marque le temps de façon inflexible.  Car la discipline seule est susceptible de libèrer la créativité.

Picasso disait qu’il lui avait fallu quatre ans pour peindre comme Raphaël mais toute une vie pour peindre comme un enfant. Avant de pouvoir libérer sa créativité il avait besoin d’acquérir la maitrise technique.

Cet deuxième aspect est en continuité avec le livre du Lévitique, qui précède Bemidbar. Le Lévitique est presque entièrement construit sur la loi, car il contient toutes les instructions minutieuses pour le fonctionnement rituel du Sanctuaire. C’est donc un livre de discipline avant tout. Avec Bemidbar, la Torah joint cet aspect à celui du désert. La Trascendence accompagne ce peuple nouvellement consitué dans un lieu dépourvu de frontieres, afin d’enseigner à Israël les limites de la loi et, en general, des structures rigides.

La dialectique entre discipline et créativité se poursuit lorsque, dans les premiers chapitres de Bemidbar, Israël se structure en tribus. D’une certaine manière, ce quatrième livre de la Torah évoque le processus de la Création, où le désert est une sorte de tohu vavohu, un lieu informe et vide. Comme la Transcendance a créé des formes et de l’ordre dans le chaos lors de la Création, les Israélites apprennent à se construire au milieu du vide du desert qui leur donnera la voix. Car midbar, qui signifie  désert », vient de la racine d-b-r, qui signifie aussi « parler ». Il s’agit aussi du livre où les enfants d’Israël s’éloignent de la voix du Sinaï, et se retrouvent enfin dans le silence du désert, où ils vont avoir la possibilité de faire résonner leur voix à eux, jusqu’ici presque étouffée par la Voix divine. C’est donc par cette parole qu’ils devront apprendre à se construire, car c’est le langage qui est au cœur de l’organisation sociale.

Bemidbar/Nombres est donc le lieu de la Torah où la discipline rencontre la créativité, l’ordre se combine avec le chaos. La vie spirituelle envisagée par le Judaïsme se construit à travers cet équilibre subtil.

Illustration : Juli Kosolapova / Unsplash

 

Moïse Mendelson : fondateur du judaïsme réformé

Moïse Mendelson (1729-1786), figure majeure des Lumières allemandes, est considéré comme le père du judaïsme réformé. Défenseur de la liberté de conscience, de la séparation de l’Etat d’avec les cultes et de la non-implications de ces derniers dans la politique, Mendelson est un penseur important dans l’histoire du judaïsme qui, contrairement à Spinoza, a réussi à proposer des changements dans la mentalité juive sans pour autant entrer en rupture avec sa communauté.

 

Parasha Behar : la souffrance de la terre

La parasha Behar introduit une double notion qui était tout à fait étrangère à de nombreux peuples antiques, et reste étrangère encore aujourd’hui encore à une grande partie de l’humanité : celle que la Terre souffre aussi d’une part, et d’autre part celle selon laquelle l’Homme n’est pas maître et possesseur de la Nature. Un commentaire de Marc Cohen, pour Akadem.

Illustration : Dustan Woodhouse / Unsplash

Anne Rothschild : rendez-vous en mai et juin

Présente à la Comédie du Livre à Montpellier, notre amie Anne Rothschild nous annonce qu’elle participera également aux événements suivants :

Treizième édition d’ARTPAGE

Rencontre de l’estampe et du livre d’artiste, à Octon, au Village des Arts, près du Lac du Salagou 34800 – Hérault. Du 27 au 29 mai 2022. Ouverture le 27 à 14h00. Vernissage à 18h00.

Marché de la Poésie, Place St Sulpice, Paris 5e

En signature pour « Nous avons tant voyagé » et « Au pays des Osmanthus » au stand du Taillis Pré, le dimanche 12 juin, de 15h à 16h.

Journées de l’Estampe

Place St Sulpice, Paris 5e
Lundi 13 et mardi 14 juin 2022

Parashah Emor par Bonnie Buckner

Parashah Emor begins with special laws pertaining to the kohanim, the kohen gadol, and the Temple service.  The second part lists the festivals of the Jewish calendar.  Next is a discussion of the lighting of the menorah in the Temple, and the showbread to be placed weekly on the table in the Temple.  The parashah concludes with the story of the man executed for blashphemy, and penalties for injuring another person or destroying their property.

On the surface, it is difficult to find a thread linking the seemingly disparate sections of this parashah.  In particular, the story that concludes it.  The book of Vayikra is not a book of narratives – it is a book about the laws of the priests (the original name for the book: Torat Kohanim).  There are only two narratives in the entire book: the death of two of Aaron’s sons (Nadav and Avihu) on the day the Sanctuary was consecrated, and the story in our parasha of the blashphemer.  Why this story, and why here?

Parashah Emor concerns itself with the holiness of priests, the holiness of the Sanctuary, and the holiness of certain days in the calendar.  In other words, the sanctity of person, place, and time.  And then the narrative of the blasphemer. Rabbi Jonathan Sacks (1) argues that the narrative of the blasphemer brings our focus to the sanctity of speech. Here we pick up the thread.

At the beginning of the parashah we find the special laws pertaining to the priest in relationship to death, which require the priest to stay away from the bodies of the dead except under specific circumstances.  Rabbi Samson Raphael Hirsch, in his commentary to these verses sets out that whereas other religions associate matters of God ‘where man ends’, for Judaism God is among us in our living: Hashem is the God of Life. “Judaism teaches us not how to die, but how to live so that, even in life, we may overcome death, lack of freedom, the enslavement to physical things and moral weakness (2).” The priest’s role with respect to these laws is to “keep aloft the banner of life” to make clear for us that the concept of life is “not overshadowed by thoughts of death. (3)”

In beginning, in first giving, God creates life – a world of living things, and a world for the living human to inhabit. We, the human, are created in God’s image. We are told in Deuteronomy to choose life:  “I have set life and death before you, blessing and curse. Choose life, so that you may live – you and your descendants – to love God, your God (30:19).”

Exodus is a book dominated by the mighty Hand of God – plagues and miracles, the Decalogue, and the instructions for, and building of, the sanctuary. In the building of the sanctuary, we are invited to imitate God in the creating act, creating a microcosmos here – creating order from chaos – to mirror the Great Creation of God.  Vayikra, the book where our current parasha sits, means He (God) called. Rashi tells us this is a term of endearment; rather than He said (Vayomer), He spoke (Vayedaber) or He commanded (Vayetzav), Vayikra is a language of “invitation, friendship, love (4).”  Here, in this book, “in love, God calls the people of Israel to come close to Him…to share His quality of holiness, difference, apartness (5).”  It is a detailed invitation to continue our work of ‘holiness in action (6)’ as part of our relationship with God: creation to Creator. It is God’s calling to us to ‘partner in the work of creation’.

From here the story of the blasphemer, and the penalties for injuring another person or destroying their property, are clearly understood.  To blaspheme is to destroy name, meaning, and holiness; to injure another is to reverse the creating process; to destroy another’s property is again a destructive act.  For a God who creates life, exhorts us to choose life, and invites us to join Him in the creating process such acts are a direct reversal, an untying of the thread of the relationship.  The opposite of creating, such undoings are equivalent to death.

The world was created through speech.  Through ten sayings God created the world. Speech gives us the capacity to create or destroy.  One can honor another through speech, or blaspheme; create a friendship, or destroy one. Consecrating festival days is our response to Vayikra – we announce the days and we make ourselves present for them. By lighting the menorah and keeping the showbread we respond to Vayikra, bringing our own light to the space where we can meet God’s Light. By consecrating our speech we respond to Vayikra, letting our words continue the act of creation in holding God’s name apart, by honoring that Divine image in others.  To our God who creates life, who calls to us in invitation, through our small efforts to honor the sanctity of person, place, time, and speech, we respond by choosing life. We respond to God loving us, by our loving God.

 

 

 

 

FRENCH VERSION

Parashah Emor

La Parasha Emor commence par des lois spéciales relatives aux kohanim (prêtres), au kohen gadol ( le grand prêtre) et au service du Temple. La deuxième partie énumère les fêtes du calendrier juif. Vient ensuite une discussion sur l’allumage de la menorah dans le Temple, et les pains de proposition (« showbread ») à placer chaque semaine sur la table dans le Temple. La parasha se termine par l’histoire de l’homme exécuté pour blasphème et par les sanctions pour avoir blessé une autre personne ou détruit sa propriété.

En surface, il est difficile de trouver un fil reliant les sections apparemment disparates de cette parasha. En particulier, l’histoire qui la conclut. Le livre de Vayikra ( Lévitique) n’est pas un livre de récits – c’est un livre sur les lois des prêtres (le nom original du livre : Torat Kohanim). Il n’y a que deux récits dans tout le livre : la mort de deux des fils d’Aaron (Nadav et Avihu) le jour où le Sanctuaire a été consacré, et l’histoire du blasphémateur dans notre parasha. Pourquoi cette histoire, et pourquoi ici ?

La parasha Emor se préoccupe de la sainteté des prêtres, de la sainteté du sanctuaire et de la sainteté de certains jours du calendrier. En d’autres termes, le caractère sacré de la personne, du lieu et du temps. Et puis, il y a le récit du blasphémateur. Le rabbin Jonathan Sacks (1) soutient que le récit du blasphémateur attire notre attention sur le caractère sacré de la parole. C’est là que nous reprenons le fil.

Au début de la parasha, nous trouvons les lois spéciales qui concernent le prêtre et la relation avec la mort : elles obligent le prêtre à rester à l’écart des corps des morts, sauf dans des circonstances spécifiques. Le rabbin Samson Raphael Hirsch, dans son commentaire sur ces versets, explique que, tandis que d’autres religions associent les questions de Dieu « là où l’homme finit », pour le judaïsme, Dieu est parmi nous dans notre vie : Hachem est le Dieu de la vie. « Le judaïsme nous enseigne non pas comment mourir, mais comment vivre pour que, même dans la vie, nous puissions vaincre la mort, le manque de liberté, l’asservissement aux choses physiques et la faiblesse morale (2). Le rôle du prêtre vis-à-vis de ces lois est de « porter haut la bannière de la vie » pour nous faire comprendre que le concept de vie n’est « pas éclipsé par des pensées de mort » (3).

Au début, dans le premier don, Dieu crée la vie – un monde d’êtres vivants et un monde habitable pour l’humain vivant. Nous, les humains, sommes créés à l’image de Dieu. Le Deutéronome nous dit de choisir la vie : « J’ai mis devant vous la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisissez la vie, afin que vous viviez – vous et vos descendants – pour aimer Dieu, votre Dieu (30:19). »

L’Exode est un livre dominé par la puissante Main de Dieu – les fléaux et les miracles, le Décalogue, les instructions et la construction du sanctuaire. Dans la construction du sanctuaire, nous sommes invités à imiter Dieu dans l’acte créateur, créant ici un microcosme – créant l’ordre à partir du chaos – pour refléter la Grande Création de Dieu. Vayikra, le livre où se trouve notre parasha Emor, signifie « Il (Dieu) a appelé ». Rashi nous dit que c’est un terme d’affection ; plutôt que « Il a dit » (Vayomer), « Il a parlé » (Vayedaber) ou « Il a commandé » (Vayetzav), Vayikra est un langage « d’invitation, d’amitié, d’amour (4) ». Ici, dans ce livre, « dans l’amour, Dieu appelle le peuple d’Israël à se rapprocher de lui… à partager sa qualité de sainteté, de différence, de séparation (5) ». C’est une invitation détaillée à poursuivre notre travail de « sainteté en action (6) » dans le cadre de notre relation avec Dieu : de la création au Créateur. C’est l’appel de Dieu pour que nous soyons « associés à l’œuvre de la création ».

La présence ici de l’histoire du blasphémateur et celle des sanctions pour avoir blessé une autre personne ou détruit sa propriété prend alors tout son sens. Blasphémer, c’est détruire le nom, le sens et la sainteté ; nuire à autrui, c’est inverser le processus de création ; détruire la propriété d’autrui est encore un acte destructeur. Pour un Dieu qui crée la vie, nous exhorte à choisir la vie et nous invite à le rejoindre dans le processus de création, de tels actes sont un renversement direct, un dénouement du fil de la relation. À l’opposé de la création, de tels méfaits équivalent à la mort.

Le monde a été créé par la parole. À travers dix paroles, Dieu a créé le monde. La parole nous donne la capacité de créer ou de détruire. On peut honorer l’autre par la parole ou le blasphémer ; créer une amitié ou en détruire une. Consacrer les jours de fête est notre réponse à Vayikra – nous annonçons les jours et nous nous rendons présents à eux. En allumant la menorah et en gardant les pains de proposition, nous répondons à Vayikra, en apportant notre propre lumière à l’espace où nous pouvons rencontrer la Lumière de Dieu. En consacrant nos paroles, nous répondons à Vayikra, en laissant nos paroles continuer l’acte de création tout en gardant le nom de Dieu à part, en honorant cette image divine chez les autres. À notre Dieu qui crée la vie, qui nous appelle et nous invite à travers de petits efforts à honorer le caractère sacré de la personne, du lieu, du temps et de la parole, nous répondons en choisissant la vie. A Dieu qui nous aime, nous répondons : aimons Dieu.

 

 

  1. Rabbi Jonathan Sacks (2015). Leviticus : The Book of Holiness (from Covenant and Conversation : A Weekly Reading of the Jewish Bible). Maggid Books & The Orthodox Union.
  2. Rabbi Samson Raphael Hirsch. The Pentateuch. Edited and printed in 1990 by Judaica Press, Inc., New York. Excerpt from commentary to the Pentateuch, page. 469. English translation from original German by Gertrude Hirschler.
  3. ibid.
  4. Rabbi Jonathan Sacks (2015). Leviticus : The Book of Holiness (from Covenant and Conversation : A Weekly Reading of the Jewish Bible). Maggid Books & The Orthodox Union. Page 5.
  5. ibid.
  6. ibid.

Illustration : Levi Grossbaum / Unsplash

 

 

La pensée juive moderne – Une conférence de Yann Boissière

Comment est né le judaïsme libéral ? Comment la modernité, à la fois en tant que type de société et que philosophie dominante, a influencé la pensée juive ? Quel impact a eu, pour une religion jusqu’alors presque exclusivement héréditaire (malgré quelques rares conversions au fil de l’Histoire), le fait d’être confrontée à un monde dans lequel la religion devient un choix personnel ? Une conférence de Yann Boissière, offrant sur ces questions un point de vue précis et détaillé.

Illustration : Jossuha Théophile / Unsplash

Parasha Emor : la science du judaïsme, par Yeshaya Dalsace

Dans la parasha Emor, l’Eternel s’adresse à Moïse et lui ordonne de donner aux kohanim des prérogatives spécifiques liées au sacerdoce, ainsi que des commandements particuliers relatifs à la pureté. D.ieu décrit ensuit les limites des offrandes, et notamment les raisons pour lesquelles une bête ne peut être sacrifiée. Sont ensuite évoqués le calendrier liturgique, les offrandes, les rites et les fêtes, ainsi que les rites quotidiens.

Illustration : Luis GonzalezUnsplash

Histoire de l’antisémitisme : de 1945 à nos jours

Après la Deuxième Guerre Mondiale, l’antisémitisme change de visage : si l’expression la plus directe et la plus haineuse, telle qu’elle a existé dans le Troisième Reich, n’existe quasiment plus, d’autres formes apparaissent. Antisémitisme soviétique d’une part, mais également les différents avatars de l’antisionisme, qui cache souvent un antisémitisme à peine voilé. Dernière partie de la série d’Arte consacrée à l’histoire de l’antisémitisme.

Cycle de cours : Moussar et Talmud : l’éthique de l’amour

La réflexion sur l’amour se situe au coeur de la pensée hébraïque: au-delà de la conception commune, selon laquelle l’amour est chose sentimentale, la Bible et le Talmud développent une conception éthique de la relation interhumaine, elle-même mise en perspective par l’idée de Dieu. Le commandement de l’amour du prochain, mais aussi le commandement prescrivant d’aimer Dieu déterminent des attitudes singulières, dans le domaine de la vie quotidienne et celui de la transmission.

Première séance le dimanche 1er mai, puis tous les 15 jours de 18h00 à 20h00.

Inscriptions ici :


     

    Illustration : Shelby Deeter / Unsplash