Noa’h: Pas de rachat pour l’homme?

Par Gérard Feldman

La paracha Noa’h est la seconde paracha de la Tora.  Elle intervient, très logiquement,  après la fin de la première paracha : Bereshit. Ce qui est moins logique, au moins en apparence, c’est que ha Shem y proclame la fin, non seulement de l’humain,  mais de tout le vivant… Et cela après l’avoir créé ? Il le dit très explicitement :

« J’effacerai l’homme que j’ai créé du dessus des faces de la terre, j’effacerai jusqu’à la bête, jusqu’à la vermine, jusqu’à l’oiseau des cieux, oui j’ai regretté, oui de les avoir faits. » (c.6 – verset 7).

Tout va-t-il s’arrêter juste après avoir été créé ? Non, rassurez-vous, ha Shem se ravise in extrémis. La destruction sera certes terrible, mais, malgré tout, un homme, Noa’h est distingué. Il va trouver grâce à Ses yeux. Et tout pourra recommencé… Oui mais autrement.

Une nouvelle chance pour l’humanité et  le vivant

De ch. 6,13, jusqu’à la fin du ch.7,  ha Shem offre à Noa’h un kit de survie. Cet homme est choisi, lui et sa famille, et les animaux selon leur espèce,  car il est considéré, selon le texte, comme « un juste dans sa génération » (Ch. 6,9).

Le chapitre 8 décrit la fin du déluge, avec cette nouvelle annonce (re) fondatrice de ha Shem (v. 21) : « Je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme ». Fin de la parenthèse.

Une nouvelle alliance entre ha Shem et l’humanité

Le C. 9 crée les conditions d’une nouvelle Alliance avec la Transcendance. L’homme  est béni. Il est  appelé à fleurir (פּרוּ ) et à se multiplier. Tout semble s’arranger.

Malheureusement,  l’humain est incorrigible. C’est sa part d’autonomie et de liberté.

Le verset 21 décrit une nouvelle catastrophe. Noa’h s’enivre et ‘Ham, l’un de ses trois fils,  se comporte très mal envers son père.  Cela aboutit obligatoirement à une nouvelle malédiction. Mais il y a là un grand changement. Ce n’est plus toute l’humanité toute entière qui est condamnée mais seulement Kenaan, le petit-fils de Noa’h. Les deux autres fils, Shem et Iaphet, sont épargnés. Normal, ils ont sauvé l’honneur et la vie de l’humanité en recouvrant la nudité de leur père, sans la regarder.

Une idée nouvelle apparait. Certes le mal est une tendance humaine naturelle et largement répandue, mais cette tendance  n’est pas inéluctable. Tous les humains n’obéissent pas nécessairement au יצר הרע (yétser hara ou mauvais penchant). Il existe aussi des humains qui s’emploient à faire triompher le bien. C’est d’ailleurs cela qui va donner  un sens à l’histoire : faire progresser le bien. Ce passage est même très optimiste puisque deux des fils de Noa’h sur trois se comportent bien. Un seul fait le mal. Il y a donc une majorité démocratique pour le bien. Amen.

Quelles conditions pour le progrès dans l’histoire ?

Le ch. 10 détaille la descendance de Noa’h et de ses trois fils. Mais cette énumération est interrompue au c.11 par  la dispersion de Bavel (v.1 à  9). Autre moment difficile pour l’humain. Mais ce n’est qu’une interruption. L’énumération reprend ensuite au v.10. Nous avons là le détail de la descendance de Shem jusqu’à Avram et son épouse  Saraï. On y mentionne aussi le père d’Avram et ses frères ainsi que son neveu Lot.

Pourquoi cette litanie de noms ?

Le propos est clair : Noa’h n’a pas été choisi,  pour ses qualités intrinsèques ; même s’il n’en est pas dépourvu, surtout en regard de ses contemporains. Il a d’abord été choisi parce qu’il est un chaînon indispensable à l’émergence d’Avraham. Noa’h est tout simplement un moment incontournable dans la formation du peuple hébreu. C’est ce que disent les commentaires de nos sages dans le « midrash rabba », même s’il peut y avoir débat sur l’ampleur et la nature des qualités du premier survivant de l’histoire humaine.

Le peuple hébreu est conçu par ha Shem, parce qu’il faut, au sein de l’humanité, un  garant du sens de l’histoire. Ce peuple est choisi pour donner l’exemple du bien afin que toute l’humanité y accède.  Pour que l’histoire progresse, il faut une sorte d’avant-garde qui montre le chemin par son Alliance indéfectible avec ha Shem : Israël.

La haftarah de Noa’h  (Livre d’Isaïe -יְשַׁעְיָהוּ  ) constate que le peuple hébreu n’a pas encore porté tous ses fruits au monde.  Mais il a confiance. Cela viendra. Nécessairement. Au verset 9 du chapître 54, Isaïe/יְשַׁעְיָהוּ fait explicitement référence au chapître 8 v.11 de la paracha  Noa’h. Le prophète annonce que Ha Shem promet une Alliance éternelle, non seulement avec l’humanité dans son ensemble, mais avec la femme stérile et humiliée en particulier. Autrement dit, avec Jérusalem et le peuple d’Israël qui se trouve, à ce moment-là, en exil à Babylone. Comme dans le Cantique des Cantiques  (שיר השירים) où la femme aimée symbolise Jérusalem.

Très clairement, dans ce verset, la femme est l’avenir de l’humanité. Aragon n’a rien inventé. Mais ce qu’il n’a sûrement pas détecté, c’est que la femme en question, c’est Israël !

Vous êtes Juif Noa’h ? 

Bien sûr.

Cette interprétation s’inscrit en faux contre un découpage chronologique de la Bible selon lequel Bereshit (Genèse) s’adresserait à l’humanité dans son ensemble alors que Shemot et les autres livres de la Torah ne parleraient « que » du peuple hébreu.

Ce découpage erroné a permis au christianisme de s’approprier Noa’h comme une manifestation de Jésus (la lettre nounreprésenterait le poisson symbole chrétien pour le Christ) et même l’Arche serait la première Eglise. L’islam en a fait autant en le considérant comme un prophète missionnaire  du Coran.

Pourtant, le nom même de Noa’h nous dit bien qu’il est un Hébreu. Son nom et sa langue sont hébraïques. Son histoire est racontée en hébreu.  Mais plus profondément, le mot Noa’h (נח) vient de la racine נח. On le sait, cette racine  signifie « tranquille, au repos ». Elle exprime donc une dimension essentielle du judaïsme : le shabbat sans lequel il n’y a ni création, ni histoire humaine. Le déluge lui-même ne peut-il être conçu aussi comme un grand shabbat dans lequel l’humanité se purifie dans les eaux comme s’il s’agissait d’un mikvé ?

Par ailleurs, la guematria de נח est 58.  58 renvoie à beaucoup de sens différents. Mais pour ce qui nous préoccupe, 58 ans, c’est l’âge d’Avram quand Noa’h meurt à 950 ans.  Le midrash (Seder Olam Rabba) nous le dit : Avraham est né en l’an 1948 du calendrier hébraïque, tandis que Noa’h ne meurt qu’en 2006. Avraham a alors 58 ans ! Avram, le futur Avraham, est donc déjà mûr pour prendre le relais et faire progresser l’histoire.

L’Arche, un dictionnaire ?   

Mais ce lien à l’hébreu, par la langue et par l’histoire, se manifeste aussi dans l’usage du mot tevah (תֵּבָה). Il est habituellement traduit par « Arche », mais  les dictionnaires nous disent : 1. La caisse ou le coffre ; 2. Le mot.

La Torah n’utilise à nouveau ce mot הַתֵּבָה (tevah) qu’au début du Livre de Shemot (ou Exode). Il s’agit du frêle panier dans lequel le bébé Moshe (Moïse) sera sauvé justement des eaux (C. 2 verset 5). C’est déjà intéressant en soi. Noa’h par le mot tevah renvoie à Moshe !!!

Les deux sens du mot « tevah » incitent à une interprétation. Pourquoi Noa’h et Moshe s’y retrouvent-ils tous deux ? Ils subissent un monde d’injustice et de violence. Tous deux sont sauvés des eaux car ils sont choisis par ha Shem. Ils héritent de la responsabilité d’offrir une nouvelle chance à l’humanité. La caisse flottante et ses parois les protègent  de la purification (sans retour) par la noyade.

Mais la « tevah » veut dire aussi « le mot ». Elle ne fait pas que protéger, elle est aussi créatrice d’un autre langage sensé dire non à l’injustice et à la violence, à la médisance. Ha Shem, notre Elohim, soutient toujours la vie plutôt que la mort.

Si nous prenons la valeur numérique de chaque dimension donnée par Élohim pour construire l’arche (ch. 6, v.15), nous savons que la lettre shin (ש) vaut 300, la lettre noun (נ ) est égale à 50 et la lettre lamed (ל) à 30. Ces trois lettres forment la racine לשן  (lashan) qui fait référence à l’utilisation de la langue pour dire du mal (voir  G. Lahy –  Dictionnaire des racines hébraïques). C’est exactement cette situation qui provoque le Déluge. Toujours selon Georges Lahy, cette racine a donné le mot lashon (לשֹׁן) qui veut dire la langue au sens physique, mais aussi au sens du langage.

L’auteur en déduit alors une autre interprétation du mot « tevah » : ce mot désignerait un « coffre à mots ». Aujourd’hui, on appellerait ce coffre un dictionnaire. L’arche serait un dictionnaire ! Il concentrerait la quintessence du langage.

La tâche de Noa’h serait donc de rassembler les racines du langage pour sauver le monde. Pas avec n’importe quelles racines, mais avec les racines hébraïques dont la combinaison et/ou la permutation, permettent, avec 22 lettres, de retrouver tous les noms nécessaires à la Création.

De ce fait, Noa’h peut renverser la situation ! Il va s’efforcer de transformer le langage mauvais en langage pour le bien. Mais il le fait avec les mêmes mots, car l’’hébreu peut en effet inverser les sens. On se rappelle, par exemple, que le mot hébreu rah (רעה) peut aussi bien désigner un ami, un compagnon que le mal ou la méchanceté. Autre exemple, la racine לחם (le’hem) peut signifier : le pain ou combattre… C’est très important car cela montre qu’il n’y a pas le mal d’un côté et le bien de l’autre. Contrairement à ce qu’affriment les théologies gnostiques ou influencées par elles,

La kabbale enseigne que le monde fut créé avec les 10 paroles (commandements) et fondé sur la combinaison des 22 lettres hébraïques. Les animaux que Noa’h sauvera, deux par deux, dans les compartiments ou nids de l’arche deviennent alors les racines bilitaires « forces vitales de la langue hébraïque » (G. Lahy).

L’homme a-t-il un sens ?

La paracha Noa’h, comme toutes les autres, peut facilement nous renvoyer à de nombreux aspects de notre histoire et de l’actualité : arrogance, dégradation du langage, médisance, intolérance, injustice…). Sur le fond elle pose la question la plus brutale qui soit : l’existence de l’espèce humaine a-t-elle  un sens ? La réponse ne va pas de soi. Aujourd’hui toute une partie du courant écologiste répond par la négative. L’homme serait un désastre pour la nature, et il doit se faire tout petit s’il veut survivre.

Dans la tradition juive, les anges de la vérité, de la paix, de l’amour et de la justice  ont déjà débattu de la question avant même l’apparition de l’humain (voir « midrash bereshit rabba 8 – 5) … sans aboutir à aucune conclusion.  Mais la paracha apporte une réponse : si l’humanité dans son ensemble peut facilement sombrer,  l’Etre hébreu dans ce qu’il a d’essentiel donne de la lumière… mais seulement s’il reste fidèle au chemin que lui propose ha Shem. Ce chemin est symbolisé ici par l’arc-en-ciel qui relie le ciel à la terre. Ce n’est pas seulement un symbole mais  aussi véritable un arc (queshet- קשת ) en hébreu (ch.9, v.16). Le chemin de l’Etre hébreu passe aussi et nécessairement par le combat.

 

 

La haftarah de Noah

Par Georges-Elia Sarfati

 

Haftarah: Isaïe : 54,1-55,5

Les Sages ont choisi un passage du Deutéro-Isaïe pour élaborer un thème fondamental de la sidra Noah. Ces prophéties, sans doute proférées au sortir de l’exil de Babylone, se distinguent par des formulations porteuses d’espérance et de consolation.

Deux versets évoquent directement l’épisode déterminant de l’histoire de Noah (Noah: 8, 21-22 ; 9, 11), qui permettent de forger les grandes perspectives de ce texte : « (54, 8-9) Dans un transport de colère je t’ai, un instant, dérobé ma face (istarti panaï) ; désormais, je t’aimerai d’une affection sans bornes, dit ton libérateur, l’Eternel. Certes, je ferai en cela comme pour les eaux de Noé : de même que j’ai juré que le déluge de Noé ne désolerait plus la terre, ainsi je jure de ne plus m’irriter ni diriger des menaces contre toi. »

La référence à la sauvegarde de Noah fait ici l’objet d’une mise en perspective plus spécifique : si l’humanité fut naguère capable de dévoiement, il s’avère aussi que la conduite d’Israël se caractérise, à certains moments de son histoire, par l’ambivalence à l’égard de l’enseignement du Créateur. La « colère » de Celui-ci nous apparaît constamment à la mesure des égarements de l’humanité créée. De même que l’humanité pré-diluvienne attira sur elle la catastrophe, du fait de l’iniquité (Ber. 6, 5) et de la violence (hamas) dont elle s’était rendue coupable (Ber.6, 11), Israël connut l’épreuve de la destruction et de la dispersion, pour s’être éloignée de l’Instruction reçue en héritage. C’est du moins, selon cette logique que le judaïsme antique interprétait son histoire. Cependant, à bonne distance de l’épisode lointain de Noah, la relation prophétique se particularise selon des termes qui ne trouvent d’équivalent que dans le Cantique des cantiques. La parole du prophète se colore désormais de toutes les nuances du symbolisme conjugal : « (Is., 54, 5-6) Oui, ton époux ce sera ton Créateur, qui a nom l’Eternel des Armées, ton sauveur sera le Saint d’Israël, qui s’appelle le Dieu de toute la terre. Car comme une femme abandonnée et au cœur affligé, l’Eternel t’a rappelée ; la compagne de la jeunesse peut-elle être un objet de dédain ? Ainsi parle le Seigneur. »

L’expression de réprimande, aussitôt suivie de ‘’regret’’, se traduit ici par les formule « voilement de la face » (Is., 54,10) – istarti panim : je t’ai dérobé ma face. Nous savons aujourd’hui que cette assertion, dont se déduit l’un des noms de l’Eternel, témoigne d’une fréquence historique, qui a connu des sommets d’abandon, à différents moments de la dispersion. L’Alliance à laquelle il est fait référence prolonge celle que l’Eternel avait d’abord conclue avec Noah. Elle le fut à des étapes distinctes de l’époque de transition que représente la vie de ce patriarche : d’abord passée avec Noah et sa descendance, avant le Déluge (Noah : 6, 18), puis réitérée à l’issue du Déluge  (Noah : 9, 9). Au demeurant, ce pacte prit aussi différentes formes : il fut d’abord scellé comme une défense de la vie, au titre d’une assurance que l’Eternel ne causerait plus la destruction de tout vivant (Noah : 9, 11), pour finalement se matérialiser en signe de commémoration, sous la forme de la manifestation naturelle de l’arc-en-ciel (Noah : 9, 15-17).

Isaïe  façonne à présent son propre discours par allusion à l’antique mémoire divine de l’humanité ; mais il le fait au moment où Israël est de nouveau en chemin vers sa Terre. Et la réitération de l’Alliance  s’adresse délibérément – non plus aux trois fils de Noah – mais plus singulièrement à une fraction d’entre les fils de Sem. De surcroît, le principe de cette Alliance se trouve modifié aux dimensions d’une ‘’alliance de paix’’ (berit chalom) : « (54, 10) Que les montagnes chancellent, que les collines s’ébranlent, ma tendresse pour toi ne chancellera pas, ni mon alliance de paix ne sera ébranlée, dit Celui qui t’aime, l’Eternel ! »

A cet endroit, une remarque s’impose : il y a peu de probabilité que, dans le monde humain, la tendresse – hessed, ce mot désigne en vérité la bonté, la générosité – de l’Eternel infuse spontanément sans que l’humanité agisse pour en capter les échos. D’autre part, que signifie l’expression « alliance de paix » ? Prévenons d’emblée une mésinterprétation : saisi par l’air du temps, ne faisons pas erreur sur la véritable signification de ces deux mots (berit chalom). Ils ne sauraient désigner la formule triviale d’un pacifisme délité dans toutes les complaisances de l’esprit du temps. La fermeté du discours prophétique est aux antipodes. La paix a un prix qu’il ne faut pas méconnaître, en se payant de son seul mot, comme s’il suffisait de le proférer pour obtenir l’état qu’il désigne.

L’alliance de paix : méditer et agir

Ainsi cette Alliance, dont le Texte nous dit qu’elle est irrécusable, suffit-il seulement d’en avoir l’idée pour qu’elle demeure effective ? Ne convient-il pas aussi d’en connaître les termes pour l’incarner ? La paix dont il est ici question (chalom) suppose la plénitude (chelémout) de la présence d’Israël au message divin. Isaïe suggère en outre que la portée de l’Alliance comporte par elle-même une bénédiction qui se prolonge par-delà l’instant de son rappel. Celle-ci semble inclure deux conditions indépendamment desquelles son nom se vide de sens. La première condition serait que les enfants d’Israël assument d’en méditer les termes, mais aussi de l’agir, en repensant à chaque époque les perspectives de sa transmission : « (Is., 54, 13) Tous tes enfants seront les disciples de l’Eternel ; grande sera la concorde de tes enfants. »

La seconde condition, qui constitue le corrélat de la première, serait que les enfants d’Israël mènent une vie selon la justice révélée : « (Is., 54, 14) Tu seras affermi par ma justice : bannie toute idée d’oppression, car tu n’auras rien à craindre ; de terreur, car tu seras garantie contre elle. »

Aujourd’hui que le peuple d’Israël oscille entre deux cultures – la culture mondialisée et la culture nationale retrouvée- nous percevons et comprenons que le « déluge » de haine qui accompagne son Retour, revêt – comme par le passé – les formes d’un antagonisme radical. Mais la prophétie enseigne du même élan que l’attachement d’Israël à l’Alliance promet la défaite de ses ennemis : « (54, 15) Que si l’on se mettait contre toi, ce serait mon aveu ; quiconque se mettra contre toi succombera sur ton sol. »

Dans le même temps, l’intuition prophétique sait discerner qu’au long cours, la guerre menée contre le principe-Israël puise dans le gauchissement du langage son arme la plus affûtée : « (54, 17) Tout instrument forgé contre toi sera impuissant, toute langue qui se dressera contre toi pour t’accuser sera convaincue d’injustice ; tel est le partage des serviteurs de l’Eternel, et l’arrêt équitable qu’ils obtiennent de moi, dit l’Eternel. »

Bien que ces  versets témoignent aussi de la résistance que suscite constamment l’idée de l’Alliance, ils nous assurent de ce que la haine qui poursuit Israël corrompt irréversiblement ses ennemis. Ils nous enseignent, contre toute attente, que leur échec – ‘’leur langue’’, dit Isaïe, ‘’sera convaincue d’injustice’’ – pourrait augurer de leur éveil.

Conversion au judaïsme : quelques petites choses à savoir

Nous recevons régulièrement des demandes de conversion au judaïsme, ou, à tout le moins, des manifestations d’intérêt pour cette démarche. Ayant terminé ma propre conversion dans le courant de l’année 2021, il m’a semblé utile de noter quelques-uns des éléments que j’aurais aimé connaître quand je me suis lancé dans cette entreprise. Je ne pense pas qu’un seul d’entre eux aurait changé quoi que ce soit à ma décision ; mais il me semble néanmoins utile de vous adresser, à vous qui souhaitez, comme je l’ai fait, vous inscrire dans l’Alliance, quelques informations et avertissements.

La conversion au judaïsme est difficile

Une conversion au judaïsme est une entreprise longue, difficile, et qui demande beaucoup de temps, d’énergie et de détermination. Attention : ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, la porte est toujours ouverte et une personne sincère et dont la démarche est appropriée trouvera toujours au sein de Kehilat Kedem des interlocuteurs pour l’aider et la soutenir. Mais ne vous attendez pas à ce que les choses se fassent facilement : des efforts seront exigés de vous. C’est d’ailleurs ce qui rebute beaucoup de candidats.

La conversion au judaïsme libéral n’est pas une conversion light

Le judaïsme libéral, contrairement à ce que beaucoup de gens croient, n’est pas moins exigeant que le judaïsme orthodoxe en ce qui concerne les conversions. Il place seulement ses exigences sur d’autres points. Sur certains de ces points, d’ailleurs, le judaïsme libéral demande finalement davantage, en termes d’investissement personnel, que les courants traditionnels.

Vous n’avez (peut-être) pas besoin de vous convertir…

Tout dépend de vos souhaits et de vos objectifs : si ce que vous voulez, c’est assister aux cours et conférences, prendre part aux offices, en apprendre davantage sur le judaïsme, ou encore étudier l’hébreu biblique, il n’est pas nécessaire d’entrer dans une démarche de conversion. Vous pouvez parfaitement adhérer à la synagogue Kehilat Kedem et participer à ses activités sans pour autant vouloir devenir juif. Dans un premier temps, si vous n’avez pas d’attache particulière avec le judaïsme a priori, c’est d’ailleurs très certainement ce qui vous sera proposé : venez, participez, apprenez, et une fois que vous vous êtes fait une idée précise de tout ce qu’une conversion implique dans les faits, prenez votre décision et engagez-vous plus avant. Ou pas. Le choix vous appartient.

… mais cela peut tout de même être utile.

Vous pouvez très bien passer des années à participer aux activités de la communauté Kehilat Kedem sans pour autant vous convertir. Mais cela veut dire que votre implication demeurera limitée : tant que vous n’aurez pas achevé votre conversion au judaïsme, vous ne compterez pas au minian, ne pourrez pas monter à la Torah et ne pourrez pas prendre de responsabilités au sein de l’association. Pour ma part, ce dernier aspect a été une puissante motivation pour achever ma conversion. J’avais beaucoup reçu, au cours des années passées au sein de la communauté, et il était temps pour moi de rendre.

Préparez-vous à (beaucoup) étudier

Dans un premier temps, vous allez devoir apprendre des bases de langue hébraïque, étudier la liturgie juive, vous familiariser avec le calendrier juif, apprendre les prières et les chants, acquérir un vocabulaire spécialisé, riche et complexe et même vous familiariser avec la cuisine kasher. Cela ne va pas se faire tout seul. Les contenus pour débutants proposés sur le site sont un bon début mais ne suffisent pas. Si vous le souhaitez, vous pouvez suivre les cours d’introduction au judaïsme et d’hébreu biblique proposés par Kehilat Kedem. Vous pouvez également demander des cours particuliers à un rabbin ou autre enseignant. Mais quel que soit votre choix, sachez que tout cela représente beaucoup de travail. Il m’est déjà arrivé que des personnes intéressées par la conversion mais effrayées par l’importance d’une telle masse de connaissances à acquérir me demandent si c’est vraiment indispensable, si on ne peut pas s’en passer. Non, on ne peut pas s’en passer. Oui, c’est indispensable. La bonne nouvelle, cependant, c’est qu’il n’y a aucune date-butoir pour acquérir tout cela : si vous parvenez à ingurgiter et à assimiler tout cela en un an, c’est parfait; s’il vous faut dix ans, c’est parfait aussi.

conversion au judaïsme à Montpellier
L’apprentissage de l’hébreu, ou en tout cas, a minima, l’acquisition de rudiments, n’est pas négociable.

La conversion au judaïsme prend du temps

Comptez un grand minimum de deux ans, à supposer que vous suiviez des cours d’hébreu et d’introduction au judaïsme toutes les semaines et assistiez à tous les offices ou presque. Pour la plupart des gens, la conversion au judaïsme représente plutôt trois à quatre ans. Pour ma part, elle a pris sept ans : il faut dire qu’au milieu de cette période, mon emploi du temps a été plutôt secoué par la naissance de mes deux filles. Quoi qu’il en soit, sachez qu’il n’y a pas de règle : chacun prend le temps qui lui est nécessaire.

La vie juive en prend aussi !

On attend de tout membre de la communauté qu’il mène une vie juive. Cela signifie non seulement adhérer aux valeurs et aux coutumes du judaïsme, mais également s’inscrire dans la communauté, assister aux offices hebdomadaires et aux célébrations des fêtes juives, et ainsi de suite. Quand vous êtes en phase de conversion, il faut y ajouter le temps de cours et/ou d’études personnelles. Selon votre pratique personnelle et vos possibilités personnelles, attendez-vous à investir dans votre vie juive entre trois et huit soirées par mois, le double si vous êtes en période de conversion. Certains ne souhaitent pas consacrer autant de temps que cela à une activité cultuelle. Et c’est bien compréhensible. Mais alors pourquoi se convertir ?

Une vie juive ne se limite d’ailleurs pas à la seule pratique du culte. L’inscription dans une communauté et dans une synagogue repose sur trois piliers. Le culte est l’un d’eux. Les deux autres sont d’une part l’étude, qui est permanente et se poursuit toute la vie (un Juif n’a jamais fini d’apprendre; il n’a jamais fini de creuser, de remettre en question, de remettre en perspective…) et d’autre part l’aspect humain de la communauté, qui se traduit par des rencontres, des échanges, de l’entraide, la participation à des fêtes ou des repas communautaires, et ainsi de suite. Et il n’y a pas, dans le judaïsme, de frontière étanche entre ces trois aspects. 

La conversion au judaïsme est une forme d’acculturation

La conversion au judaïsme n’est pas une adhésion à un credo prédéfini. Voyez-la plutôt comme l’apprentissage d’une culture étrangère, de ses rites, de ses coutumes, de ses habitudes, de sa cuisine et de son mode de vie. Comparez-vous à une personne immigrant dans un pays étranger et souhaitant s’y intégrer : apprendre la langue est une première étape mais ne suffit pas.

 

Conversion au judaïsme pain de shabbat
Tôt ou tard, il vous faudra aussi apprendre à cuisiner les halot !

La conversion au judaïsme est une affaire de famille

Votre conversion ne concerne pas que vous : si vous vivez en couple, il sera exigé que votre conjoint soit mis au courant de votre démarche. Il ou elle n’a pas besoin de vous donner son approbation mais vous ne pouvez pas vous convertir à son insu.

Le judaïsme libéral reconnaissant la filiation juive pour les deux parents, vos enfants à venir (ainsi que les enfants en bas âge que vous avez déjà) seront considérés comme Juifs après votre conversion si vous êtes une femme; si vous êtes un homme, ils pourront être facilement convertis dans leur jeune âge (souvent en même temps que vous) si leur mère donne son accord et que vous vous engagez tous deux à les élever dans le judaïsme.

conversion au judaïsme et valeurs familiales
On n’est pas juif tout seul : on s’inscrit toujours dans une famille et une communauté.

La foi n’est pas indispensable…

Le judaïsme ne vous demande pas de croire mais de pratiquer : ce qui se passe dans votre tête et votre cœur vous regarde seul. La foi, c’est entre D.ieu et vous. Personne ne viendra jamais vous demander si vous croyez en D.ieu, ni comment vous y croyez. C’est intime, personnel, secret. Et ça ne regarde pas la communauté. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’évolution spirituelle durant le processus de conversion; il y en a une, et elle est puissante, mais elle se manifeste souvent de manière discrète. D’année en année, on la ressent, cependant, installée silencieusement, presque par sédimentation. On peut appeler cette évolution de diverses manières, et chacun, je pense, a un nom différent pour ce phénomène. Pour ma part, je la pense comme une ouverture aux dimensions verticales de l’être. Si vous ne comprenez pas réellement ce que je veux dire par là, soyez rassuré : moi non plus. Mais j’y travaille.

En revanche, ce qui vous sera demandé, c’est bel et bien de la pratique. La conversion au judaïsme n’est pas une question d’adhésion à un dogme rigide, mais bien d’adoption de pratiques spécifiques : participation aux offices, compréhension et pratique de la kasherout, et ainsi de suite.

… mais les valeurs du judaïsme libéral ne sont pas négociables

Kehilat Kedem s’inscrit dans le cadre du judaïsme réformé, et plus spécifiquement du judaïsme libéral. Cela signifie que nous adhérons à un certain nombre de valeurs et que nous nous attendons à ce que ceux qui souhaitent nous rejoindre y adhèrent aussi. Si vous ne vous retrouvez pas dans ces valeurs, ça n’est pas grave : vous êtes parfaitement libre de ne pas partager nos idées. Mais cela signifie que vous vous êtes trompé de synagogue : mieux vaut que vous alliez frapper à d’autres portes qu’à la nôtre. Ne rejoignez pas une communauté dont les valeurs ou les pratiques vous choquent ou vous rebutent; vous n’y seriez pas heureux.

Ceci dit, si vous êtes dans le doute, si vous hésitez, si vous n’êtes pas certain que le judaïsme libéral est fait pour vous, n’hésitez pas à contacter la synagogue : nous pourrons toujours discuter, vous accueillir pour quelques offices, et vous pourrez vous faire une idée par vous-même.

Tout cela a un coût

Eh oui … il faut bien à un moment ou à un autre en venir aux réalités matérielles : une conversion au judaïsme, qu’il soit libéral ou non, a un certain coût. Impossible, cependant, de vous indiquer un prix précis. En revanche, nous pouvons estimer grosso modo une fourchette générale, en nous basant sur les éléments suivants : admettons que vous allez rester trois ans en période de conversion (ce qui est une estimation raisonnable), et que durant cette période, vous allez vous acquitter à la fois des frais d’adhésion à l’association et de ceux liés aux cours d’hébreu biblique et d’introduction au judaïsme ; vous allez également assister aux grandes fêtes, faire quelques dons à cette occasion et un peu de tzedaka. Vous allez également faire l’acquisition de livres (livres de cours, Bible en hébreu ou bilingue…), sans doute faire quelques déplacements pour des visites ponctuelles. Et à la fin, il y aura de petits frais supplémentaires pour votre passage devant le Beth Din et au mikve, sans compter d’éventuels frais de voyage (par exemple, pour passer devant le Beth Din, vous devrez peut-être vous rendre à Paris). Au total, vous aurez sans doute dépensé entre 3000 et 5000 euros, lissés sur plusieurs années, dont un tiers à la moitié que vous pourrez récupérer en déduction fiscale si vous êtes imposable. Si vous êtes un homme, ajoutez à cela autour de 1000 euros pour la circoncision (il s’agit d’une opération chirurgicale délicate qui, ne relevant pas d’un besoin de santé, n’est pas remboursée par la Sécurité Sociale, ni généralement prise en charge par les mutuelles). Je précise que ces chiffres sont une estimation, à l’aune de ma propre expérience et pour une conversion qui s’est déroulée entre 2014 et 2021.

En cas de difficultés financières (ou si vous êtes aussi nul que moi en ce qui concerne la paperasse et laissez systématiquement traîner vos factures), sachez que la communauté sait se montrer compréhensive et peut s’adapter à vos moyens réels. Mais la conversion au judaïsme ne sera jamais gratuite : elle représentera toujours un certain investissement, en temps, en argent, en énergie et en efforts. Plus généralement, après la conversion, sachez que la vie juive aussi à un coût : les communautés ne vivent que des dons et du soutien financier de leurs membres et elles ont des frais importants (paiement des rabbins, qui pour la plupart n’ont pas d’autre source de revenus; location de salles; traiteurs pour les repas communautaires; aide aux démunis; et ainsi de suite). Comptez entre 200 et 400 euros par an au minimum, entre les frais d’adhésion, quelques dons, des participations à des événements particuliers, etc. C’est un petit budget, mais après tout ça n’est pas supérieur à ce que la plupart des gens dépensent pour leurs loisirs.

Et en pratique, comment se passe une conversion au judaïsme ?

Une conversion au judaïsme (ou guiyour) se déroule en plusieurs étapes. Dans un premier temps, il va vous falloir manifester votre intérêt pour notre communauté. Pour cela, rien de plus simple : il vous suffit de nous contacter, via le formulaire ad hoc. Je vous conseille de soigner ce premier message. Souvenez-vous que pour la personne qui va le lire, accepter votre candidature implique de vous voir plusieurs fois par mois pendant les prochaines années : il faut donc que vous convainquiez cette personne que vous n’allez pas lui faire perdre son temps. Prenez le temps d’expliquer votre démarche, les raisons de votre intérêt pour le judaïsme libéral en général et Kehilat Kedem en particulier, et ainsi de suite. Nous ne jugeons pas le message à sa longueur, ni à sa qualité littéraire ; en revanche, un premier contact bâclé a toutes les chances de ne pas recevoir de réponse : si vous n’êtes pas assez motivé pour prendre un instant pour nous expliquer votre démarche, comment pourrions-nous croire que vous le serez assez pour suivre des cours pendant plusieurs années ? Ce qui nous intéresse, c’est de sentir en vous un candidat sérieux, motivé, adhérant aux valeurs du judaïsme libéral et potentiellement un futur membre de notre communauté.

A la suite de ce premier contact, nous vous fixerons un rendez-vous téléphonique, suivi d’une rencontre physique, au cours de laquelle un ou plusieurs membres de la communauté échangeront avec vous et vous aideront à clarifier les points qui pourraient être obscurs.

Après cela, et si votre intérêt est confirmé, vous serez invité à participer à quelques offices, afin de vous rendre compte par vous-même de ce que représente la liturgie juive. Vous serez également invité à commencer l’étude de la langue hébraïque et du judaïsme en général. Vous serez aussi invité à des rencontres informelles, au cours desquelles les personnes en cours de conversion discutent avec un ou des membres de plus longue date de la synagogue, et qui sont l’occasion de renforcer les liens humains dans la communauté.

Après quelques mois, si vous restez intéressé, vous serez présenté à un rabbin, qui sera chargé de vous accompagner tout au long de votre démarche de conversion. Il vous demandera un premier écrit décrivant votre motivation, votre parcours spirituel et les avancées de votre conversion jusqu’ici. Selon vos disponibilités respectives et le temps que vous pouvez allouer à vos études judaïques, vous reverrez ce rabbin une à quatre fois par an, durant toute la durée de votre conversion. Pendant cette même période, vous continuerez à étudier et à participer aux activités de Kehilat Kedem, bien entendu.

Quand votre rabbin vous estimera prêt, il vous le fera savoir et obtiendra pour vous une entrevue avec le Beth Din, un tribunal rabbinique chargé de prononcer les conversions. Trois essais écrits vous seront demandés, qui seront présentés à ce tribunal : l’un décrivant votre parcours, un autre sur une question générale relative au judaïsme, un troisième sur un sujet libre, là encore en rapport avec le judaïsme (par exemple, ma question générale portait sur la kasherout, et pour mon sujet libre j’ai choisi certaines des implications éthiques de la notion de tikkun olam). Pour les hommes, un certificat de circoncision vous sera également demandé, rédigé par une personne habilitée à le faire (généralement la personne ayant procédé à la circoncision : les rabbins n’iront pas voir par eux-mêmes, et personne ne vous demandera de vous déshabiller pour vérifier !). Il vous faudra aussi avoir réfléchi au prénom hébraïque que vous souhaitez porter dans le cadre liturgique ; outre ce prénom, vous serez connu comme Ben/Bat Abraham (fils/fille d’Abraham; certaines préfèrent Bat Sarah).

Le passage devant le Beth Din peut être impressionnant : pour ma part j’y ai perdu mon latin et mon hébreu par la même occasion. Si le Beth Din accepte votre conversion, vous devrez ensuite passer au mikve, le bain lustral rituel, et y lire, à demi-immergé, des bénédictions spécifiques (en hébreu, bien entendu). Une fois ceci fait, mazel tov ! vous êtes enfin Juif. Ne croyez pas cependant que ce soit la fin de l’histoire : ça n’en est que le début. Vous portez désormais sur vous le poids de l’Alliance et la responsabilité des mitzvot. Vous comptez au minian et avez des responsabilités à l’égard de votre communauté. Bref : rien n’est fini, tout commence.

Tout cela a de quoi faire peur. Et à juste titre : oui, la conversion au judaïsme est un parcours long et difficile, et oui, ce parcours exige énormément de travail, de détermination et de persévérance. Mais trois éléments doivent également être pris en compte pour nuancer tout cela : tout d’abord, il faut avoir conscience que chaque pas vous fera avancer et contribuera à modifier votre point de vue et à enrichir votre expérience de vie et votre expérience spirituelle. D’autre part, il faut se souvenir que la conversion au judaïsme n’est en rien obligatoire pour participer aux activités de la synagogue. Enfin, le sentiment de satisfaction et d’accomplissement ressenti en sortant du mikve, quand on regarde derrière soi et qu’on réalise tout le travail réalisé, constitue un souvenir puissant, et ce moment marque fortement une existence.

Toujours pas découragé ? Voici quelques liens pour continuer…

Berechit : le Serpent a-t-il menti ?

La figure du serpent, présente dans Berechit, est à la fois familière et très mystérieuse. Un grand nombre de mythologies de la Méditerranée orientale et du Croissant fertile présentent une opposition entre le dieu céleste et bon et une incarnation du mal ou, à tout le moins, de l’opposition, sous la forme d’un serpent : Ra et Apophis, Enki et Enlil, Mardouk et Tiamat, Apollon et Python … l’Eternel et le Serpent. Pour autant, dans la Bible, si le reptile en question semble présenté sous un jour négatif, il n’en demeure pas moins une figure prométhéenne, en cela qu’il guide l’humanité vers le savoir et en paie lui-même le prix. On pense généralement qu’il trompe Eve et l’amène à la faute. Mais est-ce vraiment le cas ? A-t-elle réellement fauté ? Et le serpent a-t-il réellement trompé la mère de l’humanité ?

Les transformations d’Adam

Si le mythe de la création du premier couple humain a, bien souvent au cours de l’histoire, servi à justifier une place secondaire accordée aux femmes dans les sociétés humaines, ce passage, comme du reste toute la Bible, est avant tout ce que l’on décide d’en faire et peut être lu de bien des manières. Ainsi, par exemple, il est à noter que, contrairement à ce que l’on croit souvent, ce n’est pas Eve (Hawa), mais bien Isha qui croque le Fruit. A l’instar de nombreux personnages de la Torah, en effet, la mère de l’humanité change de nom après un événement marquant, pour indiquer qu’elle vient de vivre une initiation ou une conversion : tout comme Abram devient Abraham, Saraï devient Sarah ou Jacob devient Israël, Isha devient Hawa après l’épisode du Fruit.

Ce changement de nom n’a rien d’anodin : il indique, très clairement, que l’absorption du Fruit marque une transformation profonde de son être. Et ces transformations, chez les patriarches et les matriarches, sont toujours positives : elles indiquent un rapprochement avec la dimension spirituelle et verticale, jamais un abaissement. Mais remontons un peu plus haut et demandons-nous qui, au juste, est Isha.

Aux origines, D.ieu crée un être humain « à Son image » : Adam Ha Rishon (« l’Adam des Commencements »), lui-même reflet d’une vision céleste antérieure à la Genèse : l’Adam Kadmon (Homme Primordial), qui constitue en quelque sorte le schéma directeur de la Création. Cet Adam Ha Rishon, dont un midrash nous assure qu’il dispose de deux visages opposés, un peu à la manière de Janus, est ensuite coupé en deux quand D.ieu prélève un côté (et non une côte !) pour former Ish et Isha. Il faut donc voir cet épisode comme une séparation de l’androgyne originel, et surtout pas comme la création d’un être inférieur à partir d’un os surnuméraire. Isha est donc une moitié d’Adam Ha Rishon : la moitié de l’image divine, la moitié du plan céleste; et elle porte en elle le devenir de toute l’humanité.

Devenir semblable à D.ieu : la promesse du Serpent

Le Serpent promet (Genese 3 :4-5) qu’après l’ingestion du Fruit, Ish et Isha seront « semblables à l’Eternel », car connaissant le Bien et le Mal. Et il semble, d’après le texte, que cette promesse emporte la décision et encourage Isha à goûter au Fruit. On peut donc supposer qu’elle portait en elle un désir de se rapprocher de l’état divin. Et sans doute son erreur se trouve-t-elle précisément ici : dans le fait de rechercher une solution extérieure à son désir de similitude avec l’Eternel. Car pour se rapprocher réellement de l’état divin, elle dispose d’un moyen, et ça n’est pas la transgression de l’interdit du Fruit. Pour devenir semblables à D.ieu, il suffit aux humains de se rapprocher l’un de l’autre : l’image divine, ça n’est ni le mâle, ni la femelle de l’espèce, mais bien cet androgyne formé par le couple mêlé dans l’étreinte. Ce qui, en ce monde de matière, ressemble le plus à D.ieu, ce n’est pas la soif de connaissance, mais bien l’amour conjugal.

L'amour conjugal et le serpent : deux visions opposées de l'accession au divin
Si image de D.ieu il y a, ce n’est ni celle d’un homme, ni celle d’une femme, mais bien celle de l’étreinte d’un couple.

Si faute d’Isha il y a, elle se trouve ici : dans le fait d’avoir cru que l’on peut se rapprocher seul du divin, que l’on peut avoir une connaissance intime de la Transcendance sans s’embarrasser des autres, ni de l’Autre. Et que l’on peut acquérir cette proximité avec le Sacré uniquement par le savoir, sans se soucier d’empathie ni d’amour. Et pourtant, les humains, après avoir goûté au Fruit, vont bel et bien se rapprocher de l’état divin…

Une étrange punition

On cherchera en vain, dans les propos de l’Eternel au moment où Il apprend que les humains ont goûté au Fruit, la moindre trace de colère : si la plupart des lecteurs partent du principe que ce qu’Il prédit comme destin à l’Homme et à la Femme est une punition, en réalité, rien dans le texte biblique ne l’indique. Et on peut ne lire tout cela que comme une simple énumération des conséquences des actes d’Ish et d’Isha : la mortalité, la douleur, la souffrance, tout cela découle de leurs propres actes. S’agit-il d’une punition divine ? Pas nécessairement. Seulement de ce qui arrive quand on choisit la connaissance, au détriment de l’obéissance. On acquiert le savoir, et avec lui une forme de pouvoir, et donc de responsabilité. Tant qu’on ignore la différence entre le bien et le mal, tant qu’on demeure dénué de toute forme de moralité, on n’est responsable de rien. Mais dès que l’on prend conscience du bien et du mal (c’est-à-dire du fait que les actes ont des conséquences), tout change.

L’humanité avait le choix : elle pouvait opter pour une bienheureuse ignorance, une éternelle enfance, une sorte de béatitude semi-animale. Mais elle a préféré choisir la connaissance, la compréhension de l’éthique et de la morale, et ce qui en découle logiquement : la responsabilité et les souffrances.

Et à travers ces souffrances, à travers ces douleurs, aussi paradoxal que cela puisse sembler, l’humanité se rapproche du Divin. Car dès l’exil à l’est d’Eden, les humains héritent du monde, et en cela ils sont bel et bien semblables à D.ieu. Ils L’ont même, en quelque sorte, chassé du monde, car désormais ce sont eux, et non plus Lui, qui sont responsables de la Création. Commence alors la longue et lente marche vers la réparation du Cosmos, ce Tikkun Olam qui est la charge et le fardeau du genre humain et qui consiste non pas à réparer un péché originel qui n’a pas nécessairement eu lieu, mais bien à rendre vivable une Création imparfaite.

Et le Serpent, alors ?

On peut donc s’interroger sur cette figure du Serpent. Est-il réellement un vil tentateur ? N’est-il pas plutôt une figure émancipatrice ? Ne devrait-on pas le considérer comme une figure certes mystérieuse, mais au fond pas si négative que cela ? Car après tout, il pousse Isha à préférer la compréhension à l’obéissance. Et ceci est, au fond, un acte authentiquement philosophique, et surtout profondément humain. A ce titre, il parachève l’œuvre créatrice en poussant les humains à acquérir une morale et un libre arbitre véritable; peut-être, dès lors, doit-il être vu comme une figure démiurgique, sans doute plus maladroite ou pragmatique que réellement maléfique.

Photos :
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La haftarah de Bereshit

Par Georges-Elia Sarfati

Les Sages ont choisi un passage d’Isaïe (42,5-43,10) en guise d’ouverture prophétique de la section inaugurale de la Torah. La critique historique distingue dans ces versets un propos du Deutéro-Isaïe, qui aurait prophétisé entre -586 et -538, à l’époque de l’exil de Babylone, peut-être même au sortir de cet exil. La formule du messager fait directement lien avec le récit de la création (Ber.1), en même temps qu’elle en suppose les étapes ultérieures (Ber. 1, 20-25) :

« (42, 5) –Ainsi parle le Tout-Puissant, l’Eternel qui a créé les cieux et les a déployés, qui a étalé la terre avec ses productions, qui donne la vie aux hommes qui l’habitent et le souffle à ceux qui la foulent (…) »

La création du monde matériel et celle des espèces vivantes marque la première manifestation de la révélation de l’Eternel. Ses phases sont ici inversées : le propos d’Isaïe donne la préséance aux hommes – tandis que, dans le Sefer Bereshit, ils viennent après les autres vivants (Ber.1, 26-27 ; Ber.2, 5-7) – comme pour suggérer qu’une fois sorti du règne naturel, l’humanité devient responsable des autres créatures, puisque le fait d’habiter en ayant sous son regard ‘’ceux qui foulent la terre’’, signifie peut-être une forme de non-indifférence.

Dépositaire privilégié de la Révélation, le prophète prend également soin de rappeler qu’aux lois physiques de la création de la nature, l’Eternel a ajouté, à l’intention de l’humanité, la divulgation d’une instruction – la Torah – destinée à orienter la conduite humaine dans l’univers créé :

« (42, 21)- L’Eternel s’est complu, pour le triomphe de sa justice, à rendre sa doctrine grande et glorieuse. »

Cette précision revêt ici toute son importance. Elle nous enseigne à discerner qu’à la création d’un univers doté de lois naturelles coïncide celle d’une intelligence (nechama) accessible à la compréhension de lois spirituelles.

La proclamation d’Isaïe offre la version la plus épurée de la théologie hébraïque, celle de l’unicité et de la singularité inaliénable du Créateur. Cette conception fait valoir l’une des innombrables réfutations de l’idolâtrie si caractéristiques de la Bible :

« (42, 8) – Je suis l’Eternel, c’est mon nom ! Je ne prête ma majesté à aucun autre, ni ma gloire à des idoles sculptées. »

Nous comprenons chemin faisant que Son action en appelle à la puissance du don gratuit (la création procède d’une décision libre et volontaire qui s’exprime comme surgissement de la vie), et simultanément à une force spécifique de limitation de toute-puissance qui ne serait pas celle de l’Eternel (la justice). A ce point, la prédication prophétique voit dans Israël la possibilité même de l’introduction d’un sens dans l’histoire :

«(42,6)- Moi, l’Eternel, je t’ai appelé pour la justice et je te prends par la main ; je te protège et je t’établis pour la fédération des peuples et la lumière des nations ; pour dessiller les yeux frappés de cécité, pour tirer le captif de la prison, du cachot ceux qui vivent dans les ténèbres. »

La vocation morale d’Israel

Ce verset forme le cœur de la prophétie, il détermine la vocation d’Israël, en tant qu’’’appelé’’. S’il est une essence historique d’Israël, celle-ci consiste à véhiculer et instituer la justice dans le monde. La forme même de cette vocation s’affirme sous le signe du mandat providentiel (« je te protège et je t’établis »). Ce mandat comporte sa finalité propre : il est de l’ordre de la transmission universelle, dont la finalité s’incarne dans le rassemblement des différentes fractions de l’humanité (« la fédération des peuples »). Une longue tradition exégétique, autant que culturelle, souvent marquée du sceau du lieu commun, a fréquemment associé à l’idée d’Israël l’expression d’Isaïe : « pour la lumière des nations ». Celle-ci traduit une intention autant qu’une direction : il ne saurait s’agir d’une hégémonie politique, mais davantage d’une destination morale, intéressant de proche en proche les entités politiques (les ‘’nations’’). Précisons ici que la « lumière » d’Israël irradie celle qui a présidé à la création (Ber. 1, 3). L’alternance lexicale peuple (am)/nation (goy) indique bien que la « justice » comprise par Israël est appelée à informer les cultures populaires, antérieurement à leur affirmation politique. Cela nous enseigne que le musar /l’éthique juive constitue la véritable assiette des peuples, antérieurement à leur constitution en nations.

Isaïe institue une véritable synonymie entre la présence au monde d’Israël et l’instauration universelle de la justice (tsédèk), dont l’esprit, y compris reçu et réinterprété par les peuples – constituées en nations ou pas – sera susceptible de dissiper l’iniquité et d’éveiller à une autre possibilité de l’histoire, émancipée de l’ignorance (« ténèbres »), comme de la tyrannie (« cachot ») et de l’oppression (« prison »), que celles-ci résultent de l’excès des passions ou de la malignité des pouvoirs.

Mais la vocation d’Israël – qui est obligation morale – ne va pas sans risque, car le Serviteur de l’Eternel lui-même peut aussi bien refuser d’assumer sa mission. A la fois obligé et témoin, Israël – du fait de sa diversité même – diversité qui l’expose aux tentations autant qu’aux écueils d’une histoire éclatée – est susceptible de s’insurger contre la « lumière » – c’est-à-dire l’Instruction – dont il a la charge :

« (42, 19) – Qui est aveugle, sinon mon serviteur, sourd, sinon le messager que j’envoie ? Qui est aveugle comme le favori (du Seigneur), aveugle comme le serviteur de l’Eternel ? Tu as vu de grandes choses et tu n’as pas fait attention; tu avais les oreilles ouvertes sans rien entendre ! »

La profération d’Isaïe retentit d’une tonalité renouvelée, depuis la renaissance d’Israël, puisque la conscience de sa vocation, et la congruence avec l’intelligence de sa tradition demeurent des enjeux toujours actuels. Aux uns, elle rappelle que la moralité ne saurait s’abstraire de l’histoire, aux autres que l’histoire ne saurait se dérouler au mépris de la moralité.  Et à tous, que le souci de l’unité et la conscience de la fidélité conditionne la possibilité d’une histoire sensée :

« (43, 10) – Vous, vous êtes mes témoins, dit l’Eternel, et le serviteur choisi par moi pour reconnaître, pour croire en moi et être convaincu que moi JE SUIS : qu’avant moi, nul Dieu n’a existé, et qu’après moi, il n’y en aura point. »

Etudier à Kehilat Kedem avec Georges-Elia Sarfati

Depuis un an, Kehilat Kedem a la chance de compter parmi ses principaux intervenants en études juives, le professeur Georges-Elia Sarfati.

Philosophe, linguiste, traducteur, diplômé de l’institut rabbinique Schechter de Jérusalem, docteur en études juives de l’université de Strasbourg, psychanalyste existentiel, Georges-Elia Sarfati nous a d’abord fait voyager dans la tradition éthique du judaïsme, dont il est l’un des plus éminents spécialistes. C’est en effet au cours d’un premier cycle de dix séances, que GES nous a initiés à cette pratique spirituelle qu’est le Moussar. Et c’est en travail de binômes très motivés que nous avons pu plancher pendant ces cinq derniers mois.

Pour vous donner une idée de ce qu’est le Moussar, n’hésitez pas à cliquer sur ce lien pour écouter ou réécouter une émission de Talmudiques de Marc-Alain Ouaknin avec Georges-Elia Sarfati.

Vous pouvez également lire l’excellent article de GES sur « l’Esprit du Moussar » via le lien.

Cette étude sur le Moussar a été introduite par une conférence inaugurale le 15 octobre dernier co-organisée par Kehilat Kedem et l’Institut Universitaire Maïmonide-Averroès-Thomas d’Aquin avec pour thème : « Viktor Frankl (1905-1997), Le Dieu Inconscient, Psychothérapie et religion » . Lors de cette conférence, Georges-Elia Sarfati a introduit son travail sur la logothérapie ou thérapie existentielle créée par le psychologue et penseur juif Victor Frankl, lui-même très imprégné de cet héritage éthique du judaïsme. Nous avons le plaisir de vous offrir le replay de cette conférence.

Un second cycle sur le Moussar aura lieu à la rentrée qui pourra également être suivi par les personnes qui n’auraient pas eu la possibilité d’être présents sur le 1er cycle. Nous vous tiendrons informés.

Soucieux de répondre à notre soif d’études, GES a également rejoint depuis le début de l’année notre groupe d’étude de lecture de la Bible en havrouta (travail en binômes) qui se tient en visio-conférence deux fois par mois. Pour en savoir plus sur cet atelier qui réunit des passionnés de l’interprétation de nos textes, vous pouvez cliquer sur ce lien.

Pour terminer l’année d’études, un cycle de quatre conférences passionnantes et essentielles sur la question du judaïsme contemporain après la Shoah vient de débuter. Pour en savoir plus sur cette série de conférences, vous pouvez cliquer ici.

Par ailleurs, Georges-Elia Sarfati  vient de donner une interview sur Radio Aviva que nous vous invitons à écouter ici.

Essayez un de ces cours! Cela pourrait donner une « sacrée » dimension à votre étude!

Atelier Moussar : La responsabilité dans le Talmud (étude en binôme)

Un cycle de 6 cours bi-mensuel en ligne et en présentiel (pour certains cours), animé par Georges-Elia SARFATI * et proposé à partir du dimanche 10 octobre

Atelier « Ethique du judaisme »

Exister selon le Moussar : la responsabilité

(Etude du Talmud en havrouta/binôme)

Ce cycle thématique sur la responsabilité fait suite au cycle d’initiation pratique au Moussar – tradition éthique du judaisme – qui a eu lieu au cours de l’année 2020-2021. Lors des dix séances d’initiation, nous nous étions appliqués à identifier et pratiquer les principaux exercices spirituels du Moussar « in abstracto », c’est-à-dire indépendamment des textes qui constituent le lieu naturel de leur compréhension. A présent, nous proposons de renouer avec les conditions classiques de l’étude. Pour ce faire, le Talmud offre une très grande latitude de possibilités thématiques. Ce cycle est totalement accessible à ceux qui n’auraient pas pu être présents pour le 1er cycle : un rappel approfondi sera proposé au début du cycle.

Le thème de la responsabilité est assurément l’un des thèmes privilégiés par la sagesse juive, peut-être même sa condition première. Pourtant, la sagesse rabbinique cherche moins à définir la notion de responsabilité, que de répondre à la question : en quoi consiste une attitude responsable ? La notion se déduit en quelque sorte de l’expérience.

La quête de l’être responsable caractérise en outre l’existence juive, quelle que soit les convictions personnelles, puisque la responsabilité se révèle dans les actes. La tradition talmudique consacre nombre de textes à ce thème, pour en montrer l’ampleur mais aussi la diversité de ses domaines d’application.

Comme il est de règle, le Moussar prend appui sur les ressources de la tradition pour proposer des motifs de réflexion pratique. Notre étude partira de la lecture de certains textes du Talmud Babylone, pour aborder leurs enjeux individuels et collectifs, de manière également à en expérimenter la signification. Il s’agira de s’en approprier les enseignements en faisant appel à la compréhension de chacune et de chacun.

Les perspectives pratiques de ces enseignements seront directement appelées par le principe du dialogue et du partage des implications personnelles entre participants – par le travail en binôme -, puisque la fréquentation de ces textes fait apparaître leur portée existentielle toujours actuelle.

Les cours ont lieu en ligne le dimanche tous les 15 jours de 18h à 20h, à partir du dimanche 10 octobre.

Dates 

Dimanche 10 octobre

Dimanche 24 octobre,

Dimanche 7 novembre

Dimanche 21 novembre

Dimanche 5 décembre

Dimanche 19 décembre.

Tarifs 

Adhérent : 75 euros le cycle  – 15 euros la séance,

Non adhérent : 100 euros –  20 euros la séance.

  • Philosophe, linguiste, traducteur, diplômé de l’institut rabbinique Schechter de Jérusalem, docteur en études juives de l’université de Strasbourg, psychanalyste existentiel. Si vous souhaitez en savoir plus sur G.-E. Sarfati et sur le Moussar, vous pouvez vous reporter à l’article Etudier avec G.-E. Sarfati qui comporte un grand nombre de liens vidéos et audios passionnant sur le Moussar qui a été proposé à notre communauté.
Inscription 

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Un mail de confirmation vous sera immédiatement envoyé.

Dans un second temps, peu avant le jour de la conférence, vous recevrez le lien ZOOM de connexion.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à nous les adresser via ce formulaire.


    Parasha Nitsavim: la Téchouva n’est pas au ciel

    Par Sophie Bismut, étudiante rabbin

     

    Nous lisons la parachat Nitsavim ce dernier chabbat qui précède Roch Hachana.
    L’éloquence de Moïse, l’homme bègue du buisson ardent, atteint des sommets. Ce sont ses derniers
    jours de vie, son dernier même selon Rachi. Moïse adresse un discours vibrant aux enfants d’Israël
    qui sont dans les plaines de Moab et s’apprêtent à entrer en terre d’Israël. Il s’adresse à tous,
    hommes et femmes, adultes et enfants, étrangers qui vivent avec eux, quel que soit leur fonction,
    leur statut social.

    Il renouvelle l’Alliance : « Vous êtes placés aujourd’hui vous tous, en présence de l’Eternel (…) afin
    d’entrer dans l’alliance de l’Éternel ton Dieu ». Sûrement pressent-il les difficultés à venir. Il se
    montre sévère envers ceux qui se détourneraient de Dieu et de l’Alliance mais affirme qu’il est
    toujours possible à celui qui se détourne de revenir.

    Son discours se termine avec ces versets magnifiques de simplicité et de force :
    « Certes, ce commandement (ha-mitsva ha-zot) que je te prescris aujourd’hui n’est pas trop ardu
    pour toi, ni placée trop loin. Elle n’est pas dans le ciel pour que tu dises : « Qui montera pour nous au
    ciel et nous l’ira quérir, et nous la fera entendre afin que nous la fassions ? » Elle n’est pas non plus
    au-delà de la mer, pour que tu dises : « Qui traversera pour nous la mer et nous l’ira quérir, et nous la
    fera entendre afin que nous puissions la faire ? ». Non, la parole est tout près de toi, dans ta bouche
    et dans ton cœur, pour que tu la fasses » (Dt. 30:11-14).

    Quel est « ce commandement / ha-mitsva ha-zot » ? La plupart des commentateurs y voient une
    référence à toute la Torah. Moïse nous rappelle ainsi que la Torah et les mitsvot sont à notre portée.
    Nous savons bien que la compréhension de la Torah et l’observance des mitsvot sont difficiles, ardus.
    Pour autant, ils sont possibles pour tous. La Torah n’est pas réservée à une élite d’érudits ou de
    « religieux ». Elle est pour tous : hommes, femmes, adultes, enfants, quels que soient notre
    profession, notre niveau de richesse, notre statut social. Nous avons tous une part dans la Torah,
    nous avons tous une voix à porter dans la conversation infinie entre le ciel et la terre.
    Alors que nous approchons de Roch Hachana, du « jour du jugement », il est aussi intéressant de se
    tourner vers une autre lecture de ce passage. Ramban explique en effet que ces versets font
    référence au commandement spécifique de la téchouva, le repentir ou plus littéralement le retour.
    Les versets précédents ce passage décrivent comment Israël reviendra à Dieu et sera restaurée sur sa
    terre. Selon Ramban, c’est la techouva même qui constitue « ce commandement que je te prescris
    aujourd’hui ».

    À la veille des « jours redoutables » qui vont de Roch Hachana à Yom Kippour, nous sommes invités à
    engager un examen personnel de nos vies. Il nous faut faire le point de l’année passée, de nos
    réussites et de nos faiblesses, de nos manquements et examiner ce que nous pouvons changer dans
    cette année qui s’ouvre. La tâche est difficile mais, vient nous rappeler et nous encourager. La paracha
    de cette semaine, nous ne devons pas la considérer trop difficile pour nous. Elle est réalisable.
    La techouva n’est pas au ciel ni au-delà des mers. Ce n’est pas seulement une belle idée ou un
    concept théorique, mais une entreprise à notre portée. « La parole est tout près de toi, dans ta
    bouche et dans ton cœur pour que tu la fasses ». La techouva est dans nos bouches, par les mots que
    nous prononcerons pour reconnaître nos manquements et nos fautes. Elle est dans nos cœurs par la
    sincérité et l’engagement avec lesquels nous entrons dans ces journées du jugement. Et elle est aussi
    dans nos actes par lesquels nous entreprenons de changer nos vies.

     

    Photo : Fares Hamouche – Unsplash

    Parasha Haazinou, un cantique comme antidote contre les tentations

    Par Gérard Feldman

    Du  peuple témoin au peuple conquérant

    La parasha Haazinou (ch.32) est composée du Cantique de Moïse annoncé dans Vayelekh. Elle se présente comme une antidote contre les tentations – toujours présentes – des Hébreux à abandonner le chemin de ha Shem. Elle annonce aussi la mort de Moshe. Il verra la terre donnée, mais ne pourra y pénétrer en raison de la faute commise dans l’épisode des eaux de Meriva à Cadesh. Moshe et Aahron ont alors désobéi à ha Shem. Ils ont frappé par deux fois le rocher pour obtenir de l’eau alors qu’ils avaient pour consigne de lui parler.

    Dans Bamidbar (Nombres, 20, 12), il est écrit : «  Mais l’Éternel dit à Moïse et à Aaron: « Puisque vous n’avez pas assez cru en moi pour me sanctifier aux yeux des enfants d’Israël, aussi ne conduirez-vous point ce peuple dans le pays que je leur ai donné. »

    LE Cantique Haazinou rassemble le peuple hébreu

    Dans ce dernier chant, Moshe s’adresse aux cieux et à la terre pour proclamer le Nom de ha Shem, sa force et sa justice parfaites. Même s’il y a le bien et le mal, la balance penche vers le bien. Puis le cantique rappelle que le monde a été créé en fonction des enfants d’Israël et les enfants d’Israël pour le monde. Rachi explique : « C’est selon le nombre des enfants d’Israël, qui allaient être issus de Chem, et le nombre de soixante-dix âmes des enfants d’Israël qui sont descendues en Egypte qu’Il a « fixé les limites des peuples » en soixante-dix langues, que les 70 peuples de la terre et leurs 70 langues ont été conçues à partir des 70 hébreux ». Et le cantique rappelle tous les bienfaits dont Israël a bénéficiés en conséquence. Yaacov (Jacob est « le lot de son héritage » (v.9), lui, le troisième patriarche qui synthétise les qualités des deux précédents.

    Ha Shem se désole ensuite de l’inconduite de Son peuple et promet de les punir en conséquence : «J’entasserai sur eux tous les malheurs » (v.23).

    Mais au verset 27,  ha Shem reprend l’argument que lui avait soufflé Moshe après l’épisode du Veau d’Or. Si ha Shem laisse les ennemis d’Israël le détruire, ceux-ci croiront que c’est grâce à leur seule puissance qu’ils ont triomphé. Il ne peut les laisser croire cela. C’est pourquoi le cantique se termine par ces mots (ha Shem) «  réhabilite sa Terre et son Peuple ».(v. 43).

    Le cantique de Moïse joue un rôle fédérateur et constitutif du peuple d’Israël. Il met en garde contre les dérives. Mais surtout, il montre la voie de l’unité du peuple, sans laquelle il n’aura pas la force de résister à ses ennemis. C’est la voie de la Sagesse.

    Comme nous l’avons vu à la fin de Vayelekh, il joue le même rôle que tous les textes (à commencer par la Torah et les Talmuds) qui ont rassemblé les Hébreux, puis les Juifs dans leur histoire.

    La mort de Moshe : punition ou miracle ?

    Moshe monte au mont Nevo pour contempler « le pays que Je donne  aux enfants d’Israël en propriété (32,49). Il n’y a aucun doute. Il ne s’agit pas d’une vague promesse mais d’un don sans condition.

    La mort de Moshe ne se résume pas à une punition pour une faute commise dans l’épisode des eaux de Meriva. Celle-ci peut paraître vénielle, surtout comparée aux immenses mérites de Moshe.

    Il s’agit d’un véritable renouvellement du pacte entre ha Shem et le peuple d’Israël. Comme il est écrit dans la parasha Ki Tavo (Deutéronome, 28,69) : « Ce sont là les termes du pacte que ha Shem ordonna à Moshe d’établir avec les enfants d’Israël dans le pays de Moav, indépendamment (מלבד – Milvad) du pacte qu’il avait conclu avec eux au Horeb ».

    Jonathan Sandler (dans Pour plus de lumière)  s’appuie sur le Rav letton Hacohen de Dvinsk (1843 – 1926, Mechekh Hochma ) pour expliquer que Iéhoshouah (Josué) n’aurait jamais pu conquérir Kenaan sans le regard de Moshe. Il compare le regard de Moshe qui parcourt la terre de Kenaan au périple d’Avraham. Ce dernier propagea, au cours de ses différentes étapes, l’idée de la Transcendance Une. Le regard de Moshe s’inscrit dans la continuité du périple d’Avraham. La marque des deux hommes c’est le Hessed, la bonté, la compassion.

    La parasha Haazinou fait référence au Hessed d’Avraham quand, au verset 32, le texte parle de Sodome et Gomorrhe. Nous nous souvenons du célèbre épisode où Avraham tente de sauver les cinq villes de l’agglomération. Ha Shem voulait les détruire à cause des horreurs commises par leurs habitants. Avraham Lui objecta : et s’il y avait cinquante justes (dix par ville) les détruirais-tu ? Et Avraham poussa le bouchon jusqu’à dix justes pour sauver au moins une ville. Et à chaque fois ha Shem acquiesça.

    Une négociation qui deviendra un pacte

    De la même manière, Moshe négocia à plusieurs reprises avec ha Shem pour sauver son peuple de l’extermination, après le Veau d’or ou après l’épisode des explorateurs. Le plus grand prophète d’Israël commença même sa carrière en Egypte, où il est écrit : « Moshé, ayant grandi, alla parmi ses frères et fut témoin de leurs souffrances. » (Shemot/Exode, 2,21). Rachi commente : « il s’appliqua de tous ses yeux et de tout son cœur à souffrir avec eux. »

    C’est justement ce regard plein de compassion pour son peuple que Moshe porte du haut du mont Nevo sur Kenaan. Cette compassion est indispensable car elle est aussi transmission. Mais elle ne suffit plus. Il faut un autre pacte (voir Ki Tavo  28,69 cité plus haut)  qui sera marqué par la rigueur et la détermination pour entrer en Kenaan. Ce pacte n’annule pas l’autre, mais le complète.

    La référence aux Eaux de Meriva le démontre bien. Ces eaux se trouvent à Cadesh. Cadesh c’est le lieu d’où sont partis les explorateurs. Ils revinrent découragés de leur exploration de Kenaan, à l’exception de Iéhoshouah et Calev. A leur retour, ces explorateurs, et tout le peuple avec eux, voulurent revenir en Egypte. Moshe ne soutint pas alors les deux chefs qui ont tenu bon. Il ne s’exprima pas explicitement. Sa seule intervention sera une nouvelle fois pour sauver son peuple de la colère de ha Shem. Il était bien dans le Hessed, mais pas dans la conquête.

    Il faudra donc Iéhoshouah pour ouvrir une nouvelle période, comme il a fallu Its’haq, incarnation de la rigueur et de l’implantation en Kenaan, pour succéder à Avraham.

    Photo : Karina Zhukovskaya – Pexels

     

    Sur l’esprit du Musar

    Par G. E. Sarfati

    Si l’on veut appréhender avec quelque exactitude l’esprit du Musar, il convient d’en situer la source dans la tradition du judaïsme la plus ancienne, puisque ses thèmes principaux se rencontrent déjà dans le Livre des Proverbes[1] : « Grâce à eux (les paroles de Salomon), on apprend à connaître la sagesse et la morale (Musar), à goûter le langage de la raison, à accueillir les leçons de bon sens, la vertu, la justice et la droiture. » L’esprit du Musar s’enracine dans le Texte biblique, et, de proche en proche, irradie comme une énergie continue tout au long des principales branches de la pensée hébraïque, avec une insistance toute particulière sur les fins pratiques : Talmud, Halakha, Midrash, Kabbale, Philosophie… C’est dire que l’esprit du Musar définit peut être l’invariant le plus stable de ces textes qui appellent à la spiritualisation de notre humanité.

    La raison principale de cette aspiration, qui est aussi une ambition civilisationnelle, procède d’une idée simple, aussi bien qu’excessive, au regard de la complexité de la condition humaine : l’existence d’un dieu spirituel appelle chacune et chacun à la conduite d’une vie spirituelle. La longue histoire de la prophétie d’Israël n’enseigne pas autre chose. A sa manière spécifique, le Musar peut par conséquent se comprendre comme l’un des plus anciens programmes éducatifs du genre humain. Et là réside aussi la singularité de la vocation d’Israël, mais sans doute aussi de son « élection ». En Hébreu, il est question du « choix d’Israël », mais le même mot veut aussi désigner une épreuve. Le Musar est une mise à l’épreuve, un défi lancé à la condition humaine, pour l’ouvrir à la transcendance, dans ce monde-ci. C’est aussi le paradoxe de Musar, cela même qui en fait une discipline exigeante.

    Une discipline exigeante

    Au-delà des premiers enseignements systématiques : Livre des Proverbes, Maximes des Pères, ce sont les philosophes du judaïsme qui dès le 10e siècle de l’ère commune, inaugurent une tradition d’écrits de Musar, qui tend à en faire une branche distincte du corpus rabbinique, de manière à dessiner une voie de transmission complémentaire de cette sagesse pratique : il en va ainsi de Saadion Gaon (dans un chapitre du Livre des croyances et des opinions) à Mendel de Satanov (dans son beau livre : Examen de conscience), selon une chaîne de transmission ininterrompue. Ainsi comprise, la tradition du Musar définit une perspective didactique, destinée à doter l’apprenant des moyens de l’autonomie, dans le domaine de sa propre croissance spirituelle. C’est ainsi que s’explique la rédaction d’un très grand nombre de courts traités – du 10e au 19e siècle -, dans toutes les sphères et les latitudes de la diaspora : orientale aussi bien qu’occidentale, à chaque époque aussi. Chacun de ces traités avance une proposition pédagogique, avec sa méthode de progression, chacun de ces traités reproduit à l’écrit les conditions d’une transmission personnelle, de maître à disciple : Les devoirs des cœurs(Ibn Paquda), Le livre de la correction des traits de caractère (S. Ibn Gavirol), Le chemin des justes (M. H. Luzzatto),  etc.

    Chacun de ces courts traités, selon le style spirituel et la philosophie de son auteur identifie un cycle des vertus exposé avec un ensemble de recommandations visant en faciliter mais aussi à en permettre l’acquisition. On peut se demander pourquoi les Sages d’Israël ont éprouvé le besoin de dessiner les voies d’un enseignement distinct du Musar, alors que sa visée principe caractérise déjà l’entier de la tradition ? Cette innovation, qui se produit dès le début du haut moyen âge, s’explique par les mutations survenues dans l’organisation des communautés juives dispersées depuis un millénaire, à l’époque où elles manquaient de maîtres, où la persécution grandissait, sous toutes les latitudes, dans un contexte de crise de la transmission et d’instabilité généralisée, avec son cortège d’insécurité et de risque d’assimilation, mais aussi d’implosion psychique et spirituelle. L’invention d’une tradition de Musar didactique, fut un signe de sagacité dans une période de crise du sens, au cours de laquelle, et dans le meilleur des cas, le ritualisme menaçait de l’emporter sur le rapport vivant au Texte et le primat de l’intériorité (l’authenticité et la pureté de l’intention).

    Le Musar : Ethique ou approfondissement du sentiment religieux ?

    Il serait donc abusif de réduire la tradition du Musar à la seule culture d’un souci ‘’éthique’’ dans le sens ordinaire de ce terme. C’est ce que semble confirmer le philosophe israélien Y. Leibovitz [2], lorsqu’il pointe ce que cette vue a de restrictif : « J’ignore si l’on peut inclure cette orientation dans le concept d’« éthique », puisqu’il s’agit d’approfondir la pratique religieuse – et celle-ci n’est pas un concept éthique. »

    Cette réserve est d’autant plus justifiée que l’histoire du Musar comporte en réalité deux époques bien différenciées : d’abord celle que l’on pourrait appeler l’époque du Musar individuel, caractérisée par l’innovation didactique que nous venons d’évoquer, et celle, beaucoup plus récente du Mouvement du Musar (Tenua’t ha Musar), qui voit le jour au cours de la seconde moitié du 19e siècle, en Lituanie, à l’initiative de Rabbi Israël Lipkin Salanter [3] (1810-1883). Ce maître itinérant, qui parcourut à pied d’est en ouest et d’ouest en est toute l’Europe, pour diffuser la pédagogie nouvelle dont il fut l’artisan, s’adressait à tout le monde, à une époque de nouveau marquée par le regain de la judéophobie (antisémitisme théocratique des tsars de Russie, antisémitisme « moderne » des nations entrées dans l’ère des ‘’Lumières’’), dans un contexte de mutations politiques, économiques, idéologiques (Révolution industrielle, révolutions politiques, Printemps des peuples, etc.). Maître de la transmission orale, il a renouvelé l’étude du Musar en préconisant la fondation de petits groupes d’études susceptibles de transmettre à leur tour.  Salanter a posé les bases d’une nouvelle institution – la maison du Musar – considérant que la pratique spirituelle devait précéder, puis nourrir, l’affiliation à la tradition aussi bien que les pratiques de vie quotidienne. En effet, comme le précise très justement  Y. Leibovitz  : « Le mouvement moral (Musar) a cherché à orienter la conscience humaine vers la pureté des intentions lors de la réalisation des mitzvot. Il s’agit donc d’intérioriser ces pratiques. »

    Le Musar : une médecine spirituelle ?

    Contemporain de la Haskala, ainsi que des débuts du Sionisme, sans en être l’adversaire, le Ris considère que vivre selon Israël c’est d’abord remembrer spirituellement l’Assemblée d’Israël (le Kelal Israel). L’ouverture d’esprit qui caractérise son enseignement se conçoit à l’aune de sa propre filiation culturelle : le Ris continue et élabore, en l’adaptant au plus grand nombre, la philosophie morale et la pensée cabbalistique du Rabbin Hayyim de Volozhyne[4].

    Considéré sous le rapport de ce qu’il comporte de plus original, la contribution du Mouvement du Musar se conçoit comme une pédagogie active en même temps qu’une entrée critique dans la modernité : si le progrès scientifique constitue une valeur objective et collective, il ne saurait se substituer à l’effort de perfectionnement spirituel sans lequel tout accomplissement, réussite ou réalisation matérielle, menace de s’inverser en chosification de l’être humain. Ainsi compris, le musar actualise dans le champ contemporain les enjeux de toute école de sagesse : une médecine spirituelle, capable de combattre les « maladies de l’âme » (à commencer par l’enferment égoïste ou égotiste), et les horizons de sens promis à tout exercitant.

    Par Georges-Elia Sarfati

    Georges-Elia Sarfati est docteur en études hébraïques et juives (université de Strasbourg), fondateur de l’Université populaire de Jérusalem- Hébraïca/Retour aux Textes

    - [1]Proverbes 1, 1-2
    - [2]Y. Leibowitz, Israël et Judaïsme. Ma part de vérité. Entretiens avec M. Shashar, Paris, Desclée de Brouwer, préface et trad. de G. Haddad, p.91, 1993.
    
    - [3]Rabbi Israël Lipkin de Salant, Or Israel/La lumière d’Israël, traduction française de G.-E. Sarfati, Paris, Berg International, 2014.
    
    - [4]Rabbi H. de Volozhyn fut l’un des grands disciples du Gaon de Vilna, et le maître de Joseph Zundel, qui fut lui-même le maître de Rabbi Salanter. Cf. H. de Volozhyn, Nefesh hahayyim/L’âme de la vie, traduit par B. Gross, préface d’Emmanuel Lévinas, Paris, Verdier, 2014.