A la una yo naci

Chanson séfarade en ladino, A la una yo naci a été composée au Moyen-Âge. Son auteur est inconnu mais la popularité du chant l’a amené, au fil de l’Histoire, à faire partie intégrante de l’héritage culturel juif espagnol. Cette chanson est régulièrement entonnée au sein de Kehilat Kedem, notamment à la fin de dîners shabbatiques. La chanson est ici présentée dans une version du groupe Sephardica.

A la una yo naci

A la una yo nasi
A las dos m’engrandesi
A las tres tomi amante
A las kuatro me casi

Dime ninya donde vienes
Ke te kiero konoser
Si tu no tienes amante
Yo tiare defender

Yendo a la Guerra
Dos bezos al aire di
El uno es para mi madre
Y el otro para ti

À la une je suis née

À la une, je suis née
À la deux, j’ai grandi
À la trois, j’ai pris un amant
À la quatre, je me suis mariée.

Dis-moi, petite, d’où viens-tu ?
Car je veux te connaître
Et si tu n’as pas d’amant,
Je te défendrai.

Je m’en vais à la guerre,
J’ai lancé deux baisers en l’air

Le premier baiser pour ma mère,
Et l’autre pour toi.

Melchisedek et Abraham : Lekh Lekha et de lointains héritages

Melchisedek n’est sans doute pas le premier personnage auquel on songe quand on évoque Lekh LekhaIl y joue cependant un rôle qui, pour être bref, n’en est pas moins capital, et mérite qu’on s’y arrête un instant. 

La parasha Lekh Lekha est généralement considérée comme présentant l’acte fondateur du monothéisme hébraïque et de ce qu’on appelle la révolution abrahamique. Elle présente le début de l’histoire d’Abraham Avinou. On y voit le jeune Abram, né en Mésopotamie, recevoir l’ordre du Seigneur de quitter sa famille et sa terre d’origine pour se rendre au pays de Canaan. D.ieu promet à Abram de faire de sa descendance une grande nation et que « Je bénirai qui te bénira et Je maudirai qui te maudira ; par toi seront bénies toutes les nations de la terre. ». Abram se met donc en route, accompagné de sa femme Saraï et de son neveu Lot. Il s’établit à Canaan et campe près des chênes de Mamré. Mais une famine contraint la tribu à fuir le pays et à se rendre en Egypte. Là, Abram fait passer Saraï pour sa sœur ; elle devient une concubine du roi d’Egypte, lequel, lorsqu’il découvre la supercherie, cesse la liaison, la restitue à Abram et lui verse un important dédommagement, avant de le renvoyer. De retour en Canaan, suite à une dispute, Lot quitte la tribu et part s’établir à Sodome. D.ieu promet à Abram une descendance innombrable. Quelque temps plus tard, une guerre éclate entre plusieurs potentats locaux et Lot, parti guerroyer avec les hommes de Sodome, se trouve dans le camp des vaincus et est fait prisonnier par les forces d’Elam. Abram lève des troupes, part en guerre et défait les souverains élamites. Il libère Lot, remet une dîme au roi Melchisedek et restitue le reste du butin au roi de Sodome. D.ieu réitère ensuite sa promesse d’une descendance mais Saraï est désormais trop âgée pour avoir des enfants ; elle donne donc à Abram sa servante Hagar, avec qui il a un fils : Ishmaël. Saraï est renommée Sarah, Abram est renommé Abraham, puis D.ieu ordonne à Abraham de se circoncire et de circoncire sa tribu et sa descendance. La naissance prochaine d’Isaac est annoncée à Abraham et Sarah.

Quand il s’agit de commenter cette parasha, et en particulier sa troisième partie, la brit-milah (circoncision) semble être le point d’intérêt évident. Mais qu’est-ce qui amène exactement à cette décision ? Qu’est-ce qui fait que l’Alliance est prononcée ? La Bible est souvent peu explicite dans les causalités qu’elle présente, et pour comprendre l’enchaînement des événements, il est souvent utile de se pencher sur les épisodes qui précèdent. Pour comprendre la passation de l’Alliance, il nous faut donc nous interroger sur ce qui vient juste avant, qui l’amène et la prépare. Et en particulier le curieux passage qui concerne Melchisedek. La haftarah, d’ailleurs, ne s’y trompe pas, en renvoyant à un passage d’Isaïe qui évoque justement l’expédition militaire d’Abram, preuve que celle-ci et ses conséquences sont d’une importance capitale.

Melchisedek dans la Bible

Melchisedek n’est mentionné qu’une fois dans la Torah, et deux fois en tout est pour tout dans la Bible : une première fois ici, dans Lekh Lekha :

Abram, ayant appris que son parent était prisonnier, arma ses fidèles, enfants de sa maison, trois cent dix huit, et suivit la trace des ennemis jusqu’à Dan.
Il se glissa sur eux la nuit avec ses serviteurs, les battit et les poursuivit jusqu’à Hoba, qui est à gauche de Damas.
Il reprit tout le butin, ramena aussi Loth son parent, avec ses biens, et les femmes et la multitude.
Le roi de Sodome sortit à sa rencontre, comme il revenait de défaire Kedorlaomer et les rois ses auxiliaires, vers la vallée de Chavé, qui est la vallée Royale.
Melchisédek, roi de Salem, apporta du pain et du vin : il était prêtre du Dieu suprême.
Il le bénit, en disant : «Béni soit Abram de par le Dieu suprême, auteur des cieux et de la terre !
Et béni le Dieu suprême d’avoir livré tes ennemis en ta main !» Et Abram lui donna la dîme de tout le butin.

Il est mentionné une deuxième fois dans un Psaume attribué à David, où il est dit :

Le Seigneur l’a juré dans un serment irrévocable : « Tu es prêtre à jamais, selon l’ordre du roi Melchisédek. »

Et c’est tout. C’est maigre. Surtout, quand on compare ces deux petites mentions à l’importance de Melchisédek dans les commentaires ultérieurs.

Melchisedek dans les sources juives

Plusieurs variantes existent quant à l’identité et l’origine de Melchisedek. Flavius Josèphe le présente à la fois comme un chef cananéen et comme un prêtre. Philon d’Alexandrie nous dit qu’il est une manifestation du Logos divin, s’adressant à Abram sous une forme humaine. Dans le Livre des secrets d’Hénoch, un apocryphe juif du premier siècle avant l’ère commune, on nous apprend que Melchisedek est le fils de Sopanima, épouse de Nir, un frère de Noé. Et il serait né plusieurs mois après la mort de sa mère, déjà adulte, vêtu et priant le Seigneur. L’un des manuscrits de Qumran mentionne également Melchisedek, qui semble y être associé à une manifestation physique du Divin.

C’est surtout au Moyen-Âge que la littérature rabbinique va s’intéresser à Melchisedek. Rachi nous dit, dans son commentaire de la Torah, que Melchisedek n’est pas un nom, mais un titre, et qu’en réalité il n’est autre que Sem, le fils de Noé, ancêtre des sémites, et alors âge de plus de 450 ans. Neuf générations séparent Sem d’Abram et neuf générations également, en amont, le séparent de Seth, fils d’Adam. Melchisedek/Sem, témoin du Déluge, se place donc à mi-chemin entre les origines de l’humanité et celles des Hébreux. La bénédiction qu’Abram reçoit de Sem (et qu’il transmettra ensuite à Isaac, qui la transmettra à Jacob/Israël) est donc, indirectement, celle de Noé, et même celle d’Adam.

Par ailleurs, un midrash développe le récit et en précise le contexte : Abram y est ici rejoint par une assemblée de nombreux rois, qui célèbrent sa victoire militaire et proposent de l’élever au rang de divinité (pratique exceptionnelle mais pas inconnue dans l’Antiquité). Abram refuse, attribuant sa victoire à l’Eternel seul, et, en signe d’humilité, paie une dime au prêtre Melchisédek, qui le bénit ensuite.

Un point doit attirer notre attention : Melchisedek est décrit non seulement comme un prêtre, mais aussi comme roi de Salem. C’est-à-dire de Jérusalem (ce nom sera donné à la ville bien plus tard, par David). Ce que l’on nous dit ici, c’est donc que, plusieurs siècles avant l’établissement du Peuple en Terre d’Israël, existait déjà à Jérusalem un culte de l’Eternel, dont le sacerdoce était assuré par Sem. Un culte remontant aux temps antédiluviens, et dont le grand prêtre Melchisedek, reconnaît en Abram le digne héritier.

Mieux encore : il enseigne à Abram la cérémonie du partage du pain et du vin. Car c’est là la première mention du kiddush dans la Bible, ce qui en fait, avec l’offrande des prémices, et le sacrifice, l’un des actes religieux primordiaux. Et ce n’est qu’après ce passage de relai qu’Abram va devenir Abraham.

Un autre midrash assure d’ailleurs que Melchisedek connaissait déjà la Loi, et qu’il l’enseigna aux Patriarches (dont Abram) avant que celle-ci ne soit révélée publiquement au Mont Sinaï : on a donc l’idée d’une transmission d’abord secrète, ésotérique, de la Torah, avant sa révélation publique et exotérique plusieurs siècles après. Abram devient donc Abraham après avoir reçu cet enseignement secret. Cette dualité entre un enseignement ésotérique évoqué dans Lekh Lekha et un enseignement exotérique rendu obligatoire dans Vayelekh contribue d’ailleurs à renforcer les liens entre ces deux passages.

Melchisedek : souverain de justice ou soumis à Sydyk ?

La critique textuelle considère généralement que l’épisode de Melchisedek est un ajout tardif au texte, intervenu après le retour de Babylonie. Et qu’il semble faire référence à des sources plus anciennes, et probablement extrabibliques.

L’étymologie du nom Melchisedek, en particulier, est sujette à débat. Si pour les hébraïsants, il semble évident que le mot est composé d’une racine Melekh (roi) et Tzadik (juste), il existe une autre hypothèse, parente mais néanmoins distincte : il pourrait signifier, en langue ougarite, Mon roi est Sydyk.

Les Ougarites, ce sont ces sémites du nord, très proches des Cananéens, installés dans l’Antiquité au Liban, en Syrie et au nord de la Palestine, qui parlent une langue de la même famille que la langue hébraïque, utilisent un alphabet cunéiforme qui est lui aussi un abjad (écriture sans voyelle), disposent d’une littérature qui est en partie reprise dans la Bible (comme le cycle de Ba’al Hadad, qu’on retrouve à peine transformé dans les visions de Daniel) et vénèrent des divinités qui, si elles sont multiples, ont cependant de bonnes raisons de nous être familières. Ainsi appellent-ils El leur dieu créateur, Tzevaoth leur dieu de la guerre ; ils prient même un dieu du ciel, du climat et de l’agriculture, dont le nom s’épelle Youd-Hé-Vav-Hé.

Sydyk fait partie de ces divinités ougarites : il incarne la droiture, la vertu et la bienveillance. On l’orthographie Sydyk, Saduq ou encore Tzedek ; sous ce nom, il est d’ailleurs indirectement cité via la personne d’Adonitzedek (« Mon seigneur est Tzedek »…), le roi de Salem à l’époque de l’invasion israélite de Canaan, dans le Livre de Josué. Adonitzedek mènera une coalition de cinq rois contre Josué, avant d’être vaincu par les Hébreux. Comme si la lignée des souverains de Jérusalem avant la conquête avait été consacrée au fameux Tzedek, dont le culte aurait été absorbé par les vainqueurs et se serait ensuite peu à peu confondu avec celui de l’Eternel.

Car on trouve des survivances du culte de Tzedek, y compris dans nos textes, et jusque dans l’histoire d’Abraham. Ainsi, la littérature rabbinique assure que l’ange qui retient la main d’Abraham lors de l’épisode de la Ligature d’Isaac se nomme Tzadkiel : même racine, donc, que Suduq/Tzedek. La même, également, que celle de Tshatiqtu, qui dans la légende ougarite est une femme ailée envoyée par El pour délivrer le héros Keret d’une promesse excessive autrefois adressée à une divinité, laquelle divinité entendait se venger de la non-réalisation de cette promesse en le privant de ses enfants. Toute ressemblance avec d’autres récits ne saurait être que purement fortuite.

Le chêne de Mamré

Mais les parallèles entre les mythes ougarites ou paléohébraïques et l’histoire d’Abraham ne s’arrêtent pas là. De la religion hébraïque populaire elle-même, ne nous restent que quelques témoignages indirects mais l’un en particulier nous intéresse ici : celui de Flavius Josèphe, qui, quand il parle du Chêne de Mamré, précise qu’un culte, réprouvé par le Temple et consacré à Ogygès, y avait lieu. On offrait à l’arbre, demeure du dieu, des prières et des sacrifices dans l’espoir d’obtenir une descendance. Les couples stériles se rendaient en pèlerinage dans ce lieu pour demander « une descendance aussi nombreuse que les glands du chêne ». Si Flavius Josèphe associe ainsi une divinité grecque à un culte hébraïque local, c’est tout simplement pour être compris de son lectorat latin et grec. C’est aussi parce que les géographes grecs, quand ils ont découvert ce culte, l’ont assimilé à une tradition qu’ils connaissaient : celle du héros Ogygès.

chêne de Mamré, Abraham et Melchisedek
Est-ce réellement un heureux hasard si l’annonce de la naissance à venir d’Isaac se fait à proximité du chêne de Mamré ?

Souverain légendaire de Béotie, Ogygès est présenté comme le père de l’humanité, car unique survivant du déluge primordial. Ce que nous dit donc Josèphe, c’est que dans les lieux traditionnellement attribués à Abraham Avinou, on célébrait dans l’Antiquité un culte de Noé, présenté comme le père du genre humain, et à qui les couples stériles demandaient une descendance. Or c’est justement en ces lieux qu’Abraham va recevoir l’annonce de la naissance de son fils tant espéré.

Là encore, Abraham est placé à la croisée des mondes : un monde cananéen païen et un monde monothéiste, rapporté par le texte biblique, qui ne rompt pas avec les traditions de ce monde ancien mais leur offre un éclairage nouveau. Là encore, son histoire s’entrecroise avec les histoires plus anciennes, et, entre tradition biblique primordiale et cultes archaïques, tisse un écheveau inextricable.

Melchisedek et les conditions de l’Alliance

Avant d’aller plus loin, il convient de se demander comment et pourquoi Abram est choisi par Melchisedek comme héritier de la tradition antédiluvienne. Est-ce seulement pour son exploit guerrier ? Sans doute pas, encore que celui-ci ne soit pas étranger au choix. Car Abram a pris les armes pour redresser une iniquité, et a refusé toute part du butin. Conscient, donc, que la violence est parfois nécessaire en ce monde imparfait, il s’est inscrit néanmoins dans une démarche de Tikkun Olam : pour réparer la Création, la guerre est parfois la seule voie possible, mais pas question d’en tirer bénéfice, ni d’en faire un business. Pas question, non plus, d’en tirer la moindre gloire personnelle. Le refus du butin est aussi la manifestation par l’exemple du principe selon lequel la réalisation d’une mitsvah n’appelle aucune récompense, sinon le fait d’avoir accompli une mitsvah.

Il n’est pas anodin que le texte précise qu’Abram verse à Melchisedek une dime : le père des Hébreux reconnaît ainsi ce qu’il doit à son prédécesseur. A tous les sens du terme.

kiddush
A chaque kiddush, nous reproduisons un geste dont nous ne soupçonnons pas toujours l’ancienneté.

Après l’épisode de Melchisédek, Saraï va présenter Agar à Abram, et, malgré des difficultés, la famille va s’agrandir avec la naissance d’Ishmaël.

Ainsi, avant de pouvoir devenir Abraham, Abram a-t-il répondu à un triple impératif : un impératif à l’égard du monde matériel actuel et immédiat (redresser les torts, par la guerre si nécessaire), un impératif à l’égard de la tradition (recevoir l’initiation de Melchisedek et donc devenir dépositaire de l’héritage de ses pères) et un troisième impératif à l’égard du futur (avoir une descendance, même si elle n’est pas, dans l’immédiat, celle qu’il espérait avoir avec Saraï). Il remplit donc ses devoirs à l’égard du présent, du passé et de l’avenir.

Et c’est seulement en s’acquittant de cette triple condition que l’Alliance peut advenir.

Lectures croisées

Prendre en compte les considérations historiques et s’interroger sur l’archéologie du texte et les conditions de production du récit n’entre aucunement en contradiction avec une lecture religieuse du texte. Bien au contraire : cela enrichit notre lecture de sens supplémentaires.

Car en croisant la lecture religieuse et la lecture historique, il apparaît que le texte biblique et son interprétation dans la littérature rabbinique admettent à demi-mot que la religion abrahamique provient du même creuset que des cultes plus anciens. Melchisedek peut être vu comme l’incarnation de cette tradition archaïque, que l’on peut nommer antédiluvienne si l’on suit la logique religieuse ou ougarite si l’on suit la logique historique ; mais au fond, l’idée est la même : nos croyances, nos traditions, notre spiritualité plongent leurs racines dans un terreau profond et riche, commun à toute l’humanité, dont elles ne sont pas l’unique expression, mais bien un moment historique, une facette, un mode de fonctionnement et de rapport au monde.

Abraham, loin d’être en rupture avec les spiritualités qui le précèdent, se place dans leur continuation. Il n’y a pas de révolution abrahamique : il y a reprise et réinterprétation de rapports au Divin déjà anciens, dont Abraham (que l’on parle d’une personne physique réelle ou d’une personne métaphorique incarnant un moment de l’histoire hébraïque n’a ici aucune importance), dont Abraham, donc, hérite, qu’il fait siens et qu’il transfigure. Il reçoit, via Melchisedek, une tradition primordiale, l’intègre et la traduit en une forme qui lui est contemporaine. En d’autres termes : il donne à cette spiritualité antérieure une expression nouvelle. Et nous pouvons rapprocher cette idée de la définition que la WUPJ donne du judaïsme réformé : respecter et faire vivre la tradition tout en lui donnant une expression contemporaine.

C’est ce que nous faisons. C’est ce que nous avons toujours fait et continuons à faire. Ce que nous dit ce texte, c’est que le cœur de la pensée juive, et même de la pensée abrahamique, ça n’est pas, ça ne peut pas être, la répétition ad libitum des mêmes choses et des mêmes paroles. Bien au contraire : l’authentique fidélité à Abraham consiste à être dépositaire de la tradition ancienne, mais pas d’en demeurer prisonniers. Car recevoir l’enseignement ne suffit pas : l’Alliance n’est pas une médaille qu’on accroche à son poitrail, mais bien l’exigence d’une vie conforme à ses impératifs ; une vie qui reconnaît l’héritage du passé mais qui est également consciente de ses devoirs à l’égard du présent et de l’avenir.
L’authentique fidélité à Abraham consiste, comme il l’a fait de l’héritage de Melchisedek, à recevoir la tradition, à la penser, à la repenser, à la ruminer, à la confronter au réel et à lui donner une expression nouvelle, puis à la transmettre, en attendant que les générations suivantes fassent de même, et en leur donnant la liberté de le faire, ledor vador.

Lire la parasha dans Sefarim

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Haftarah de Lekh Lekha

Isaïe : Chap. 40, v. 27-Chap. 41, v.16

Les Sages ont de nouveau sélectionné un passage du Deutéro-Isaïe pour élaborer un thème fondamental de la sidra Lekh Lekha. Ces prophéties, dominées par l’encouragement et l’exhortation, ont été proférées à l’époque du décret de Cyrus, roi de Perse, qui autorisa le retour des Judéens en Judée. Au-delà de cet arrière-plan historique, elles font appel à l’histoire d’Abraham, pour souligner le parallèle consistant à comparer la sortie de Babylone à celle d’Our Kassdim. Ce parallèle est de nature à souligner bien des constantes du cheminement de l’identité hébraïque.

Il faut suivre les méandres du verbe prophétique, étonnamment frappé ici du sceau de l’interrogation et de l’exclamation, pour soupçonner que la fervente inquiétude qu’il exprime peut toujours retenir notre attention :

« 41,8 – Mais toi, Israël, mon serviteur Jacob, mon élu, postérité d’Abraham qui m’aimait, toi que j’ai ramené comme par la main des extrémités de la terre, que j’ai rappelé de ses zones les plus lointaines, toi à qui j’ai dit : « Tu es mon serviteur, je t’ai choisi et je ne te rejette plus », eh bien ne crains rien, car je suis avec toi, ne sois point affolé, car je suis ton Dieu. »

Il est marquant que, déjà, Isaïe s’adresse aux «restes d’Israël» (Is.41, 13). L’histoire nous montre, après la Shoa, plus que jamais, qu’elle est toujours aimantée par « les restes d’Israël ». Ceux-là sont fait des enfants d’Israël qui ont survécu aux désastres, mais aussi bien de ceux qui parmi eux demeurent fidèles à la disposition d’Abraham. Encore faut-il observer un autre aspect étonnant de ces versets : de même que le Patriarche duquel tout est parti – puisqu’il aura consenti à « aller pour lui-même », ou « par-delà lui-même » – est ici désigné à partir de sa plénitude – père de nombreux peuples  et non plus d’un seul (Abram/Abraham). L’enjeu du changement de nom se manifeste-t-il ouvertement dans l’oscillation nominale Jacob/Israël. Aussi bien, cette oscillation exprime ici l’indétermination de Jacob à accepter de se dire et d’exister en tant qu’Israël.

Il est vrai, qui peut seul, sans défaillir en regard de la longueur et des mutations des siècles, posséder la force de persévérer, d’aller de l’avant, quand les civilisations environnantes se font un principe d’identité de le déraciner. Cette poussée délétère a de quoi semer le doute : « (Is. 40, 27- Pourquoi dis-tu, ô Jacob, Ô Israël : « Ma voie est inconnue à l’Eternel, mon droit échappe à mon Dieu ? »

Jacob/Israël manque-t-il tant de fortitude pour que le prophète, tenant-lieu du Créateur, songe à s’adresser à la part la moins volontaire de sa création ? Lorsque le cœur manque à l’homme, il reste à l’Eternel à prendre la nature à témoin de ce que l’homme ne devrait pourtant jamais oublier : « 41, 1- Iles, faîtes silence pour m’entendre ! (…) 5, Les îles le voient et prennent peur, les confins de la terre tremblent. »

La parole en appelle à l’accalmie du monde, pour que la mémoire de la Providence s’épanouisse encore dans le présent de Jacob. Le silence des lieux dissipe la possibilité du hasard, puisque le miracle constant tient au fait que l’improbable soit advenu : « 41, 1. Que les peuples renouvellent leurs forces, qu’ils s’approchent et ensuite prennent la parole ! Ensemble, nous allons comparaître en justice. 2 Qui l’a suscité de l’Orient, celui qui appelle le droit à suivre ses pas ? Qui lui livre les nations ? Qui lui soumet les rois ? (…) Celui qui, dès le commencement, appelle les générations (à l’être), moi, l’Eternel, qui suis le premier et demeure encore avec les derniers. »

L’épreuve du doute suppose la connaissance de la certitude. Mais dans le cas de Jacob, l’assurance de la certitude tire ses racines de la promesse faite autrefois à Abraham. Or l’épreuve qui consiste à douter de son droit se renforce inévitablement du doute qu’augmentent les épreuves. Ce fut d’abord le cas d’Abraham qui, après avoir reçu plusieurs fois la promesse qui fondera sa certitude (Lekh Lekha 12, 2-3 ; 12, 7 ; 13, 4-15 ; 13, 16-17), toujours en quête de réassurance (Lekh Lekha 15, 1), voit la solidité de son implication se tempérer au feu des circonstances contraires : l’épreuve du conflit intrafamilial (13, 6-9), l’épreuve de la famine (Lekh Lekha 12, 10), celle de la peur de perdre la vie (Lekh Lekha 12, 12), enfin celle de la guerre (Lekh Lekha 14, 12 ; 14, 14-17). C’est finalement la bénédiction d’un homme juste (Lekh Lekha 14, 18-20), conjuguée à l’éveil de la reconnaissance (Lekh Lekha 15,1) qui conduira aussi Abraham, père d’Isaac et aïeul de Jacob, à placer chacun de ses engagements collectifs sous l’égide du Très-Haut (Lekh Lekha 14, 22). Encore cette implication est-elle sujette à l’affaiblissement, lorsque devant la confrontation du réel – au moment de rappeler que ces promesses sont peut être absurdes car il est sans descendance (Lekh Lekha 15, 1) – il reçoit la confirmation de la promesse suprême (Lekh Lekha 15,5).

Quelques leçons de Moussar à propos de la haftarah de Lekh Lekha

En faut-il d’avantage à Jacob pour se mesurer à sa propre époque, et à Israël pour assumer son déploiement dans l’histoire ? Plusieurs leçons de Musar peuvent se déduire de l’exhortation d’Isaïe. D’abord celle de l’éthique éducative et prospective du souvenir : « Is. (40, 28-29)- Ne le sais-tu donc pas, ne l’as-tu pas ouïe dire ? Le Seigneur est le Dieu de l’éternité ; le Créateur des dernières limites du monde ; il n’éprouve ni fatigue, ni lassitude : il n’est point de borne à son intelligence. IL redonne la vigueur à celui qui est courbaturé et double le courage de celui qui est à bout de forces. »

Ensuite la réaffirmation de l’éthique de la persévérance : « (Is. 40, 31) Ceux qui mettent leur espoir en Dieu acquièrent de nouvelles forces, ils prennent le rapide essor des aigles ; ils courent et ne sont pas fatigués ; ils vont et ne se lassent point. »

Enfin, le renouement avec l’éthique de la confiance, essence de la emunah : « (Is. 41, 13-14) Car moi ton Dieu, je soutiens ta droite et je te dis : « Ne crains pas je viens à ton secours, dit le Seigneur, le Saint d’Israël. » Ne crains rien, vermisseau de Jacob, faible reste d’Israël ! C’est moi qui te prête secours, dit le Seigneur, le Saint d’Israël est ton libérateur. »

A ces trois leçons fait ultimement pendant ce que l’on pourrait appeler une leçon de ‘’philosophie de l’histoire’’, laquelle a pour condition la méditation de l’histoire au long cours, dans ses dimensions de salut. Cela suppose de ne pas se laisser captiver par la seule « actualité ». Il suffit de penser à la succession des empires pour prendre quelque distance: « (Is.41,10-11) Je t’affermis, je t’assiste et te soutiens par ma droite, armée de justice. En vérité, ils connaîtront la honte et la confusion, tous ceux qui sont enflammés contre toi ; ils seront réduits à néant, ils périront tous, tous ceux qui te cherchent querelle. »

Il est plus que probable que le doute de Jacob prendra fin dès lors qu’il comprendra que son existence ne repose pas seulement sur l’antique promesse faite à Abraham, mais surtout, pour ce qui est de son devenir, sur la reconduction par lui-même et pour lui-même de cette promesse qui fonde son droit.

Lekh Lekha sur Sefarim

Ma recette des hallot

Les hallot (singulier : halla) sont les pains utilisés pour Shabbat ; essentielles dans le cadre cultuel, elles s’invitent également souvent au petit-déjeuner du lendemain matin. Une recette de hallot, c’est un peu comme une recette de couscous ou de pot au feu : chacun a la sienne et c’est bien entendu la seule vraie. Voici la mienne.

Note : il n’est pas dans mes habitudes de consommer de la viande durant Shabbat, raison pour laquelle mes hallot n’ont pas nécessairement besoin d’être parveh. Bien évidemment, si vos habitudes diffèrent ou si vous préparez des hallot pour un groupe dont vous n’êtes pas certain des habitudes, il vous faudra adapter la recette, en retirant le yaourt (ainsi, dans les options, que le lait ou le lait en poudre). Vous pouvez alors ajouter une petite dose d’eau en plus.

Ingrédients pour deux belles hallot (4 personnes)

  • 500 grammes de farine
  • 3 œufs
  • 3 cuillerées à soupe de sucre-glace
  • 1 verre d’eau tiède
  • 1 yaourt
  • 1 cuillerée à café de miel liquide
  • 2 cuillerées à soupe de fleur d’oranger
  • 2 sachets de levure boulangère
  • 1 pincée de sel

En option :

  • Sucre vanillé ou cardamome
  • Graines de sésame, de lin ou de pavot

La préparation des hallot

  • Dans un grand saladier, verser la levure boulangère, le sucre, le miel, le yaourt, une cuillerée à soupe de farine, le sel et l’eau tiède. Bien mélanger.
  • Couvrir l’un torchon et laisser reposer à température ambiante pendant deux heures. Le mélange doit gonfler.
  • Ajouter deux œufs, la fleur d’oranger et, le cas échéant le sucre vanillé ou la cardamome.
  • Ajouter progressivement le reste de farine, en pétrissant lentement et de manière continue. Le mélange, collant au début, va peu à peu prendre un aspect élastique et doux, avec un toucher rappelant un peu celui de la peau humaine. Si la pâte est trop sèche, ne pas hésiter à ajouter un peu d’eau (un quart de verre peut suffire). Si elle est trop humide, un peu de farine en plus. Pétrir lentement mais énergiquement pendant au moins dix minutes (dix vraies minutes).
  • Laisser reposer une heure, à température ambiante.
  • Une fois que la pâte a bien gonflé, la dégazer avant de poursuivre.
  • Séparer la pâte en plusieurs morceaux (selon le nombre de brins que vous souhaitez donner à vos tresses ; pour ma part j’en fais trois par halla, donc six morceaux pour une paire de hallot). Rouler chaque morceau en un long boudin de pâte.
  • Rassembler vos boudins trois par trois (ou quatre par quatre, ou six par six si vraiment vous avez envie de vous compliquer les choses) et les tresser.
  • Disposer les tresses sur une grille de cuisson pour le four, recouverte d’un papier sulfurisé. Mettre le tout au four, en chaleur tournante, à une température très douce (thermostat 1 : 30°C).
  • Laisser au four au moins une heure : vos hallot vont bien gonfler et commencer à ressembler à quelque chose.
  • Sortir du four. Mettre le four à préchauffer à 180°C.
  • Laisser refroidir vos tresses quelques minutes. Pendant ce temps, casser un œuf dans un bol et y ajouter un peu de sel. Battre l’œuf vigoureusement. L’œuf battu va être utilisé pour la dorure des hallot ; vous pouvez utiliser un œuf entier, en mélangeant blanc et jaune, ou un blanc seul, au choix.
  • Au pinceau de cuisine, étaler l’œuf battu sur la partie supérieure des hallot. Vous pouvez ajouter sur la dorure des graines de sésame, de pavot ou de lin.
  • Mettre au four, à chaleur tournante, à 180°C. Laisser cuire 15 à 25 minutes.
  • Quand les hallot sont bien cuites, dorées et gonflées, les sortir du four et les mettre à refroidir. C’est prêt !

Quelques trucs et astuces en plus pour vos hallot

  • Normalement, cette recette vous assure des hallot avec une consistance se rapprochant de celle des brioches. Il se peut que vous obteniez quelque chose de plus dense (dans le genre du pain à bagel ; c’est bon aussi) si vous ne pétrissez pas assez longtemps ou assez fermement ou si votre levure ne prend pas bien.
  • Il est possible de remplacer l’eau par du lait chaud. Il est également possible, quand il s’agit d’assécher une pâte trop humide, de remplacer la farine supplémentaire par du lait en poudre. Ça marche également et ça n’est pas mauvais.
  • Si votre pâte manque d’élasticité, vous pouvez ajouter un petit peu d’huile d’olive ou de tournesol.
  • Si votre four le permet, vous pouvez, au moment d’enfourner pour la cuisson finale, verser un demi-verre d’eau sur le fond, afin de créer de la vapeur d’eau ; cela assure que les hallot ne seront pas trop sèches. Pour ma part, je ne le fais pas.

Comme vous pouvez le constater, la préparation des hallot est longue. Mais elle peut devenir un jeu, surtout si on y intègre les enfants; pour moi, c’est même une sorte de rituel avec ma fille aînée. Les paris quant à la consistance, au niveau de gonflement ou au goût qu’auront nos hallot font partie du jeu, ainsi que le fait de varier les plaisirs d’une semaine sur l’autre en changeant, par exemple, le dosage de fleur d’oranger ou la nature des graines que l’on met dessus.

Il est très possible, et même probable, que cette recette ne corresponde pas à la vôtre. Tant mieux : c’est l’occasion pour vous de nous faire partager votre recette de hallot (ou celle de votre maman) qui, bien entendu, est la seule vraie !

 

Photo : shraga kopstein – Unsplash

 

Noa’h: Pas de rachat pour l’homme?

Par Gérard Feldman

La paracha Noa’h est la seconde paracha de la Tora.  Elle intervient, très logiquement,  après la fin de la première paracha : Bereshit. Ce qui est moins logique, au moins en apparence, c’est que ha Shem y proclame la fin, non seulement de l’humain,  mais de tout le vivant… Et cela après l’avoir créé ? Il le dit très explicitement :

« J’effacerai l’homme que j’ai créé du dessus des faces de la terre, j’effacerai jusqu’à la bête, jusqu’à la vermine, jusqu’à l’oiseau des cieux, oui j’ai regretté, oui de les avoir faits. » (c.6 – verset 7).

Tout va-t-il s’arrêter juste après avoir été créé ? Non, rassurez-vous, ha Shem se ravise in extrémis. La destruction sera certes terrible, mais, malgré tout, un homme, Noa’h est distingué. Il va trouver grâce à Ses yeux. Et tout pourra recommencé… Oui mais autrement.

Une nouvelle chance pour l’humanité et  le vivant

De ch. 6,13, jusqu’à la fin du ch.7,  ha Shem offre à Noa’h un kit de survie. Cet homme est choisi, lui et sa famille, et les animaux selon leur espèce,  car il est considéré, selon le texte, comme « un juste dans sa génération » (Ch. 6,9).

Le chapitre 8 décrit la fin du déluge, avec cette nouvelle annonce (re) fondatrice de ha Shem (v. 21) : « Je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme ». Fin de la parenthèse.

Une nouvelle alliance entre ha Shem et l’humanité

Le C. 9 crée les conditions d’une nouvelle Alliance avec la Transcendance. L’homme  est béni. Il est  appelé à fleurir (פּרוּ ) et à se multiplier. Tout semble s’arranger.

Malheureusement,  l’humain est incorrigible. C’est sa part d’autonomie et de liberté.

Le verset 21 décrit une nouvelle catastrophe. Noa’h s’enivre et ‘Ham, l’un de ses trois fils,  se comporte très mal envers son père.  Cela aboutit obligatoirement à une nouvelle malédiction. Mais il y a là un grand changement. Ce n’est plus toute l’humanité toute entière qui est condamnée mais seulement Kenaan, le petit-fils de Noa’h. Les deux autres fils, Shem et Iaphet, sont épargnés. Normal, ils ont sauvé l’honneur et la vie de l’humanité en recouvrant la nudité de leur père, sans la regarder.

Une idée nouvelle apparait. Certes le mal est une tendance humaine naturelle et largement répandue, mais cette tendance  n’est pas inéluctable. Tous les humains n’obéissent pas nécessairement au יצר הרע (yétser hara ou mauvais penchant). Il existe aussi des humains qui s’emploient à faire triompher le bien. C’est d’ailleurs cela qui va donner  un sens à l’histoire : faire progresser le bien. Ce passage est même très optimiste puisque deux des fils de Noa’h sur trois se comportent bien. Un seul fait le mal. Il y a donc une majorité démocratique pour le bien. Amen.

Quelles conditions pour le progrès dans l’histoire ?

Le ch. 10 détaille la descendance de Noa’h et de ses trois fils. Mais cette énumération est interrompue au c.11 par  la dispersion de Bavel (v.1 à  9). Autre moment difficile pour l’humain. Mais ce n’est qu’une interruption. L’énumération reprend ensuite au v.10. Nous avons là le détail de la descendance de Shem jusqu’à Avram et son épouse  Saraï. On y mentionne aussi le père d’Avram et ses frères ainsi que son neveu Lot.

Pourquoi cette litanie de noms ?

Le propos est clair : Noa’h n’a pas été choisi,  pour ses qualités intrinsèques ; même s’il n’en est pas dépourvu, surtout en regard de ses contemporains. Il a d’abord été choisi parce qu’il est un chaînon indispensable à l’émergence d’Avraham. Noa’h est tout simplement un moment incontournable dans la formation du peuple hébreu. C’est ce que disent les commentaires de nos sages dans le « midrash rabba », même s’il peut y avoir débat sur l’ampleur et la nature des qualités du premier survivant de l’histoire humaine.

Le peuple hébreu est conçu par ha Shem, parce qu’il faut, au sein de l’humanité, un  garant du sens de l’histoire. Ce peuple est choisi pour donner l’exemple du bien afin que toute l’humanité y accède.  Pour que l’histoire progresse, il faut une sorte d’avant-garde qui montre le chemin par son Alliance indéfectible avec ha Shem : Israël.

La haftarah de Noa’h  (Livre d’Isaïe -יְשַׁעְיָהוּ  ) constate que le peuple hébreu n’a pas encore porté tous ses fruits au monde.  Mais il a confiance. Cela viendra. Nécessairement. Au verset 9 du chapître 54, Isaïe/יְשַׁעְיָהוּ fait explicitement référence au chapître 8 v.11 de la paracha  Noa’h. Le prophète annonce que Ha Shem promet une Alliance éternelle, non seulement avec l’humanité dans son ensemble, mais avec la femme stérile et humiliée en particulier. Autrement dit, avec Jérusalem et le peuple d’Israël qui se trouve, à ce moment-là, en exil à Babylone. Comme dans le Cantique des Cantiques  (שיר השירים) où la femme aimée symbolise Jérusalem.

Très clairement, dans ce verset, la femme est l’avenir de l’humanité. Aragon n’a rien inventé. Mais ce qu’il n’a sûrement pas détecté, c’est que la femme en question, c’est Israël !

Vous êtes Juif Noa’h ? 

Bien sûr.

Cette interprétation s’inscrit en faux contre un découpage chronologique de la Bible selon lequel Bereshit (Genèse) s’adresserait à l’humanité dans son ensemble alors que Shemot et les autres livres de la Torah ne parleraient « que » du peuple hébreu.

Ce découpage erroné a permis au christianisme de s’approprier Noa’h comme une manifestation de Jésus (la lettre nounreprésenterait le poisson symbole chrétien pour le Christ) et même l’Arche serait la première Eglise. L’islam en a fait autant en le considérant comme un prophète missionnaire  du Coran.

Pourtant, le nom même de Noa’h nous dit bien qu’il est un Hébreu. Son nom et sa langue sont hébraïques. Son histoire est racontée en hébreu.  Mais plus profondément, le mot Noa’h (נח) vient de la racine נח. On le sait, cette racine  signifie « tranquille, au repos ». Elle exprime donc une dimension essentielle du judaïsme : le shabbat sans lequel il n’y a ni création, ni histoire humaine. Le déluge lui-même ne peut-il être conçu aussi comme un grand shabbat dans lequel l’humanité se purifie dans les eaux comme s’il s’agissait d’un mikvé ?

Par ailleurs, la guematria de נח est 58.  58 renvoie à beaucoup de sens différents. Mais pour ce qui nous préoccupe, 58 ans, c’est l’âge d’Avram quand Noa’h meurt à 950 ans.  Le midrash (Seder Olam Rabba) nous le dit : Avraham est né en l’an 1948 du calendrier hébraïque, tandis que Noa’h ne meurt qu’en 2006. Avraham a alors 58 ans ! Avram, le futur Avraham, est donc déjà mûr pour prendre le relais et faire progresser l’histoire.

L’Arche, un dictionnaire ?   

Mais ce lien à l’hébreu, par la langue et par l’histoire, se manifeste aussi dans l’usage du mot tevah (תֵּבָה). Il est habituellement traduit par « Arche », mais  les dictionnaires nous disent : 1. La caisse ou le coffre ; 2. Le mot.

La Torah n’utilise à nouveau ce mot הַתֵּבָה (tevah) qu’au début du Livre de Shemot (ou Exode). Il s’agit du frêle panier dans lequel le bébé Moshe (Moïse) sera sauvé justement des eaux (C. 2 verset 5). C’est déjà intéressant en soi. Noa’h par le mot tevah renvoie à Moshe !!!

Les deux sens du mot « tevah » incitent à une interprétation. Pourquoi Noa’h et Moshe s’y retrouvent-ils tous deux ? Ils subissent un monde d’injustice et de violence. Tous deux sont sauvés des eaux car ils sont choisis par ha Shem. Ils héritent de la responsabilité d’offrir une nouvelle chance à l’humanité. La caisse flottante et ses parois les protègent  de la purification (sans retour) par la noyade.

Mais la « tevah » veut dire aussi « le mot ». Elle ne fait pas que protéger, elle est aussi créatrice d’un autre langage sensé dire non à l’injustice et à la violence, à la médisance. Ha Shem, notre Elohim, soutient toujours la vie plutôt que la mort.

Si nous prenons la valeur numérique de chaque dimension donnée par Élohim pour construire l’arche (ch. 6, v.15), nous savons que la lettre shin (ש) vaut 300, la lettre noun (נ ) est égale à 50 et la lettre lamed (ל) à 30. Ces trois lettres forment la racine לשן  (lashan) qui fait référence à l’utilisation de la langue pour dire du mal (voir  G. Lahy –  Dictionnaire des racines hébraïques). C’est exactement cette situation qui provoque le Déluge. Toujours selon Georges Lahy, cette racine a donné le mot lashon (לשֹׁן) qui veut dire la langue au sens physique, mais aussi au sens du langage.

L’auteur en déduit alors une autre interprétation du mot « tevah » : ce mot désignerait un « coffre à mots ». Aujourd’hui, on appellerait ce coffre un dictionnaire. L’arche serait un dictionnaire ! Il concentrerait la quintessence du langage.

La tâche de Noa’h serait donc de rassembler les racines du langage pour sauver le monde. Pas avec n’importe quelles racines, mais avec les racines hébraïques dont la combinaison et/ou la permutation, permettent, avec 22 lettres, de retrouver tous les noms nécessaires à la Création.

De ce fait, Noa’h peut renverser la situation ! Il va s’efforcer de transformer le langage mauvais en langage pour le bien. Mais il le fait avec les mêmes mots, car l’’hébreu peut en effet inverser les sens. On se rappelle, par exemple, que le mot hébreu rah (רעה) peut aussi bien désigner un ami, un compagnon que le mal ou la méchanceté. Autre exemple, la racine לחם (le’hem) peut signifier : le pain ou combattre… C’est très important car cela montre qu’il n’y a pas le mal d’un côté et le bien de l’autre. Contrairement à ce qu’affriment les théologies gnostiques ou influencées par elles,

La kabbale enseigne que le monde fut créé avec les 10 paroles (commandements) et fondé sur la combinaison des 22 lettres hébraïques. Les animaux que Noa’h sauvera, deux par deux, dans les compartiments ou nids de l’arche deviennent alors les racines bilitaires « forces vitales de la langue hébraïque » (G. Lahy).

L’homme a-t-il un sens ?

La paracha Noa’h, comme toutes les autres, peut facilement nous renvoyer à de nombreux aspects de notre histoire et de l’actualité : arrogance, dégradation du langage, médisance, intolérance, injustice…). Sur le fond elle pose la question la plus brutale qui soit : l’existence de l’espèce humaine a-t-elle  un sens ? La réponse ne va pas de soi. Aujourd’hui toute une partie du courant écologiste répond par la négative. L’homme serait un désastre pour la nature, et il doit se faire tout petit s’il veut survivre.

Dans la tradition juive, les anges de la vérité, de la paix, de l’amour et de la justice  ont déjà débattu de la question avant même l’apparition de l’humain (voir « midrash bereshit rabba 8 – 5) … sans aboutir à aucune conclusion.  Mais la paracha apporte une réponse : si l’humanité dans son ensemble peut facilement sombrer,  l’Etre hébreu dans ce qu’il a d’essentiel donne de la lumière… mais seulement s’il reste fidèle au chemin que lui propose ha Shem. Ce chemin est symbolisé ici par l’arc-en-ciel qui relie le ciel à la terre. Ce n’est pas seulement un symbole mais  aussi véritable un arc (queshet- קשת ) en hébreu (ch.9, v.16). Le chemin de l’Etre hébreu passe aussi et nécessairement par le combat.

 

 

La haftarah de Noah

Par Georges-Elia Sarfati

 

Haftarah: Isaïe : 54,1-55,5

Les Sages ont choisi un passage du Deutéro-Isaïe pour élaborer un thème fondamental de la sidra Noah. Ces prophéties, sans doute proférées au sortir de l’exil de Babylone, se distinguent par des formulations porteuses d’espérance et de consolation.

Deux versets évoquent directement l’épisode déterminant de l’histoire de Noah (Noah: 8, 21-22 ; 9, 11), qui permettent de forger les grandes perspectives de ce texte : « (54, 8-9) Dans un transport de colère je t’ai, un instant, dérobé ma face (istarti panaï) ; désormais, je t’aimerai d’une affection sans bornes, dit ton libérateur, l’Eternel. Certes, je ferai en cela comme pour les eaux de Noé : de même que j’ai juré que le déluge de Noé ne désolerait plus la terre, ainsi je jure de ne plus m’irriter ni diriger des menaces contre toi. »

La référence à la sauvegarde de Noah fait ici l’objet d’une mise en perspective plus spécifique : si l’humanité fut naguère capable de dévoiement, il s’avère aussi que la conduite d’Israël se caractérise, à certains moments de son histoire, par l’ambivalence à l’égard de l’enseignement du Créateur. La « colère » de Celui-ci nous apparaît constamment à la mesure des égarements de l’humanité créée. De même que l’humanité pré-diluvienne attira sur elle la catastrophe, du fait de l’iniquité (Ber. 6, 5) et de la violence (hamas) dont elle s’était rendue coupable (Ber.6, 11), Israël connut l’épreuve de la destruction et de la dispersion, pour s’être éloignée de l’Instruction reçue en héritage. C’est du moins, selon cette logique que le judaïsme antique interprétait son histoire. Cependant, à bonne distance de l’épisode lointain de Noah, la relation prophétique se particularise selon des termes qui ne trouvent d’équivalent que dans le Cantique des cantiques. La parole du prophète se colore désormais de toutes les nuances du symbolisme conjugal : « (Is., 54, 5-6) Oui, ton époux ce sera ton Créateur, qui a nom l’Eternel des Armées, ton sauveur sera le Saint d’Israël, qui s’appelle le Dieu de toute la terre. Car comme une femme abandonnée et au cœur affligé, l’Eternel t’a rappelée ; la compagne de la jeunesse peut-elle être un objet de dédain ? Ainsi parle le Seigneur. »

L’expression de réprimande, aussitôt suivie de ‘’regret’’, se traduit ici par les formule « voilement de la face » (Is., 54,10) – istarti panim : je t’ai dérobé ma face. Nous savons aujourd’hui que cette assertion, dont se déduit l’un des noms de l’Eternel, témoigne d’une fréquence historique, qui a connu des sommets d’abandon, à différents moments de la dispersion. L’Alliance à laquelle il est fait référence prolonge celle que l’Eternel avait d’abord conclue avec Noah. Elle le fut à des étapes distinctes de l’époque de transition que représente la vie de ce patriarche : d’abord passée avec Noah et sa descendance, avant le Déluge (Noah : 6, 18), puis réitérée à l’issue du Déluge  (Noah : 9, 9). Au demeurant, ce pacte prit aussi différentes formes : il fut d’abord scellé comme une défense de la vie, au titre d’une assurance que l’Eternel ne causerait plus la destruction de tout vivant (Noah : 9, 11), pour finalement se matérialiser en signe de commémoration, sous la forme de la manifestation naturelle de l’arc-en-ciel (Noah : 9, 15-17).

Isaïe  façonne à présent son propre discours par allusion à l’antique mémoire divine de l’humanité ; mais il le fait au moment où Israël est de nouveau en chemin vers sa Terre. Et la réitération de l’Alliance  s’adresse délibérément – non plus aux trois fils de Noah – mais plus singulièrement à une fraction d’entre les fils de Sem. De surcroît, le principe de cette Alliance se trouve modifié aux dimensions d’une ‘’alliance de paix’’ (berit chalom) : « (54, 10) Que les montagnes chancellent, que les collines s’ébranlent, ma tendresse pour toi ne chancellera pas, ni mon alliance de paix ne sera ébranlée, dit Celui qui t’aime, l’Eternel ! »

A cet endroit, une remarque s’impose : il y a peu de probabilité que, dans le monde humain, la tendresse – hessed, ce mot désigne en vérité la bonté, la générosité – de l’Eternel infuse spontanément sans que l’humanité agisse pour en capter les échos. D’autre part, que signifie l’expression « alliance de paix » ? Prévenons d’emblée une mésinterprétation : saisi par l’air du temps, ne faisons pas erreur sur la véritable signification de ces deux mots (berit chalom). Ils ne sauraient désigner la formule triviale d’un pacifisme délité dans toutes les complaisances de l’esprit du temps. La fermeté du discours prophétique est aux antipodes. La paix a un prix qu’il ne faut pas méconnaître, en se payant de son seul mot, comme s’il suffisait de le proférer pour obtenir l’état qu’il désigne.

L’alliance de paix : méditer et agir

Ainsi cette Alliance, dont le Texte nous dit qu’elle est irrécusable, suffit-il seulement d’en avoir l’idée pour qu’elle demeure effective ? Ne convient-il pas aussi d’en connaître les termes pour l’incarner ? La paix dont il est ici question (chalom) suppose la plénitude (chelémout) de la présence d’Israël au message divin. Isaïe suggère en outre que la portée de l’Alliance comporte par elle-même une bénédiction qui se prolonge par-delà l’instant de son rappel. Celle-ci semble inclure deux conditions indépendamment desquelles son nom se vide de sens. La première condition serait que les enfants d’Israël assument d’en méditer les termes, mais aussi de l’agir, en repensant à chaque époque les perspectives de sa transmission : « (Is., 54, 13) Tous tes enfants seront les disciples de l’Eternel ; grande sera la concorde de tes enfants. »

La seconde condition, qui constitue le corrélat de la première, serait que les enfants d’Israël mènent une vie selon la justice révélée : « (Is., 54, 14) Tu seras affermi par ma justice : bannie toute idée d’oppression, car tu n’auras rien à craindre ; de terreur, car tu seras garantie contre elle. »

Aujourd’hui que le peuple d’Israël oscille entre deux cultures – la culture mondialisée et la culture nationale retrouvée- nous percevons et comprenons que le « déluge » de haine qui accompagne son Retour, revêt – comme par le passé – les formes d’un antagonisme radical. Mais la prophétie enseigne du même élan que l’attachement d’Israël à l’Alliance promet la défaite de ses ennemis : « (54, 15) Que si l’on se mettait contre toi, ce serait mon aveu ; quiconque se mettra contre toi succombera sur ton sol. »

Dans le même temps, l’intuition prophétique sait discerner qu’au long cours, la guerre menée contre le principe-Israël puise dans le gauchissement du langage son arme la plus affûtée : « (54, 17) Tout instrument forgé contre toi sera impuissant, toute langue qui se dressera contre toi pour t’accuser sera convaincue d’injustice ; tel est le partage des serviteurs de l’Eternel, et l’arrêt équitable qu’ils obtiennent de moi, dit l’Eternel. »

Bien que ces  versets témoignent aussi de la résistance que suscite constamment l’idée de l’Alliance, ils nous assurent de ce que la haine qui poursuit Israël corrompt irréversiblement ses ennemis. Ils nous enseignent, contre toute attente, que leur échec – ‘’leur langue’’, dit Isaïe, ‘’sera convaincue d’injustice’’ – pourrait augurer de leur éveil.

Conversion au judaïsme : quelques petites choses à savoir

Nous recevons régulièrement des demandes de conversion au judaïsme, ou, à tout le moins, des manifestations d’intérêt pour cette démarche. Ayant terminé ma propre conversion dans le courant de l’année 2021, il m’a semblé utile de noter quelques-uns des éléments que j’aurais aimé connaître quand je me suis lancé dans cette entreprise. Je ne pense pas qu’un seul d’entre eux aurait changé quoi que ce soit à ma décision ; mais il me semble néanmoins utile de vous adresser, à vous qui souhaitez, comme je l’ai fait, vous inscrire dans l’Alliance, quelques informations et avertissements.

La conversion au judaïsme est difficile

Une conversion au judaïsme est une entreprise longue, difficile, et qui demande beaucoup de temps, d’énergie et de détermination. Attention : ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, la porte est toujours ouverte et une personne sincère et dont la démarche est appropriée trouvera toujours au sein de Kehilat Kedem des interlocuteurs pour l’aider et la soutenir. Mais ne vous attendez pas à ce que les choses se fassent facilement : des efforts seront exigés de vous. C’est d’ailleurs ce qui rebute beaucoup de candidats.

La conversion au judaïsme libéral n’est pas une conversion light

Le judaïsme libéral, contrairement à ce que beaucoup de gens croient, n’est pas moins exigeant que le judaïsme orthodoxe en ce qui concerne les conversions. Il place seulement ses exigences sur d’autres points. Sur certains de ces points, d’ailleurs, le judaïsme libéral demande finalement davantage, en termes d’investissement personnel, que les courants traditionnels.

Vous n’avez (peut-être) pas besoin de vous convertir…

Tout dépend de vos souhaits et de vos objectifs : si ce que vous voulez, c’est assister aux cours et conférences, prendre part aux offices, en apprendre davantage sur le judaïsme, ou encore étudier l’hébreu biblique, il n’est pas nécessaire d’entrer dans une démarche de conversion. Vous pouvez parfaitement adhérer à la synagogue Kehilat Kedem et participer à ses activités sans pour autant vouloir devenir juif. Dans un premier temps, si vous n’avez pas d’attache particulière avec le judaïsme a priori, c’est d’ailleurs très certainement ce qui vous sera proposé : venez, participez, apprenez, et une fois que vous vous êtes fait une idée précise de tout ce qu’une conversion implique dans les faits, prenez votre décision et engagez-vous plus avant. Ou pas. Le choix vous appartient.

… mais cela peut tout de même être utile.

Vous pouvez très bien passer des années à participer aux activités de la communauté Kehilat Kedem sans pour autant vous convertir. Mais cela veut dire que votre implication demeurera limitée : tant que vous n’aurez pas achevé votre conversion au judaïsme, vous ne compterez pas au minian, ne pourrez pas monter à la Torah et ne pourrez pas prendre de responsabilités au sein de l’association. Pour ma part, ce dernier aspect a été une puissante motivation pour achever ma conversion. J’avais beaucoup reçu, au cours des années passées au sein de la communauté, et il était temps pour moi de rendre.

Préparez-vous à (beaucoup) étudier

Dans un premier temps, vous allez devoir apprendre des bases de langue hébraïque, étudier la liturgie juive, vous familiariser avec le calendrier juif, apprendre les prières et les chants, acquérir un vocabulaire spécialisé, riche et complexe et même vous familiariser avec la cuisine kasher. Cela ne va pas se faire tout seul. Les contenus pour débutants proposés sur le site sont un bon début mais ne suffisent pas. Si vous le souhaitez, vous pouvez suivre les cours d’introduction au judaïsme et d’hébreu biblique proposés par Kehilat Kedem. Vous pouvez également demander des cours particuliers à un rabbin ou autre enseignant. Mais quel que soit votre choix, sachez que tout cela représente beaucoup de travail. Il m’est déjà arrivé que des personnes intéressées par la conversion mais effrayées par l’importance d’une telle masse de connaissances à acquérir me demandent si c’est vraiment indispensable, si on ne peut pas s’en passer. Non, on ne peut pas s’en passer. Oui, c’est indispensable. La bonne nouvelle, cependant, c’est qu’il n’y a aucune date-butoir pour acquérir tout cela : si vous parvenez à ingurgiter et à assimiler tout cela en un an, c’est parfait; s’il vous faut dix ans, c’est parfait aussi.

conversion au judaïsme à Montpellier
L’apprentissage de l’hébreu, ou en tout cas, a minima, l’acquisition de rudiments, n’est pas négociable.

La conversion au judaïsme prend du temps

Comptez un grand minimum de deux ans, à supposer que vous suiviez des cours d’hébreu et d’introduction au judaïsme toutes les semaines et assistiez à tous les offices ou presque. Pour la plupart des gens, la conversion au judaïsme représente plutôt trois à quatre ans. Pour ma part, elle a pris sept ans : il faut dire qu’au milieu de cette période, mon emploi du temps a été plutôt secoué par la naissance de mes deux filles. Quoi qu’il en soit, sachez qu’il n’y a pas de règle : chacun prend le temps qui lui est nécessaire.

La vie juive en prend aussi !

On attend de tout membre de la communauté qu’il mène une vie juive. Cela signifie non seulement adhérer aux valeurs et aux coutumes du judaïsme, mais également s’inscrire dans la communauté, assister aux offices hebdomadaires et aux célébrations des fêtes juives, et ainsi de suite. Quand vous êtes en phase de conversion, il faut y ajouter le temps de cours et/ou d’études personnelles. Selon votre pratique personnelle et vos possibilités personnelles, attendez-vous à investir dans votre vie juive entre trois et huit soirées par mois, le double si vous êtes en période de conversion. Certains ne souhaitent pas consacrer autant de temps que cela à une activité cultuelle. Et c’est bien compréhensible. Mais alors pourquoi se convertir ?

Une vie juive ne se limite d’ailleurs pas à la seule pratique du culte. L’inscription dans une communauté et dans une synagogue repose sur trois piliers. Le culte est l’un d’eux. Les deux autres sont d’une part l’étude, qui est permanente et se poursuit toute la vie (un Juif n’a jamais fini d’apprendre; il n’a jamais fini de creuser, de remettre en question, de remettre en perspective…) et d’autre part l’aspect humain de la communauté, qui se traduit par des rencontres, des échanges, de l’entraide, la participation à des fêtes ou des repas communautaires, et ainsi de suite. Et il n’y a pas, dans le judaïsme, de frontière étanche entre ces trois aspects. 

La conversion au judaïsme est une forme d’acculturation

La conversion au judaïsme n’est pas une adhésion à un credo prédéfini. Voyez-la plutôt comme l’apprentissage d’une culture étrangère, de ses rites, de ses coutumes, de ses habitudes, de sa cuisine et de son mode de vie. Comparez-vous à une personne immigrant dans un pays étranger et souhaitant s’y intégrer : apprendre la langue est une première étape mais ne suffit pas.

 

Conversion au judaïsme pain de shabbat
Tôt ou tard, il vous faudra aussi apprendre à cuisiner les halot !

La conversion au judaïsme est une affaire de famille

Votre conversion ne concerne pas que vous : si vous vivez en couple, il sera exigé que votre conjoint soit mis au courant de votre démarche. Il ou elle n’a pas besoin de vous donner son approbation mais vous ne pouvez pas vous convertir à son insu.

Le judaïsme libéral reconnaissant la filiation juive pour les deux parents, vos enfants à venir (ainsi que les enfants en bas âge que vous avez déjà) seront considérés comme Juifs après votre conversion si vous êtes une femme; si vous êtes un homme, ils pourront être facilement convertis dans leur jeune âge (souvent en même temps que vous) si leur mère donne son accord et que vous vous engagez tous deux à les élever dans le judaïsme.

conversion au judaïsme et valeurs familiales
On n’est pas juif tout seul : on s’inscrit toujours dans une famille et une communauté.

La foi n’est pas indispensable…

Le judaïsme ne vous demande pas de croire mais de pratiquer : ce qui se passe dans votre tête et votre cœur vous regarde seul. La foi, c’est entre D.ieu et vous. Personne ne viendra jamais vous demander si vous croyez en D.ieu, ni comment vous y croyez. C’est intime, personnel, secret. Et ça ne regarde pas la communauté. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’évolution spirituelle durant le processus de conversion; il y en a une, et elle est puissante, mais elle se manifeste souvent de manière discrète. D’année en année, on la ressent, cependant, installée silencieusement, presque par sédimentation. On peut appeler cette évolution de diverses manières, et chacun, je pense, a un nom différent pour ce phénomène. Pour ma part, je la pense comme une ouverture aux dimensions verticales de l’être. Si vous ne comprenez pas réellement ce que je veux dire par là, soyez rassuré : moi non plus. Mais j’y travaille.

En revanche, ce qui vous sera demandé, c’est bel et bien de la pratique. La conversion au judaïsme n’est pas une question d’adhésion à un dogme rigide, mais bien d’adoption de pratiques spécifiques : participation aux offices, compréhension et pratique de la kasherout, et ainsi de suite.

… mais les valeurs du judaïsme libéral ne sont pas négociables

Kehilat Kedem s’inscrit dans le cadre du judaïsme réformé, et plus spécifiquement du judaïsme libéral. Cela signifie que nous adhérons à un certain nombre de valeurs et que nous nous attendons à ce que ceux qui souhaitent nous rejoindre y adhèrent aussi. Si vous ne vous retrouvez pas dans ces valeurs, ça n’est pas grave : vous êtes parfaitement libre de ne pas partager nos idées. Mais cela signifie que vous vous êtes trompé de synagogue : mieux vaut que vous alliez frapper à d’autres portes qu’à la nôtre. Ne rejoignez pas une communauté dont les valeurs ou les pratiques vous choquent ou vous rebutent; vous n’y seriez pas heureux.

Ceci dit, si vous êtes dans le doute, si vous hésitez, si vous n’êtes pas certain que le judaïsme libéral est fait pour vous, n’hésitez pas à contacter la synagogue : nous pourrons toujours discuter, vous accueillir pour quelques offices, et vous pourrez vous faire une idée par vous-même.

Tout cela a un coût

Eh oui … il faut bien à un moment ou à un autre en venir aux réalités matérielles : une conversion au judaïsme, qu’il soit libéral ou non, a un certain coût. Impossible, cependant, de vous indiquer un prix précis. En revanche, nous pouvons estimer grosso modo une fourchette générale, en nous basant sur les éléments suivants : admettons que vous allez rester trois ans en période de conversion (ce qui est une estimation raisonnable), et que durant cette période, vous allez vous acquitter à la fois des frais d’adhésion à l’association et de ceux liés aux cours d’hébreu biblique et d’introduction au judaïsme ; vous allez également assister aux grandes fêtes, faire quelques dons à cette occasion et un peu de tzedaka. Vous allez également faire l’acquisition de livres (livres de cours, Bible en hébreu ou bilingue…), sans doute faire quelques déplacements pour des visites ponctuelles. Et à la fin, il y aura de petits frais supplémentaires pour votre passage devant le Beth Din et au mikve, sans compter d’éventuels frais de voyage (par exemple, pour passer devant le Beth Din, vous devrez peut-être vous rendre à Paris). Au total, vous aurez sans doute dépensé entre 3000 et 5000 euros, lissés sur plusieurs années, dont un tiers à la moitié que vous pourrez récupérer en déduction fiscale si vous êtes imposable. Si vous êtes un homme, ajoutez à cela autour de 1000 euros pour la circoncision (il s’agit d’une opération chirurgicale délicate qui, ne relevant pas d’un besoin de santé, n’est pas remboursée par la Sécurité Sociale, ni généralement prise en charge par les mutuelles). Je précise que ces chiffres sont une estimation, à l’aune de ma propre expérience et pour une conversion qui s’est déroulée entre 2014 et 2021.

En cas de difficultés financières (ou si vous êtes aussi nul que moi en ce qui concerne la paperasse et laissez systématiquement traîner vos factures), sachez que la communauté sait se montrer compréhensive et peut s’adapter à vos moyens réels. Mais la conversion au judaïsme ne sera jamais gratuite : elle représentera toujours un certain investissement, en temps, en argent, en énergie et en efforts. Plus généralement, après la conversion, sachez que la vie juive aussi à un coût : les communautés ne vivent que des dons et du soutien financier de leurs membres et elles ont des frais importants (paiement des rabbins, qui pour la plupart n’ont pas d’autre source de revenus; location de salles; traiteurs pour les repas communautaires; aide aux démunis; et ainsi de suite). Comptez entre 200 et 400 euros par an au minimum, entre les frais d’adhésion, quelques dons, des participations à des événements particuliers, etc. C’est un petit budget, mais après tout ça n’est pas supérieur à ce que la plupart des gens dépensent pour leurs loisirs.

Et en pratique, comment se passe une conversion au judaïsme ?

Une conversion au judaïsme (ou guiyour) se déroule en plusieurs étapes. Dans un premier temps, il va vous falloir manifester votre intérêt pour notre communauté. Pour cela, rien de plus simple : il vous suffit de nous contacter, via le formulaire ad hoc. Je vous conseille de soigner ce premier message. Souvenez-vous que pour la personne qui va le lire, accepter votre candidature implique de vous voir plusieurs fois par mois pendant les prochaines années : il faut donc que vous convainquiez cette personne que vous n’allez pas lui faire perdre son temps. Prenez le temps d’expliquer votre démarche, les raisons de votre intérêt pour le judaïsme libéral en général et Kehilat Kedem en particulier, et ainsi de suite. Nous ne jugeons pas le message à sa longueur, ni à sa qualité littéraire ; en revanche, un premier contact bâclé a toutes les chances de ne pas recevoir de réponse : si vous n’êtes pas assez motivé pour prendre un instant pour nous expliquer votre démarche, comment pourrions-nous croire que vous le serez assez pour suivre des cours pendant plusieurs années ? Ce qui nous intéresse, c’est de sentir en vous un candidat sérieux, motivé, adhérant aux valeurs du judaïsme libéral et potentiellement un futur membre de notre communauté.

A la suite de ce premier contact, nous vous fixerons un rendez-vous téléphonique, suivi d’une rencontre physique, au cours de laquelle un ou plusieurs membres de la communauté échangeront avec vous et vous aideront à clarifier les points qui pourraient être obscurs.

Après cela, et si votre intérêt est confirmé, vous serez invité à participer à quelques offices, afin de vous rendre compte par vous-même de ce que représente la liturgie juive. Vous serez également invité à commencer l’étude de la langue hébraïque et du judaïsme en général. Vous serez aussi invité à des rencontres informelles, au cours desquelles les personnes en cours de conversion discutent avec un ou des membres de plus longue date de la synagogue, et qui sont l’occasion de renforcer les liens humains dans la communauté.

Après quelques mois, si vous restez intéressé, vous serez présenté à un rabbin, qui sera chargé de vous accompagner tout au long de votre démarche de conversion. Il vous demandera un premier écrit décrivant votre motivation, votre parcours spirituel et les avancées de votre conversion jusqu’ici. Selon vos disponibilités respectives et le temps que vous pouvez allouer à vos études judaïques, vous reverrez ce rabbin une à quatre fois par an, durant toute la durée de votre conversion. Pendant cette même période, vous continuerez à étudier et à participer aux activités de Kehilat Kedem, bien entendu.

Quand votre rabbin vous estimera prêt, il vous le fera savoir et obtiendra pour vous une entrevue avec le Beth Din, un tribunal rabbinique chargé de prononcer les conversions. Trois essais écrits vous seront demandés, qui seront présentés à ce tribunal : l’un décrivant votre parcours, un autre sur une question générale relative au judaïsme, un troisième sur un sujet libre, là encore en rapport avec le judaïsme (par exemple, ma question générale portait sur la kasherout, et pour mon sujet libre j’ai choisi certaines des implications éthiques de la notion de tikkun olam). Pour les hommes, un certificat de circoncision vous sera également demandé, rédigé par une personne habilitée à le faire (généralement la personne ayant procédé à la circoncision : les rabbins n’iront pas voir par eux-mêmes, et personne ne vous demandera de vous déshabiller pour vérifier !). Il vous faudra aussi avoir réfléchi au prénom hébraïque que vous souhaitez porter dans le cadre liturgique ; outre ce prénom, vous serez connu comme Ben/Bat Abraham (fils/fille d’Abraham; certaines préfèrent Bat Sarah).

Le passage devant le Beth Din peut être impressionnant : pour ma part j’y ai perdu mon latin et mon hébreu par la même occasion. Si le Beth Din accepte votre conversion, vous devrez ensuite passer au mikve, le bain lustral rituel, et y lire, à demi-immergé, des bénédictions spécifiques (en hébreu, bien entendu). Une fois ceci fait, mazel tov ! vous êtes enfin Juif. Ne croyez pas cependant que ce soit la fin de l’histoire : ça n’en est que le début. Vous portez désormais sur vous le poids de l’Alliance et la responsabilité des mitzvot. Vous comptez au minian et avez des responsabilités à l’égard de votre communauté. Bref : rien n’est fini, tout commence.

Tout cela a de quoi faire peur. Et à juste titre : oui, la conversion au judaïsme est un parcours long et difficile, et oui, ce parcours exige énormément de travail, de détermination et de persévérance. Mais trois éléments doivent également être pris en compte pour nuancer tout cela : tout d’abord, il faut avoir conscience que chaque pas vous fera avancer et contribuera à modifier votre point de vue et à enrichir votre expérience de vie et votre expérience spirituelle. D’autre part, il faut se souvenir que la conversion au judaïsme n’est en rien obligatoire pour participer aux activités de la synagogue. Enfin, le sentiment de satisfaction et d’accomplissement ressenti en sortant du mikve, quand on regarde derrière soi et qu’on réalise tout le travail réalisé, constitue un souvenir puissant, et ce moment marque fortement une existence.

Toujours pas découragé ? Voici quelques liens pour continuer…

Berechit : le Serpent a-t-il menti ?

La figure du serpent, présente dans Berechit, est à la fois familière et très mystérieuse. Un grand nombre de mythologies de la Méditerranée orientale et du Croissant fertile présentent une opposition entre le dieu céleste et bon et une incarnation du mal ou, à tout le moins, de l’opposition, sous la forme d’un serpent : Ra et Apophis, Enki et Enlil, Mardouk et Tiamat, Apollon et Python … l’Eternel et le Serpent. Pour autant, dans la Bible, si le reptile en question semble présenté sous un jour négatif, il n’en demeure pas moins une figure prométhéenne, en cela qu’il guide l’humanité vers le savoir et en paie lui-même le prix. On pense généralement qu’il trompe Eve et l’amène à la faute. Mais est-ce vraiment le cas ? A-t-elle réellement fauté ? Et le serpent a-t-il réellement trompé la mère de l’humanité ?

Les transformations d’Adam

Si le mythe de la création du premier couple humain a, bien souvent au cours de l’histoire, servi à justifier une place secondaire accordée aux femmes dans les sociétés humaines, ce passage, comme du reste toute la Bible, est avant tout ce que l’on décide d’en faire et peut être lu de bien des manières. Ainsi, par exemple, il est à noter que, contrairement à ce que l’on croit souvent, ce n’est pas Eve (Hawa), mais bien Isha qui croque le Fruit. A l’instar de nombreux personnages de la Torah, en effet, la mère de l’humanité change de nom après un événement marquant, pour indiquer qu’elle vient de vivre une initiation ou une conversion : tout comme Abram devient Abraham, Saraï devient Sarah ou Jacob devient Israël, Isha devient Hawa après l’épisode du Fruit.

Ce changement de nom n’a rien d’anodin : il indique, très clairement, que l’absorption du Fruit marque une transformation profonde de son être. Et ces transformations, chez les patriarches et les matriarches, sont toujours positives : elles indiquent un rapprochement avec la dimension spirituelle et verticale, jamais un abaissement. Mais remontons un peu plus haut et demandons-nous qui, au juste, est Isha.

Aux origines, D.ieu crée un être humain « à Son image » : Adam Ha Rishon (« l’Adam des Commencements »), lui-même reflet d’une vision céleste antérieure à la Genèse : l’Adam Kadmon (Homme Primordial), qui constitue en quelque sorte le schéma directeur de la Création. Cet Adam Ha Rishon, dont un midrash nous assure qu’il dispose de deux visages opposés, un peu à la manière de Janus, est ensuite coupé en deux quand D.ieu prélève un côté (et non une côte !) pour former Ish et Isha. Il faut donc voir cet épisode comme une séparation de l’androgyne originel, et surtout pas comme la création d’un être inférieur à partir d’un os surnuméraire. Isha est donc une moitié d’Adam Ha Rishon : la moitié de l’image divine, la moitié du plan céleste; et elle porte en elle le devenir de toute l’humanité.

Devenir semblable à D.ieu : la promesse du Serpent

Le Serpent promet (Genese 3 :4-5) qu’après l’ingestion du Fruit, Ish et Isha seront « semblables à l’Eternel », car connaissant le Bien et le Mal. Et il semble, d’après le texte, que cette promesse emporte la décision et encourage Isha à goûter au Fruit. On peut donc supposer qu’elle portait en elle un désir de se rapprocher de l’état divin. Et sans doute son erreur se trouve-t-elle précisément ici : dans le fait de rechercher une solution extérieure à son désir de similitude avec l’Eternel. Car pour se rapprocher réellement de l’état divin, elle dispose d’un moyen, et ça n’est pas la transgression de l’interdit du Fruit. Pour devenir semblables à D.ieu, il suffit aux humains de se rapprocher l’un de l’autre : l’image divine, ça n’est ni le mâle, ni la femelle de l’espèce, mais bien cet androgyne formé par le couple mêlé dans l’étreinte. Ce qui, en ce monde de matière, ressemble le plus à D.ieu, ce n’est pas la soif de connaissance, mais bien l’amour conjugal.

L'amour conjugal et le serpent : deux visions opposées de l'accession au divin
Si image de D.ieu il y a, ce n’est ni celle d’un homme, ni celle d’une femme, mais bien celle de l’étreinte d’un couple.

Si faute d’Isha il y a, elle se trouve ici : dans le fait d’avoir cru que l’on peut se rapprocher seul du divin, que l’on peut avoir une connaissance intime de la Transcendance sans s’embarrasser des autres, ni de l’Autre. Et que l’on peut acquérir cette proximité avec le Sacré uniquement par le savoir, sans se soucier d’empathie ni d’amour. Et pourtant, les humains, après avoir goûté au Fruit, vont bel et bien se rapprocher de l’état divin…

Une étrange punition

On cherchera en vain, dans les propos de l’Eternel au moment où Il apprend que les humains ont goûté au Fruit, la moindre trace de colère : si la plupart des lecteurs partent du principe que ce qu’Il prédit comme destin à l’Homme et à la Femme est une punition, en réalité, rien dans le texte biblique ne l’indique. Et on peut ne lire tout cela que comme une simple énumération des conséquences des actes d’Ish et d’Isha : la mortalité, la douleur, la souffrance, tout cela découle de leurs propres actes. S’agit-il d’une punition divine ? Pas nécessairement. Seulement de ce qui arrive quand on choisit la connaissance, au détriment de l’obéissance. On acquiert le savoir, et avec lui une forme de pouvoir, et donc de responsabilité. Tant qu’on ignore la différence entre le bien et le mal, tant qu’on demeure dénué de toute forme de moralité, on n’est responsable de rien. Mais dès que l’on prend conscience du bien et du mal (c’est-à-dire du fait que les actes ont des conséquences), tout change.

L’humanité avait le choix : elle pouvait opter pour une bienheureuse ignorance, une éternelle enfance, une sorte de béatitude semi-animale. Mais elle a préféré choisir la connaissance, la compréhension de l’éthique et de la morale, et ce qui en découle logiquement : la responsabilité et les souffrances.

Et à travers ces souffrances, à travers ces douleurs, aussi paradoxal que cela puisse sembler, l’humanité se rapproche du Divin. Car dès l’exil à l’est d’Eden, les humains héritent du monde, et en cela ils sont bel et bien semblables à D.ieu. Ils L’ont même, en quelque sorte, chassé du monde, car désormais ce sont eux, et non plus Lui, qui sont responsables de la Création. Commence alors la longue et lente marche vers la réparation du Cosmos, ce Tikkun Olam qui est la charge et le fardeau du genre humain et qui consiste non pas à réparer un péché originel qui n’a pas nécessairement eu lieu, mais bien à rendre vivable une Création imparfaite.

Et le Serpent, alors ?

On peut donc s’interroger sur cette figure du Serpent. Est-il réellement un vil tentateur ? N’est-il pas plutôt une figure émancipatrice ? Ne devrait-on pas le considérer comme une figure certes mystérieuse, mais au fond pas si négative que cela ? Car après tout, il pousse Isha à préférer la compréhension à l’obéissance. Et ceci est, au fond, un acte authentiquement philosophique, et surtout profondément humain. A ce titre, il parachève l’œuvre créatrice en poussant les humains à acquérir une morale et un libre arbitre véritable; peut-être, dès lors, doit-il être vu comme une figure démiurgique, sans doute plus maladroite ou pragmatique que réellement maléfique.

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La haftarah de Bereshit

Par Georges-Elia Sarfati

Les Sages ont choisi un passage d’Isaïe (42,5-43,10) en guise d’ouverture prophétique de la section inaugurale de la Torah. La critique historique distingue dans ces versets un propos du Deutéro-Isaïe, qui aurait prophétisé entre -586 et -538, à l’époque de l’exil de Babylone, peut-être même au sortir de cet exil. La formule du messager fait directement lien avec le récit de la création (Ber.1), en même temps qu’elle en suppose les étapes ultérieures (Ber. 1, 20-25) :

« (42, 5) –Ainsi parle le Tout-Puissant, l’Eternel qui a créé les cieux et les a déployés, qui a étalé la terre avec ses productions, qui donne la vie aux hommes qui l’habitent et le souffle à ceux qui la foulent (…) »

La création du monde matériel et celle des espèces vivantes marque la première manifestation de la révélation de l’Eternel. Ses phases sont ici inversées : le propos d’Isaïe donne la préséance aux hommes – tandis que, dans le Sefer Bereshit, ils viennent après les autres vivants (Ber.1, 26-27 ; Ber.2, 5-7) – comme pour suggérer qu’une fois sorti du règne naturel, l’humanité devient responsable des autres créatures, puisque le fait d’habiter en ayant sous son regard ‘’ceux qui foulent la terre’’, signifie peut-être une forme de non-indifférence.

Dépositaire privilégié de la Révélation, le prophète prend également soin de rappeler qu’aux lois physiques de la création de la nature, l’Eternel a ajouté, à l’intention de l’humanité, la divulgation d’une instruction – la Torah – destinée à orienter la conduite humaine dans l’univers créé :

« (42, 21)- L’Eternel s’est complu, pour le triomphe de sa justice, à rendre sa doctrine grande et glorieuse. »

Cette précision revêt ici toute son importance. Elle nous enseigne à discerner qu’à la création d’un univers doté de lois naturelles coïncide celle d’une intelligence (nechama) accessible à la compréhension de lois spirituelles.

La proclamation d’Isaïe offre la version la plus épurée de la théologie hébraïque, celle de l’unicité et de la singularité inaliénable du Créateur. Cette conception fait valoir l’une des innombrables réfutations de l’idolâtrie si caractéristiques de la Bible :

« (42, 8) – Je suis l’Eternel, c’est mon nom ! Je ne prête ma majesté à aucun autre, ni ma gloire à des idoles sculptées. »

Nous comprenons chemin faisant que Son action en appelle à la puissance du don gratuit (la création procède d’une décision libre et volontaire qui s’exprime comme surgissement de la vie), et simultanément à une force spécifique de limitation de toute-puissance qui ne serait pas celle de l’Eternel (la justice). A ce point, la prédication prophétique voit dans Israël la possibilité même de l’introduction d’un sens dans l’histoire :

«(42,6)- Moi, l’Eternel, je t’ai appelé pour la justice et je te prends par la main ; je te protège et je t’établis pour la fédération des peuples et la lumière des nations ; pour dessiller les yeux frappés de cécité, pour tirer le captif de la prison, du cachot ceux qui vivent dans les ténèbres. »

La vocation morale d’Israel

Ce verset forme le cœur de la prophétie, il détermine la vocation d’Israël, en tant qu’’’appelé’’. S’il est une essence historique d’Israël, celle-ci consiste à véhiculer et instituer la justice dans le monde. La forme même de cette vocation s’affirme sous le signe du mandat providentiel («je te protège et je t’établis»). Ce mandat comporte sa finalité propre : il est de l’ordre de la transmission universelle, dont la finalité s’incarne dans le rassemblement des différentes fractions de l’humanité (« la fédération des peuples »). Une longue tradition exégétique, autant que culturelle, souvent marquée du sceau du lieu commun, a fréquemment associé à l’idée d’Israël l’expression d’Isaïe : « pour la lumière des nations ». Celle-ci traduit une intention autant qu’une direction : il ne saurait s’agir d’une hégémonie politique, mais davantage d’une destination morale, intéressant de proche en proche les entités politiques (les ‘’nations’’). Précisons ici que la « lumière » d’Israël irradie celle qui a présidé à la création (Ber. 1, 3). L’alternance lexicale peuple (am)/nation (goy) indique bien que la « justice » comprise par Israël est appelée à informer les cultures populaires, antérieurement à leur affirmation politique. Cela nous enseigne que le musar /l’éthique juive constitue la véritable assiette des peuples, antérieurement à leur constitution en nations.

Isaïe institue une véritable synonymie entre la présence au monde d’Israël et l’instauration universelle de la justice (tsédèk), dont l’esprit, y compris reçu et réinterprété par les peuples – constituées en nations ou pas – sera susceptible de dissiper l’iniquité et d’éveiller à une autre possibilité de l’histoire, émancipée de l’ignorance (« ténèbres »), comme de la tyrannie (« cachot ») et de l’oppression (« prison »), que celles-ci résultent de l’excès des passions ou de la malignité des pouvoirs.

Mais la vocation d’Israël – qui est obligation morale – ne va pas sans risque, car le Serviteur de l’Eternel lui-même peut aussi bien refuser d’assumer sa mission. A la fois obligé et témoin, Israël – du fait de sa diversité même – diversité qui l’expose aux tentations autant qu’aux écueils d’une histoire éclatée – est susceptible de s’insurger contre la « lumière » – c’est-à-dire l’Instruction – dont il a la charge :

« (42, 19) – Qui est aveugle, sinon mon serviteur, sourd, sinon le messager que j’envoie ? Qui est aveugle comme le favori (du Seigneur), aveugle comme le serviteur de l’Eternel ? Tu as vu de grandes choses et tu n’as pas fait attention; tu avais les oreilles ouvertes sans rien entendre ! »

La profération d’Isaïe retentit d’une tonalité renouvelée, depuis la renaissance d’Israël, puisque la conscience de sa vocation, et la congruence avec l’intelligence de sa tradition demeurent des enjeux toujours actuels. Aux uns, elle rappelle que la moralité ne saurait s’abstraire de l’histoire, aux autres que l’histoire ne saurait se dérouler au mépris de la moralité.  Et à tous, que le souci de l’unité et la conscience de la fidélité conditionne la possibilité d’une histoire sensée :

« (43, 10) – Vous, vous êtes mes témoins, dit l’Eternel, et le serviteur choisi par moi pour reconnaître, pour croire en moi et être convaincu que moi JE SUIS : qu’avant moi, nul Dieu n’a existé, et qu’après moi, il n’y en aura point. »

Etudier à Kehilat Kedem avec Georges-Elia Sarfati

Depuis un an, Kehilat Kedem a la chance de compter parmi ses principaux intervenants en études juives, le professeur Georges-Elia Sarfati.

Philosophe, linguiste, traducteur, diplômé de l’institut rabbinique Schechter de Jérusalem, docteur en études juives de l’université de Strasbourg, psychanalyste existentiel, Georges-Elia Sarfati nous a d’abord fait voyager dans la tradition éthique du judaïsme, dont il est l’un des plus éminents spécialistes. C’est en effet au cours d’un premier cycle de dix séances, que GES nous a initiés à cette pratique spirituelle qu’est le Moussar. Et c’est en travail de binômes très motivés que nous avons pu plancher pendant ces cinq derniers mois.

Pour vous donner une idée de ce qu’est le Moussar, n’hésitez pas à cliquer sur ce lien pour écouter ou réécouter une émission de Talmudiques de Marc-Alain Ouaknin avec Georges-Elia Sarfati.

Vous pouvez également lire l’excellent article de GES sur «l’Esprit du Moussar» via le lien.

Cette étude sur le Moussar a été introduite par une conférence inaugurale le 15 octobre dernier co-organisée par Kehilat Kedem et l’Institut Universitaire Maïmonide-Averroès-Thomas d’Aquin avec pour thème : «Viktor Frankl (1905-1997), Le Dieu Inconscient, Psychothérapie et religion » . Lors de cette conférence, Georges-Elia Sarfati a introduit son travail sur la logothérapie ou thérapie existentielle créée par le psychologue et penseur juif Victor Frankl, lui-même très imprégné de cet héritage éthique du judaïsme. Nous avons le plaisir de vous offrir le replay de cette conférence.

Un second cycle sur le Moussar aura lieu à la rentrée qui pourra également être suivi par les personnes qui n’auraient pas eu la possibilité d’être présents sur le 1er cycle. Nous vous tiendrons informés.

Soucieux de répondre à notre soif d’études, GES a également rejoint depuis le début de l’année notre groupe d’étude de lecture de la Bible en havrouta (travail en binômes) qui se tient en visio-conférence deux fois par mois. Pour en savoir plus sur cet atelier qui réunit des passionnés de l’interprétation de nos textes, vous pouvez cliquer sur ce lien.

Pour terminer l’année d’études, un cycle de quatre conférences passionnantes et essentielles sur la question du judaïsme contemporain après la Shoah vient de débuter. Pour en savoir plus sur cette série de conférences, vous pouvez cliquer ici.

Par ailleurs, Georges-Elia Sarfati  vient de donner une interview sur Radio Aviva que nous vous invitons à écouter ici.

Essayez un de ces cours! Cela pourrait donner une «sacrée» dimension à votre étude!