2022
Metsorah : éloge de la solitude
Les péricopes bibliques de Tazrìa et Métsorah analysent différentes circonstances qui impliquent des situations d’impureté, une forme d’ “opacité de l’âme” qui oblige celui ou celle qui s’y trouve à s’isoler pendant un certain temps, après quoi l’individu sera réinséré dans la société, en passant par des actes rituels qui vont célébrer sa faculté renouvelée d’entrer en relation avec le sacré et avec les autres.
J’ai parlé d’opacité car le terme hébreu Tameh, généralement traduit par “impur”, semble être relié à la racine du mot Atoum, “opaque”, puisque dans ces états nous assistons à une sorte de manque de clarté et de capacité de distinction, donc une opacité.
Parfois ces états peuvent être occasionnés par des événements naturels tels que l’accouchement, parfois plutôt par des éléments extérieurs, comme dans notre parasha arrive au Métsorah, qui est affecté par des lésions cutanées mystérieuses, ou encore par des situations accidentelles comme le contact avec un corps sans vie. Le contact avec la mort constitue la plus grande des sources d’impureté, puisque dans la mort les individus perdent l’éclat qui les rend différents les uns des autres. Il s’agit donc bien d’une opacité qui se crée.
Concernant le Métsorah nous lisons:
“Il est opaque/impur, il habite solitaire, son habitation hors du camp.” [Lév. 13:46].
À première vue, il semblerait évident que la raison de cette exclusion est celle d’éviter la contagion. Mais les Maîtres on lu dans cette manifestation physique étrange du Métsorah une conséquence de son incapacité de communiquer, notamment par l’usage de la médisance. Cette lecture vient en grande partie du fait que dans le chapitre 12 des Nombres Myriam, la soeur de Moché, est frappée par cette affection après avoir parlé du frère de façon inappropriée. Là encore, nous pouvons voir dans cette “impureté” une incapacité de reconnaître dans l’autre les peculiarités qui le rendent unique, en préférant plutôt le réduire à un stereotype.
Il est de notre devoir de toujours lire les textes et les interprétations avec un œil critique, ce qui me donne l’occasion de souligner les risques de cette lecture traditionnelle, où la victime de l’affection est identifiée comme la source de son mal, dans un esprit de blaming the victim que nous devrions toujours regarder avec une certaine méfiance. En même temps, nous ne pouvons pas ignorer cette lecture des Sages, notamment en considération de la gravité du phénomène de la médisance et de sa fréquence dans le monde moderne.
Différentes sources rabbiniques, notamment dans la littérature Hassidique, suggèrent que l’isolement du Métsorah a comme but celui de réduire son égoïsme. En restant isolée, la personne qui a dit du mal d’autrui devrait se rendre compte qu’elle a besoin des autres. Elle devrait sortir de cet isolement plus disposée à tolérer les aspects des autres qu’apparemment ont induit son comportement, et à mieux accepter les inévitables imperfections humaines qui l’entourent.
En même temps la médisance est souvent le fruit d’une vision qui amplifie de façon disproportionnée les défauts des autres. La solitude peut donc être une stratégie pour encourager le responsable à contempler ses propres défauts, à regarder à l’intérieur de lui-même.
Dans cet état d’isolement il n’y a donc pas qu’une attitude punitive. Bien au contraire, nous pouvons y déceler des aspects qui visent le développement intérieur de l’individu.
De nombreux psychologues ont souligné l’importance de la capacité d’être seuls, et cela depuis l’enfance. Très souvent l’art se développe en solitude, et le poète Novalis [Allemagne, 1772-1801] écrit que “C’est intérieurement que va le chemin mystérieux”. Mais pour aller vers l’intérieur, pour parcourir ce chemin mystérieux qui est le chemin de tout être humain, il faut avoir l’espace et la solitude nécessaires.
Le traité mishnique de Pirkei Avot commence avec la phrase « Moché a reçu la Torah du Sinaï. » La question classique est: pourquoi du Sinaï ? Pourquoi ne pas simplement dire qu’il l’a reçue de la Transcendance divine? Le commentateur Yehuda Abravanel [Portugal, 1464-Italie, 1530] suggère que le Sinaï, lieu isolé du reste du monde, a donné au prophète les facultés spirituelles nécessaires pour recevoir la Torah. Moché a donc bien reçu la Torah du Sinaï, car c’est le Sinaï qui le lui a permis.
L’isolement du Métsorah peut sans dout lui paraître comme une punition. Mais comme pour toute condition, si l’individu est en mesure de l’exploiter pour grandir et méditer sur son comportement, sa condition peut se transformer en un chemin vers l’intériorité la plus pure.
Nous commençons en ce moment à sortir de la pandémie, une situation dans laquelle beaucoup d‘entre nous ont vécu plus isolés que d’habitude, La pandémie nous a entre autre montré à quel point tous les êtres humains sont connectés et reliés les uns aux autres sous un même ciel. Il serait donc extraordinaire de pouvoir constater que ce temps nous aura donné la possibilité de voyager en nous, en nous rendant plus ouverts et plus bienveillants avec les autres.
Je suppose que seul l’avenir nous le dira.
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2022
Parasha Ki Tissa : beauté et sainteté
Nous lisons dans le Décalogue: « Tu ne feras pour toi ni sculpture ni toute image de ce qui est dans les ciels en haut, sur la terre en bas, et dans les eaux sous terre. » [Ex. 20 :4] Mais pendant que la Transcendance communique à Moshé ces lois, les Israélites construisent le veau d’or. Généralement cet objet est considéré comme idolâtre car il est perçu comme objet de culte et d’adoration. Mais l’impulsion qui anime les Juifs n’est probablement pas d’ordre cultuel et religieux uniquement. Il y a aussi un désir de beauté. Les Israélites viennent de sortir d’Égypte, lieu où la beauté artistique est recherchée et soignée. Aujourd’hui encore, les ornithologues peuvent savoir quels types d’oiseaux il y avait en Égypte à l’époque, grâce à la qualité artistique des détails de leurs représentations. Les Juifs, peut-être inspirés par la beauté des paysages désertiques, veulent eux aussi pouvoir créer quelque chose d’artistique. Mais nous savons que la beauté peut parfois comporter des risques.
Matthew Arnold, poète et écrivain britannique du XIXe siècle, a écrit que les Grecs adoraient la sainteté de la beauté, les Juifs recherchaient la beauté de la sainteté. C’est une définition peut-être simpliste mais fascinante. Les Grecs, cependant, étaient conscients des dangers de l’expression artistique. Platon dans la République critique l’art parce qu’il exerce son charme sur la partie irrationnelle, enchante l’âme, l’exalte et la confond, enflammant les passions, et nous savons que cela est susceptible de se produire véritablement.
Le Judaïsme n’a pas toujours été très orienté vers l’art, mais l’art en a toujours fait partie. La Torah consacre quelques versets à la création du monde, mais des centaines de versets à la construction du Tabernacle. Il existe aussi un concept de Hiddour Mitsvah, beauté de la Mitsvah, selon lequel nous devrions accomplir les mitsvot de la manière la plus somptueuse et la plus élégante possible. Nous remarquerons que dans le Décalogue, il est dit : «Tu ne feras pour toi ni sculpture ni toute image … ». Je pense que l’expression « pour toi » est centrale. Si l’objet est fait « pour toi », pour nourrir l’ego et pour flatter la vanité de ceux qui le réalisent, nous sommes dans l’idolâtrie. S’il est conçu pour transcender ceux qui le réalisent et canaliser l’attention vers autre chose, c’est autre chose. L’idée juive selon laquelle il faudrait imiter la Transcendance dans ses qualités de générosité et de sollicitude pourrait et devrait aussi s’étendre à la faculté de créer la beauté. Ce n’est pas un hasard si dans la prochaine Sidra nous rencontrerons le personnage de Betsalel, qui aura les qualités artistiques qui manquent à Moshè pour créer le Tabernacle. Cela signifie que déjà à partir de l’époque biblique les artistes et l’arts ont un rôle, et que même le culte peut et doit s’exercer dans la beauté et par la beauté, sans toutefois que la beauté elle-même devienne un objet de culte. La beauté créée par l’humain doit être une force qui conduit à aller au-delà de l’humain, quelque chose qui va engendrer l’admiration pour la création divine. Ce n’est pas un hasard si le même or utilisé dans cette Sidra pour le veau sera utilisé dans la prochaine pour le Tabernacle. Symboliquement, cela signifie que les mêmes impulsions que nous pouvons utiliser pour nous glorifier et nous auto-célébrer peuvent être utilisées pour ressentir et exprimer qu’il y a quelque chose de plus grand que nous et qui nous transcende. Cela peut être réalisé avec des vertus comme la générosité, ou des valeurs comme la justice, mais aussi avec la beauté, une beauté qui ne sera pas seulement extérieure, mais qui touchera quelque chose de profond et d’intérieur dans l’être humain et dans le monde que la Transcendance a créé. C’est en prenant soin de cette beauté dans ce que nous faisons et dans la manière dont nous le faisons que nous montrerons à nous-mêmes, aux autres et à la Transcendence elle-même l’amour pour ce monde et la gratitude pour la beauté qui nous a été donnée. Le souhait pour nous tous est donc celui de pouvoir reconnaître et imiter cette beauté dans nos vies, avec l’aide de HaChem.
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2022
Parasha Bo : Un monde de liberté
Par Haim Cipriani
La première mitsva/responsabilité que les enfants d’Israël reçoivent, juste avant la sortie d’Egypte, est celle de célébrer la nouvelle lune, la lune de Nissan : «Ce mois sera pour vous le premier des mois.» [Ex. 12:2].
Qu’y a-t-il dans cette mitsva qui incarne le message de la libération imminente ?
Nous ne pouvons pas violer les lois de la nature…..
Si le mois de Nissan ouvre la saison du printemps, l’année agricole naturelle commence à Tichri, le mois qui marque le début de l’automne et le début du labour et de la plantation. C’est pour cette raison que Roch Hachana a lieu à Tichri et que la Torah fait constamment référence à Tichri comme au point de départ et de conclusion du cycle annuel.
Vivre une vie définie par le calendrier agricole signifie vivre une vie dictée par les lois de la nature. Il s’agirait là d’une existence cyclique, où les gens naissent, se reproduisent et meurent, comme le dit si bien Qohélet/l’Ecclésiaste: «Une génération s’en va, et une autre génération vient ; mais la terre demeure éternellement.» [Eccl. 1:4] Un tel monde serait immuable et statique, et ce genre de vie ne servirait aucun but supérieur.
Déclarer que le mois de la libération d’Egypte sera le premier mois, c’est affirmer que nous ne vivons pas dans un monde gouverné uniquement par la nature. L’exode va engendrer non seulement une réorganisation du temps, mais surtout une nouvelle orientation de notre vision du monde et de notre conception de l’existence. Il y bien un monde naturel avec des cycles saisonniers dont il va falloir prendre conscience, mais il y a aussi un monde de l’histoire, dans lequel des changements radicaux peuvent se produire, et ces changements peuvent parfois aller au-delà des lois de la nature où le fort a toujours le dessus sur le faible. Dans ce monde de l’histoire, un peuple asservi pourra être libéré, puis conduit à la responsabilité du Sinaï, et à la construction d’une société plus juste. Vivre dans un tel monde, c’est vivre une vie d’espérance messianique, une vie de recherche et de sens.
… mais nous n’avons pas non plus à vivre sous leur tyrannie
Mais cette première mitsva va encore plus loin: selon les Sages, elle exige non seulement que Nissan soit identifié comme le premier des mois, mais que nous soyons partenaires dans le processus. Dans le traité de Roch haChana, le Talmud demande au peuple d’Israël d’établir, sur la base de l’observation de la nouvelle lune, quand le mois commence . «Ce mois sera pour vous», dit le verset. La nouvelle lune devra donc être vue, reconnue sur la base d’une série de critères, puis proclamée officiellement afin de ne pas être simplement la nouvelle lune, mais notre nouvelle lune.
Cette mitsva présente donc un monde dans lequel Israël, porteur d’un message de liberté et autodétermination, sera maître de son propre destin.
L’idée est donc que nous ne pouvons pas violer les lois de la nature, mais nous n’avons pas non plus à vivre sous leur tyrannie. Nous pouvons choisir comment nous rapporter aux réalités ainsi dites «naturelles», et déterminer si vraiment ce jour sera le premier du nouveau mois. Par ce choix, nous rejetons le déterminisme et nous pouvons enfin quitter un monde où les autres définissent notre existence, pour entrer dans un monde dans lequel nous sommes maîtres de notre temps, un monde dans lequel nous avons la possibilité et la responsabilité de décider ce que nous ferons et de déterminer l’orientation de nos vies. Un monde de liberté.
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