2021
Grands principes et petits choix
La tradition exégétique juive raconte une discussion entre les anciens Sages pour identifier le verset le plus important de la Torah. Un rabbin propose le passage biblique qui est devenu plus tard le début du Chéma Israël: « Écoute Israël, YHVH est notre Elohim, YHVH seulement » [Deut. 6: 9], tandis qu’un autre suggère : «Et tu aimeras ton prochain, il est comme toi» [Lév. 19:18]. Mais l’opinion considérée comme ayant plus d’autorité est celle qui opte pour un passage beaucoup moins connu: «Un agneau tu l’offriras le matin, le deuxième au crépuscule» [Ex. 29:39], qui fait référence au Tamid, le sacrifice biquotidien qui était offert dans le sanctuaire à l’époque biblique.
C’est une idée très audacieuse. De quelle manière un élément rituel serait-il considéré comme supérieur aux grands principes théologiques ou moraux, tels que l’unité divine ou l’amour du prochain?
La réponse est que ce qui guide vraiment notre vie, le diapason sur lequel notre vie s’accorde, n’est pas vraiment le résultat de grands principes, mais de nos petits choix quotidiens, et de notre manière de les suivre de manière cohérente, chaque matin et chaque soir, comme l’ancien sacrifice. Après tout, les sacrifices étaient des moyens de communiquer notre présence et notre aspiration à une relation avec une entité complètement transcendante et éloignée, séparée de nous d’une manière qui me fait penser à la distanciation sociale et émotionnelle que nous vivons aujourd’hui.
Cette période de confinement et de limitations que nous traversons aujourd’hui depuis bientôt un an pourrait constituer une concrétisation du principe «Un agneau tu l’offriras le matin, le deuxième au crépuscule», c’est-à-dire un contact régulier avec ceux qui sont isolés, et souvent en détresse. Peu d’entre nous peuvent concrètement guérir les malades, ou contribuer très généreusement à la réalisation de nouveaux services hospitaliers. Mais nous pouvons tous choisir de contacter certaines personnes tous les jours avec discipline et régularité, sans attendre une inspiration souvent irrégulière et hésitante. Nous pouvons transformer une époque qui pourrait être humainement aride en une période fertile de relations et de proximité, malgré tout. Ce type de choix pourrait changer radicalement la nature de cette époque, et une partie de cette richesse pourrait s’étendre même au-delà, quand peut-être nous en aurons encore plus besoin.
Nous avons peu de contrôle sur ce qui va se passer demain et à long terme, mais nous avons le pouvoir de déterminer nos actions aujourd’hui, et de transformer ce moment de distanciation en un temps de proximité, à travers le choix d’offrir chaque jour l’équivalent de l’ancien sacrifice biblique. L’offrande de notre temps, de notre présence régulière, matin et soir.
Par le Rabbin Haïm Cipriani
2020
Souccot ou la fragilité de l’existence
Par le rabbin Haim F. Cipriani
Dans le livre du Lévitique/Vayikra, toutes les fêtes de l’année juive sont répertoriées.
Après avoir conclu cette liste, le texte ajoute :
«Ce sont les solennités de YHWH dans lesquelles vous proclamerez des appels de distinction, […] Mais le quinzième jour du septième mois, lorsque vous aurez récolté la moisson de la terre, vous célébrerez une fête pour YHVH pendant sept jours. […] Vous habiterez sept jours dans des souccot/cabanes ; tous les citoyens d’Israël habiteront dans des souccot/cabanes», (Lév. 23 : 37-42).
La fête de Souccot, qui avait déjà été détaillée au sein de la liste, est ensuite reprise et introduite par le mot « mais », pour souligner sa particularité. En fait, Souccot clôt les récoltes agricoles, et conclut la saison des fêtes juives, pour cette raison on l’appelle Hag haAssif, la fête de la récolte, car en un certain sens elle conserve tout l’héritage de l’année juive.
Souccot : une fête pour lutter contre l’embourgeoisement des esprits
Dans la littérature rabbinique, Souccot est appelée « la fête » par excellence, peut-être parce que la dimension miraculeuse y est pratiquement absente. En fait, aucun événement précis n’est commémoré, mais nous y retrouvons tout simplement la vie quotidienne du peuple d’Israël dans le désert, animée par la confiance mais suspendue et sans certitudes. Quelques jours après Yom Kippour, et à la fin du cycle des fêtes annuelles, c’est-à-dire dans une situation où un équilibre intérieur satisfaisant aurait dû être atteint, nous sommes obligés de quitter nos résidences confortables et de vivre pendant une semaine dans un environnement précaire. cabane, la Soucca. Pour nous rappeler que la vie est nomadisme, remise en question nécessaire et constante de ce que l’on aurait pu considérer comme acquis.
Si d’un côté il est humain de vouloir cristalliser les choses et de vouloir thésauriser les résultats obtenus, le judaïsme considère l’embourgeoisement de l’esprit comme l’un des risques les plus grands et les plus insidieux. Ainsi, la loi juive prescrit de sortir de la solidité présumée de ses demeures, de ses convictions et de ce que l’on croit acquis, pour célébrer avec joie la fragilité et l’éphémère de la condition humaine.