2022
Glissements et extensions de la manne : kouzou et milouï
Par Laurent Picard, frère d’étude (havrouta), ami de Kehilat Kedem
Cette section se situe entre les rachats des premiers-nés début du chapitre 13 et la guerre contre Amalek au chapitre 18. Dans cette parasha, se trouvent les principales péripéties de la sortie d’Egypte : colonne de fumée, colonne de feu, premières pérégrinations dans le désert face à la mer rouge, passage de la mer rouge, cantique à la gloire de l’Éternel, les eaux amères, les douze tribus et les 70 sages, le pain du ciel, l’eau du Rocher et la bataille contre Amalek.
Une péripétie attire particulièrement l’attention. C’est le passage de la manne et plus précisément le verset 16 du chapitre 16 qui est l’énonciation par Moïse du rituel de la manne.
18 MOTS, TOUT L’ALPHABET
Ce qui est remarquable, c’est tout d’abord la structure de ce verset. En regardant de plus près, on trouve l’apparition des 22 lettres de l’alphabet. En effet, le verset est composé de 18 mots et une série de 70 lettres, il contient toutes les lettres de l’alphabet.
Lors de la lecture de la Genèse, ce n’est qu’au chapitre 2 verset 11 que toutes les lettres de l’alphabet auront été présentes au moins une fois. C’est dire le « concentré d’alphabet » qu’il y a dans ce verset 16 !
LA MÉTAPHORE DE LA LETTRE
Le glanage de la Manne, annoncé par Moïse, se fait selon une règle quantitative d’un omer (une unité de volume) par tête, donc suivant le nombre de personnes par maison. Le texte hébreu utilisele mot crâne pour désigner l’individu.
La guematria simple de l’expression un « omer par crâne » (« omer lagoulgolet ») totalise en hébreu, un compte de 806. Cette valeur écrit également l’expression « les signes » (« hahotot ») au pluriel ; notre propos est de montrer comment dans ce contexte de la manne, « l’omer par crâne » s’entend comme signes alphabétiques, les lettres.
Une précision méthodologique concernant la guematria est ici nécessaire. Rappelons que la guematria simple ou cumulative (en hébreu le « raguil ») est la somme de la valeur numérique de chaque lettre qui compose un mot, une expression, une phrase, voire davantage.
Nous appelons guematria pleine, la guematria qui prend en compte le développement du nom de la lettre : ainsi la lettre aïn ע a pour valeur numérique 70 mais le développement de la lettre, sa plénitude, s’écrit Aïn+Yod+Noun עין 130. C’est ce qu’on appelle la guématria pleine : en hébreu, le « milouï ». Ici, l’aspect visible de chaque lettre c’est-à-dire, sa figure, l’initiale, cache d’autres lettres invisibles qui constituent le déploiement de son nom (épellation). Petit rappel : chaque lettre est l’initial d’un nom, ex : le signe aleph est l’initiale du mot taureau (aleph).
Revenons à notre verset 16.
Au vu de la remarque qui précède, on peut considérer que chacun des 18 mots du verset est constitué de son initiale et des lettres qui constituent le mot. Par exemple : « ich », un homme, a pour initiale aleph et comme déploiement yod et shin. Au travers de cet exemple, on est invité à penser que l’homme c’est la présence d’un commencement « yod + shin = yesh », « yesh » + aleph, il y a un initial, un début, un commencement.
Le verset est donc constitué de 18 initiales et d’autre part des lettres qui constituent le déploiement de chaque initiale.
Faisons la somme de ces 18 lettres initiales (de ces 18 mots) : la valeur cumulée totalise un compte de 838. Et 838 peut s’écrire 806 + 32.
Remarquons que 32 écrit le mot « bal », c’est-à-dire la première lettre de la Torah -le Beth ב de Berechit qui vaut 2-, et la dernière lettre de la Torah, le lamed ל (qui vaut 30) de Israël. /Berechit-Israël/ sont les 2 bornes du texte de la Torah.
Sachant que d’une part 806 renvoie aux signes, « hahotot », et d’autre part, 32 renvoie aux lettres- bornes de la Torah, c’est une façon de dire que 838 renvoie à l’ensemble des lettres de la Torah.
Parmi les 70 lettres du verset, qu’en est-il des 52 lettres restantes ? Bien sûr c’est la question qui vous démange !
La guematria de l’ensemble du verset est 5106. Par conséquent, la guematria de ces 52 lettres résulte de la différence entre 5.106 et 838 (valeur cumulative des 18 initiales), soit 4268.
Il faut ici faire une deuxième remarque.
Tout d’abord, la guematria simple de l’ensemble des 22 lettres de l’alphabet (le raguil) est égal à 1495.
La guématria pleine de l’ensemble des 22 noms des 22 lettres de l’alphabet (ou milouï : ex : aleph c’est aleph+lamed+phe ; bet c’est bet + youd + tav etc.), c’est-à-dire chaque initiale et son développement est lui égal à 4248.
LE MILOUÏ, RÉSERVE DE SENS
Nous avons vu à l’instant que 4268 correspond au milouï des initiales du verset 16. Le nombre 4268, milouï de ces initiales est comme l’alphabet et son milouÏ.
Et 4 268 peut s’écrire 20 + 4248. Pourquoi 20 ? 20 correspond à la lettre caf כ qui signifie en français « comme » ou « ainsi ». On peut donc interpréter cette valeur de 4268 ainsi : comme le milouï de l’alphabet, alphabet qui est, comme nous l’avons dit, présent dans son intégralité dans ce verset.
Ce verset renferme l’alphabet et son milouï. Le milouï de ce verset (4268) correspond à la somme de l’alphabet et son milouï.
Ce verset unique met en relation le texte de la Torah avec l’alphabet. Ce qui invite à imaginer que la Torah serait aussi un milouï de l’alphabet.
Si on a bien compté et bien suivi, on peut alors comprendre maintenant, plus clairement, l’ossature remarquable de ce verset. Il met en exergue d’une part la matérialité alphabétique de la Torah, dans toute sa dimension, et d’autre part le potentiel de sens, à travers les noms des lettres et leurs déclinaisons qui composent la Torah.
Autrement dit, le glanage de la manne, c’est-à-dire le glanage des lettres sur le sol donne à voir de nouveaux sens.
LA QUESTION DE LA MANNE
Une question essentielle demeure : pourquoi la manne est-elle porteuse de ce potentiel herméneutique?
C’est que l’apparition de la manne pose la question de la question. En effet, quand les Hébreux la découvrent au matin, ils posent la question : « qu’est-ce que c’est ?» et la réponse est « c’est du qu’est-ce que c’est ». Cette expression « c’est du qu’est-ce que c’est » se dit en hébreu /ze man/ et le mot « zman » signifie en hébreu « temps ». « Jeux de langue, jeux de mots »
Il ne s’agit pas ici de l’éternité du temps mais de la succession des instants de vie, du mouvement de la vie.
DANSE DU LANGAGE
La manne est comparée à de la rosée.
La guematria du mot rosée « tal » est 39, elle est aussi la guematria du mot « kouzou ». Ce mot « kouzou » est écrit sur le parchemin de chaque mezouzah. Il correspond au nom du Dieu Tétragramme en mouvement. Ce mouvement correspond au glissement de chaque lettre du Nom divin vers la lettre suivante dans l’ordre de l’alphabet ; le Yod devient caf, le Hé devient vav, le Vav devient zaïn et le Hé devient vav. C’est le langage en mouvement, rien n’est fixe et chaque signifiant renvoie à un autre signifiant. Ainsi se construit l’interprétation à chaque fois nouvelle elle aussi.
Développement et glissement sont deux modalités de l’action de la manne sur le monde. Développer la Manne, c’est considérer le nom de la lettre memמ et de la lettre nounנ, c’est-à-dire מם+נון soit un cumul de 186. Ce nombre 186 renvoie au maquom, lieu de la présence divine.
Le glissement ou kouzou de la manne le memמ devenant nounנ et le nounנ devenant samekh ס écrit le mot נס /nes/ le miracle.
Miracle du pain des cieux !
2021
Cahiers noirs, Shlomi Elkabetz
Shlomi Elkabetz, frère de Ronit Elkabetz, a fait un documentaire en deux volets, un premier volet Cahiers Noirs- Viviane écrit et réalisé avec sa sœur et un second, Cahiers Noirs- Ronit, réalisé par Shlomi après le décès de sa sœur.
Le premier volet est consacré à leur famille : la mère, le père, la fille, le fils. Famille juive marocaine dont on ne sait pas très bien quand, comment ni depuis quand ils sont arrivés en Israël, mais dont l’histoire, qui apparait en filigrane, rappelle celle de nombre de nos propres parents, proches ou éloignés. Plus qu’une histoire, ce sont des portraits construits à partir de fragments filmés de la vie réelle, auxquels répondent des extraits du film Prendre femme. Ronit y joue Viviane, sa mère, et nous dit ce que sa mère ne nous dit pas vraiment, dit sans vouloir dire, témoignage d’une femme coincée au foyer, étouffée, sous les convenances familiales et religieuses qui dominaient dans ces milieux juifs marocains modestes des années 1970 en Israël. Viviane, c’est ce personnage de femme en résistance, mais consciente de ses liens, malheureuse de ne pouvoir s’en affranchir. L’intégrité austère du mari religieux, du père enfermé dans sa solitude s’impose à cette femme, à la famille tout entière.
Images de la mère qui parle à son fils (Shlomi derrière la caméra) de sa vie de femme déçue, sans trop savoir ce que la caméra enregistre ou pas, et de ce père, digne et silencieux, tout en pudeur qui fuit la caméra, mais pas son fils.
Images de cet appartement modeste, rutilant de propreté, où tous les échanges ont lieu dans le petit couloir ou dans la cuisine, comme attrapés à la volée, entre d’autres activités. Pas de discussion de salon ici, le salon reste toujours vide. Et les images de Prendre femme qui disent toujours quelque chose de plus, que le père et la mère ne peuvent exprimer directement. Et Ronit, enfant silencieuse qui absorbe la peine de la mère, du père, et qui en grandissant prend le parti de la vie.
On retrouve Ronit, personnage principal du second volet. Toujours indissociable de son frère, inlassable compagnon, qui ne cesse de filmer tous leurs instants de vie, sur la route, dans l’avion, dans les rues de Paris, au cimetière au Maroc, sous la pluie, dans la nuit, sous un soleil de plomb…. Peut être guidé par cette prophétie du voyant marocain reçue dans ce taxi parisien. Le lieu central ici c’est Paris et l’appartement refuge choisi par Ronit, entre deux avions, de retour d’Israël, de Los Angeles, de Cannes… et cette fois, le magnifique canapé rose est central. Paris, cette odeur, cette lumière ! nous dit-elle, inspirée et inspirant à plein poumons. Ronit, c’est une tornade de femme dont on perçoit les hésitations, les doutes, la volonté farouche d’affranchissement, l’appétit de vie. Les images du film Le Procés, en miroir – à l’écran et dans les coulisses de la réalisation – nous montrent ce combat de femme actrice et réalisatrice et mère, et cette force de vie qui subit les assauts de la maladie, mais s’entête, chevelure noire sacrifiée. L’appartement parisien finira par être vidé, cartons embarqués dans un corbillard…
Aucun ennui pendant ces quatre heures de projection d’images saccadées jouant avec la lumière – lumières de la ville et lumières du beau visage de Ronit, caché dans sa sombre chevelure emmêlée ou menton haut sous le chignon noir jais de l’actrice ou sourire bravache sous un crâne dégarni – mais beaucoup d’émotions et un souffle de vie qui passe en nous.
Bande annonce de Cahiers Noirs
2021
Soirée de Shavuot : parce l’étude est une fête !
Shavouot, soirée d’étude et de résonances « tissage des voix … et des papilles »
Des moments d’études suivis d’échange entre les rabbins invités et les auditeurs, ponctués de pauses musicales interprétées par des professionnels, amis et adhérents de nos communautés.
Le programme de la soirée
17h45 -18h00 : Présentation de la soirée, des intervenants, des communautés et de leur président
Pause musicale : pièce Klezmer enregistrée lors du spectacle donné à ULIF Marseille, Basilic swing
18h00 – 18h45 : Étude « Végétarisme et judaïsme » proposée par le rabbin Haïm Casas, avec confection en direct d’un « gaspacho shavouot » (liste des ingrédients ci-dessous).
Pause musicale : chant lyrique (musique liturgique), Samuel Lison,Hazan
19h00 – 20h00 : office de Erev Shavouot co-dirigé par l’étudiante rabbin Sophie Bismut et le rabbin Haïm Casas
20h00 – 20h45 : pause dîner
Pause musicale : réinterprétation de 2 morceaux liturgiques (Psaumes de L. Bernstein), Roman Lafitte
21h00 – 21h30 : Étude « Pirqé Avot et Shavouot » proposée par Georges Elia Sarfati
Pause musicale: chants, Carole Berrebi
21h45 – 22h15 : Étude « L’autre Révélation » proposée par Haïm Cipriani
Pause musicale : pièce au violon (musique liturgique), Haïm Cipriani
22h30 – 23h00 : Étude « histoires de hallot » proposée par Sophie Bismut
Pause musicale: Claude Bismut, pièce liturgique en tango (piano)
C’est dimanche 16 mai à partir de 17h45, s’inscrire ici.
Ingrédients Gaspacho: 1 kilo et demi de tomates mûres,1 poivron rouge,1 concombre, 2 gousses d’ail,1 morceau de pain rassis,1 jet d’eau, huile, sel, poivre
2021
Kabbalat shabbat du 9 avril en direct de Tel Aviv
Nous avons été nombreux à participer à cet office partagé vendredi 09 avril. Le rabbin Béni, Binyamin Minich, de la synagogue Beit Daniel de Yafo, nous a accompagné en musique et a partagé son interprétation optimiste de la paracha Chemini.
En cette triste période de commémoration de Yom Hashoah et malgré le caractère sombre de la paracha Chemini, c’était un moment chaleureux, orchestré par Margot Levine, et ponctué des chants et prières des participants et du rabbin Béni à la guitare. Carole Berrebi nous a également fait la joie de nous chanter quelques prières.
Le rabbin Béni nous a invité au cours de sa drasha sur la paracha Chemini à réfléchir au sens de la disparition des deux fils d’Aaron – punition de n’avoir pas respecté une règle divine ou trop grande proximité à la divinité? Elle nous renvoie à cette question de la présence de Dieu lors de la disparition de millions de juifs dans la catastrophe de la Shoah.
Cette question inépuisable qui s’imposera au judaïsme survivant est précisément le thème du prochain cycle de conférences animé par Georges Elia Sarfati, le judaïsme contemporain depuis la Shoah et organisé par Kehilat Kedem.