2022
Parasha Vayetse : aller vers un ailleurs – par Gabriel Farhi
Jacob fuit la colère de son frère Esaü. Il s’arrête en chemin dans un lieu appelé Louz, où lui apparaît en rêve une échelle qui touche les cieux, et que parcourent des anges. Il aperçoit au sommet l’Eternel, qui lui promet de l’accompagner en exil. A son réveil, Jacob dresse une pierre et renomme le lieu Bethel.
Jacob parvient à Haran, chez son oncle Laban, où il rencontre sa cousine Rachel, près d’un puits (comme Eliezer, qui avait rencontré Rébecca près d’un puits; mais alors que Rébecca avait donné à boire à Eliezer, c’est Jacob qui fait rouler la pierre du puits pour permettre à Rachel de boire). Jacob accepte de travailler sept ans pour Laban afin d’obtenir la main de Rachel mais après la noce, il se rend compte qu’il a été trompé et qu’il a, sans le savoir, épousé la soeur aînée de Rachel, Léa. Au prix de sept années de labeur supplémentaires, il obtient également Rachel. Mais celle-ci demeure stérile, contrairement à Léa. Les deux femmes donnent chacune à Jacob l’une de leurs servantes comme concubine. Ce n’est qu’après la naissance de dix fils et d’une fille que Jacob a enfin un enfant de Rachel : Joseph. Décidant de rentrer en Canaan, Jacob doit encore échapper à Laban, à qui Rachel a dérobé des idoles.
Illustration : Mohamad Babayan – Unsplash
2022
Parasha Noah : détruire l’humanité pour sauver le monde ? Par Floriane Chinsky
L’idée d’une nécessite de détruire ou, à tout le moins, de limiter brutalement l’humanité dans son existence-même, et ce afin de sauver la Terre de nos déprédations, est devenue commune dans nos sociétés actuelles. Mais elle n’est peut-être pas si récente que cela : après tout, c’est, à bien des égards, la démarche que l’on peut attribuer à l’Eternel dans la parasha Noah.
Illustration : Jasper van der Meij – Unsplash
2022
Berechit ou l’éloge du travail – par Valérie Stessin
La parasha Berechit ouvre la Torah par la création du monde. D.ieu ordonne la création du monde et des créatures qui le peuplent en six jours. Le sixième jour, il crée un couple d’êtres humains et parachève l’oeuvre par l’instauration du shabbat. L’être humain est installé en Eden, où il reçoit une seule consigne : ne pas toucher aux fruits de l’arbre de la science du bien et du mal. Après une discussion avec le Serpent, Isha y goûte cependant et partage le fruit avec son époux. Expulsée d’Eden, l’humanité fait l’expérience de la souffrance. Du couple originel naissent deux fils : Qayn le cultivateur et Hevel l’éleveur. Lors du premier rituel religieux exécuté par les deux frères, l’offrande de Qayn n’est pas agréée, tandis que celle d’Hevel l’est. D.ieu invite Qayn à s’améliorer, mais au lieu de cela il tue son cadet et cherche à dissimuler son crime. Il est condamné à l’errance et engendre une descendance, jusqu’à Lemekh. Le couple originel a d’autres enfants, dont Seth, dont la descendance peuple la terre, bien que chaque génération, un peu plus éloignée d’Eden que la précédente, se trouve également un peu plus dégénérée. D.ieu s’afflige de Sa création et se décide à la détruire. Seul Noé trouve grâce à Ses yeux.
Illustration : Gravure Flammarion
2021
Parasha Vayigash : Vieillir, distiller
Par le rabbin Haim Cipriani
« Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu en Égypte. Mais maintenant, ne vous désolez pas, et que vos yeux ne s’enflamment pas de m’avoir vendu ici, car Elohim m’a envoyé devant vous pour donner la vie « [Gn 45, 5].
La fin du livre de Bereshit/Genèse, le Livre des Commencements, nous offre une puissante réflexion sur ce que les commencements peuvent réellement signifier.
Après tant d’années de séparation, Joseph révèle son identité à ses frères qui avaient voulu le tuer pour finalement décider de le vendre comme esclave. La scène est pleine de tension et de malaise. Les frères, retiennent leur souffle, se demandant comment va réagir celui qui est devenu entre-temps un puissant ministre égyptien.
Mais la première démarche de Joseph est une démarche de ré-interprétation, visant à relire la réalité de leur passé tragique commun. Lorsqu’il évoque Elohim comme étant à l’origine des événements, Joseph fait peut-être référence à l’attribut de justice généralement évoqué par cette appellation, comme s’il reconnaissait implicitement sa propre part de responsabilité dans la haine que les frères avaient développée à son égard. Non pas que cela diminue leur responsabilité que Joseph ré-affirme avant tout. Mais tout ne se résume pas à cette responsabilité. Joseph reconnaît aussi sa part de responsabilité en n’ayant pas modéré son égocentrisme et en laissant son père le gâter de manière exagérée et si affichée.
Vieillir c’est à la fois savoir distiller l’essentiel…
Joseph, bien sûr, aurait toutes les raisons de se venger de ses frères, mais il choisit d’interpréter les événements autrement, car le fait d’avoir vieilli lui a donné l’occasion de jeter une lumière différente sur le passé, mais aussi sur lui-même. Il a attendu pour le faire, car voir et admettre sa vérité intérieure demande du temps et de la maturation. Mais aussi parce qu’il a eu besoin d’un déclencheur. En effet, nous ne savons pas s’il aurait pu le faire si les frères n’étaient pas venus en Égypte. Joseph commence en déclarant : « Je suis Joseph votre frère ». Sachant qu’entre-temps il est devenu égyptien en prenant le nom de Tsafnat Paneach, nous pouvons comprendre qu’il ne le dit pas seulement pour ses frères, mais aussi pour lui-même. Parce que c’est seulement maintenant, à cette étape de la vie, qu’il est capable de se regarder vraiment et de prendre conscience d’un certain nombre de choses…
Il y a cependant un paradoxe. Vieillir permet une lucidité beaucoup plus grande et un regard plus déterminé sur les choses, ce qui nous permet de distiller l’essentiel. Mais pas seulement. Vieillir donne aussi la faculté de s’ouvrir à la vérité que les autres savent distiller en nous. C’est pourquoi Joseph a besoin de se confronter à ses frères et sœur pour se révéler à lui-même avant même qu’ils ne se révèlent à eux. Ce faisant, cela lui donne la possibilité d’accepter sa vérité, au sens grec d’aletheia, le dévoilement d’une personne à une autre, ou à elle-même, dans un acte de distillation de la vérité qui demande à l’homme de prendre conscience.
D’autre part, en vieillissant, nous nous retrouvons souvent avec des expériences qui se sont « sédimentarisées», rendant difficile l’affirmation de ce que nous avons fini par considérer comme «l’essentiel» et donc de pouvoir vivre « cet essentiel» avec ses éventuelles conséquences. C’est une chose de voir, c’en est une autre de réagir. Et pourtant, le pouvoir de façonner une certaine vision de ce que nous avons fini par comprendre de ce que nous sommes, de ce que nous sommes vraiment et de ce que nous pourrions être est fondamentalement le seul pouvoir que nous ayons vraiment.
… mais aussi savoir s’ouvrir à la vérité que les autres savent distiller en nous
Joseph réagit en élaborant une vision créative du passé, un choix qui lui permet de voir ses propres insuffisances, et aussi celles de ses frères, ce qui entraîne une vie ensemble possible, et non l’inverse. Il est certain que, pour lui, les deux options les plus évidentes à ce moment-là auraient été d’effacer sa vie antérieure, en laissant partir ses frères qui auraient pu être considérés comme indignes de son attention, soit de laisser tomber sa vie actuelle de gouverneur égyptien, en retournant à ses racines. Mais l’évidence ne rend pas justice à la complexité de la vie, et Joseph choisit courageusement d’intégrer ces deux réalités, en choisissant d’une part de poursuivre son travail en Égypte, et d’autre part en demandant à sa famille de s’y installer. Ceci est particulièrement problématique lorsque l’on sait que ce choix permettra à la famille d’être réunie, mais engendrera aussi l’esclavage à venir. Joseph ne connaît pas l’avenir, mais il est sans aucun doute conscient des risques de son choix audacieux, le choix de ne pas fuir, ce qui apportera la vie mais aussi la souffrance, puis encore la vie.
Tout cela nous fait réfléchir sur le fait de vieillir et de cette possibilité d’acquérir cette faculté de distillation, tout en pouvant aussi se sentir parfois incapable d’y réagir. La conclusion de Bereshit/Genèse suggère que les débuts ne sont pas toujours là où nous les avions imaginés. Parfois, ils nous prennent par surprise à différents moments de notre parcours et nous obligent à un dévoilement qui change l’état des choses à jamais. Et ils sont donc plus difficiles, plus périlleux, mais peut-être aussi infiniment précieux.
(Texte traduit de l’italien)