2023
Vayigash ou la fraternité messianique – par le rabbin Yeshaya Dalsace
Dans la parasha Vayigash, Juda, qui n’a toujours par reconnu Joseph, tente d’obtenir de lui la libération de Benjamin, dont il s’est porté garant auprès de leur père Jacob. Il s’offre lui-même comme serviteur en lieu et place du jeune homme. Joseph révèle alors son identité et assure ses frères de son pardon. Il les renvoie en les chargeant de convaincre Jacob de venir le rejoindre en Egypte. Jacob a une vision l’autorisant à quitter Canaan, avec la promesse qu’il y sera inhumé.
Jacob est présenté par Joseph à Pharaon et toute la tribu s’installe en Egypte. La famine se poursuit. Grâce à l’administration de Joseph, l’Egypte n’en souffre pas trop et Pharaon étend et centralise son autorité sur le pays.
Illustration : Tom Podmore – Unsplash
2023
Mikets : histoires de rêveurs – par le rabbin Pauline Bebe
Dans la parasha Mikets, nous retrouvons Joseph, toujours en train de croupir dans les geôles égyptiennes. Deux ans après la précédente parasha, Pharaon fait une série de rêves étranges, que personne ne parvient à interpréter. Son échanson se souvient alors de l’hébreu qu’il avait connu quand il était lui-même en prison et qui avait interprété ses songes. Il fait sortir Joseph de prison et celui-ci parvient à déchiffrer les rêves du monarque, lui prédisant sept années de disette à la suite de sept années d’abondance. Joseph conseille à Pharaon de faire des réserves de grain en prévision des années de « vaches maigres », et le souverain le nomme ministre, le chargeant de cette mission.
Quand la famine apparaît effectivement, Joseph est ainsi en mesure de nourrir le royaume, mais aussi les pays des alentours. Il a deux fils : Ephraïm et Manassé.
En Canaan, la famine touche également la tribu de Jacob. Celui-ci envoie les plus âgés de ses fils (tous à l’exception de Benjamin) en Egypte pour y acheter du grain. Ils sont arrêtés par les soldats égyptiens et comparaissent devant Joseph, qui les reconnaît mais qu’ils ne reconnaissent pas. Il garde Siméon en otage et envoie les autres chercher Benjamin, après avoir secrètement rempli leurs sacs de nourriture sans accepter leur paiement.
Jacob laisse ses fils repartir avec Benjamin, sous la protection de Juda. Joseph les accueille, leur donne un grand festin et libère Siméon. Mais il met en scène une accusation en cachant une coupe dans leur bagage, les accusant de l’avoir volé. Il désigne Benjamin comme voleur et exige d’en faire son serviteur.
2023
Vayechev ou les habits du mensonge
La parasha Vayechev nous présente Jacob installé en Canaan, et ayant pour fils préféré Joseph. Celui-ci a des visions dans lesquelles il voit ses frères se prosterner devant lui ; les relations avec le reste de la fratrie sont difficiles. Alors que Joseph va garder les troupeaux de son père près de Sichem, ses frères le battent ; ils sont tentés de le tuer mais Juda insiste pour qu’il ne soit pas assassiné, mais vendu comme esclave à des marchands ismaélites, qui l’emmènent en Egypte. Il y est acheté par Putiphar, un haut dignitaire de la cour de Pharaon.
Parallèlement, Juda marie son fils aîné à Tamar ; après la mort de son époux, Tamar, en vertu de la loi du lévirat, devient l’épouse d’Onan, mais celui-ci meurt également, après avoir refusé de lui donner une descendance. Elle doit se prostituer pour subvenir à ses besoins et va avoir comme client son propre beau-père Juda qui, n’ayant pas d’argent sur lui, lui laisse son anneau et son bâton en gage. Quand il apprend que sa belle-fille est enceinte, Juda envisage de la mettre à mort mais elle lui présente l’anneau et le bâton, sans pour autant l’accuser. Il l’épargne, et de leur union viendra la tribu de Juda, et, à travers elle, la Maison de David.
En Egypte, Joseph est apprécié par son maître mais il est également jugé séduisant par l’épouse de celui-ci. Comme il refuse de commettre l’adultère avec elle, elle l’accuse de viol et il est jeté en prison. Dans son cachot, il rencontre deux ministres déchus de Pharaon, qui font des rêves qu’il parvient à déchiffrer. Comme Joseph l’avait prédit, l’un deux retourne bientôt en grâce.
Illustration : Joseph vendu par ses frères, Constantin Flavitsky
2021
La haftarah de Vayéchev
Par Georges-Elia Sarfati
(Amos 2,6 – 3,8)
Les Sages ont choisi deux extraits du livre d’Amos pour interroger certains grands thèmes amenés par la sidra Vayéchev. Rappelons que ce prophète – qui niait faire œuvre de prophétie – fut actif au VIIIe siècle avant l’ère commune ; et bien qu’originaire de Juda, il exerça son magistère dans le royaume du Nord, à une époque où la prospérité allait de pair avec la corruption matérielle et morale. Dénoncé par le chef des prêtres, il dut quitter le royaume, mais la tonalité de ses oracles a durablement marqué l’esprit de la prophétie hébraïque.
Cet extrait du Livre d’Amos introduit très tôt le thème qui fait lien avec l’épisode de la relation que Juda entretient avec Tamar, laquelle s’est présentée à lui sous la guise d’une prostituée (Gn. 38, 14-17). Sans doute l’a-t-elle fait pour mettre à l’épreuve sa moralité. A l’époque d’Amos, la référence est encore assez vive dans les esprits pour paraître en filigrane : « (2, 7. (…) Le fils et le père fréquentent la prostituée, outrageant ainsi mon nom sacré. Ils s’étendent, près de chaque autel, sur des vêtements pris en gage, et le vin provenant des amendes, ils le boivent dans le temple de leurs dieux. »
Que la dénonciation d’Amos soit ici entendue littéralement, ou allusivement, elle souligne dans les deux cas ce que le principe même de la prostitution suppose : le fait de faire commerce de la vie d’autrui, dans des conditions nécessairement dégradantes.
Quel étrange épisode en effet que celui de Juda et Tamar, inséré dans la sidra Vayéchev comme une parenthèse narrative, mais qui prend aujourd’hui un relief si particulier. En effet, dans le récit biblique, c’est la descente de Joseph en Egypte qui prévaut, tandis que l’histoire de Juda et Tamar occupe l’arrière-plan. Longtemps, comme on le sait, le peuple d’Israël a vécu en Egypte (représentation de la diaspora où tout est possible : le malheur autant que la prospérité, suivie d’un nouveau cycle de malheurs), tandis que l’aspiration ‘’judéenne’’ demeurait minoritaire. Depuis l’éveil du sionisme à la fin du XIXe siècle, et son accomplissement national depuis 1948, l’histoire du peuple d’Israël a commencé d’inverser cette répartition : l’esprit de Joseph n’est plus représentatif de la majorité, tandis que le peuple d’Israël est entré dans un cycle judéen. Le mouvement de balancier de l’histoire voulue a aussi pour conséquence de placer Juda devant les écueils de toute société, ancienne ou nouvelle : le risque de la défaite de ses propres idéaux, dans la confrontation aux contraintes de la guerre économique. De cela, il est déjà question chez Amos : « Ainsi parle l’Eternel : « (2, 6-7)- A cause du triple, du quadruple crime de Juda, je ne le révoquerai pas mon arrêt : parce qu’ils vendent le juste pour de l’argent et le pauvre pour une paire de sandales. Ils convoitent jusqu’à la poussière du sol répandue sur la tête du malheureux, ils font dévier la route des humbles. »
YHDH (Yehuda)/YHWH (Yahwé)
Les paroles d’Amos, qui ont fait souche dans la prophétie hébraïque en lui léguant une incoercible exigence de justice, résonnent encore pour nous. Elles opèrent comme un prisme de lecture de la modernité d’Israël, un rappel permanent à l’ordre de son style éthique. Il n’est pas dans la nature de l’éthique sociale d’Israël d’imposer comme une norme naturelle la chosification d’autrui, constitué en moyen en vue d’une fin. Cette manière d’être reconduit l’une des plus affreuses formes de servitude. Une société prenant corps dans le nouvel Etat judéen foule aux pieds ses propres valeurs lorsqu’elle ne réduit pas la pauvreté, mais la décuple, tandis que s’accroît en son sein le crime de cynisme et d’indifférence qui est la pire des indignités. C’était sans doute la teneur, ainsi entendue, du discours d’Amos, il y a 2800 ans. Par-delà sa brutalité visible, cette logique de l’extorsion entraîne une réalité non moins violente, mais moins apparente : l’expropriation de tout contenu d’intériorité. Dans une telle société, la différence spirituelle tend à se voir marginalisée. C’est ainsi que la violence de la nécessité économique détourne nombre de jeunes gens d’une vocation à peine embrassée ; elle sème le découragement dans leur cœur. Cette société corrompt et détourne de leur dessein les âmes pures. Amos, encore – « 2, 11- Et c’est parmi vos fils que j’ai suscité des prophètes, parmi vos adolescents des Naziréens ! N’en est-il pas ainsi fils d’Israël ? dit l’Eternel. Mais vous avez forcé les Naziréens à boire du vin, et aux prophètes vous avez fait défense de prophétiser !
Est-ce donc là, la société érigée au nom de l’humanisme hébraïque, promise par le Texte de sa Déclaration d’Indépendance, celle qui déracine d’elle-même, les conditions de sa propre espérance ? Cependant, sans le savoir peut être, Juda conserve la prémonition de ce que veut dire son nom : qu’il provient de Judée, qu’il y demeure, envisage de s’y établir, ou refuse cette perspective. Il sait – même s’il en ignore aujourd’hui les détails – que son histoire est marquée du stigmate de la violence et de la persécution, mais qu’elle est aussi une histoire de sursaut pour reconquérir sa dignité. Il sait encore que son existence ne va pas de soi, que ses ennemis sont encore nombreux, et que pour autant qu’il réside sur la terre d’Israël, celle-ci n’est guère assurée. Mais Juda sait aussi, d’une certitude plus secrète encore que ce que lui en dit sa désignation, que son nom d’appartenance (Juda/Judée) miroite encore de l’un des noms encryptés du Créateur : YHDH (Yehuda)/YHWH (Yahwé).
Cette proximité – connue des prophètes, puis de la tradition kabbalistique – s’exprime dans l’interpellation d’Amos : « (3, 1-2)- Ecoutez cette parole que prononce l’Eternel sur vous, enfants d’Israël, sur toute la famille que j’ai retirée du pays d’Egypte ! La voici : « C’est vous seuls que j’ai distingués entre toutes les familles de la terre, c’est pourquoi je vous demande compte de toutes vos fautes. »
Ce rappel ultime (« c’est vous seuls que j’ai distingués… ») précède la formulation de ce qui constitue l’indice explicatif de la rationalité prophétique : « (3, 7-8)- Ainsi le Seigneur n’accomplit rien qu’il n’ait révélé son dessein à ses serviteurs les prophètes. Le lion a rugi : qui n’aurait peur ? Le Seigneur Dieu a parlé : qui ne prophétiserait ? »
Cela, Juda ne peut pas l’oublier.