2023
Mythes et histoires du livre de l’Exode – par Thomas Römer, du Collège de France – Deuxième partie
Dans cette deuxième série de cours au Collège de France (2013-2014) consacrés à l’étude du livre de l’Exode, Thomas Römer s’intéresse aux personnalités des sage-femmes citées, à la naissance de Moïse, à l’identification des sites de Pithom et de Pi-Ramassès… Il poursuit sa tentative de datation des textes de l’Exode, et leur comparaison avec d’autres éléments du Tanakh. Il s’intéresse également à l’origine des récits : import de la légende de Sargon, mythe archaïque de l’exposition des enfants, signification de la naissance et du nom de Moïse, étude du séjour chez les Madianites.
Troisième cours : sages-femmes, mères et nourrices
Quatrième cours : le nom de Moïse et le séjour chez les Madianites
Illustration : Dmitrii Zhodzishskii – Unsplash
2023
Shemot ou les vertus de l’exil, par le rabbin Yeshaya Dalsace
La parasha Shemot (qui porte le même nom que le livre qu’elle commence) s’ouvre avec l’énumération des noms des Israélites venus s’installer en Egypte.
Un nouveau pharaon, qui n’a pas connu Joseph, accède au pouvoir et s’inquiète du pouvoir grandissant des Hébreux. Il les réduit donc en servitude et condamne à mort leurs premiers-nés, afin de limiter leur nombre. Mais l’un de ces jeunes enfants est abandonné par sa mère et sur les flots du Nil, dans un berceau d’osier enduit de bitume. Sa soeur Myriam le suit de loin. L’enfant est recueilli par Bithiah, la fille de Pharaon, qui lui donne le nom de Moshé. Moïse grandit et est élevé comme un Egyptien. Bien des années plus tard, il assiste à une scène au cours de laquelle un esclave hébreu est battu par un Egyptien. Il prend la défense de l’Hébreu et tue l’Egyptien; il doit donc s’enfuir et se réfugie à Madian, auprès du prêtre Reuel. Il épouse Tsipora, la fille de Reuel.
Alors qu’il fait paître le troupeau de Reuel, Moïse reçoit une apparition divine dans un buisson ardent et D.ieu lui confie la mission de sauver les Enfants d’Israël. Après de nombreuses hésitations, Moïse finit par accepter la mission. Avec Aaron, son frère, qui lui sert d’intermédiaire avec le peuple, il va demander à Pharaon de laisser partir les Israélites pour trois jours dans le désert, afin d’y rendre un culte à l’Eternel. Pharaon refuse et augmente les corvées.
Illustration : La fille du Pharaon trouve Moïse sur le Nil, tableau d’Edwin Long.
2023
Mythes et histoires du livre de l’Exode – par Thomas Römer, du Collège de France – Première partie
Le livre de Shemot (l’Exode) est la fondation d’un des récits identitaires hébraïques. Il fait le choix de l’allochtonie, en plaçant l’origine d’Israël hors de sa terre. Pourtant, le livre des Chroniques semble ignorer cette origine exodique, en indiquant que les Israélites ont toujours vécu en Canaan. Dans sa série de cours de 2014 au Collège de France, Thomas Römer (Chaire de Milieux Bibliques) aborde ces différentes origines mythiques, étudie la fonction de l’Exode dans la construction historique de l’identité juive et se penche sur les différentes versions des textes.
Cours introductif : entre allochtonie et autochtonie, invention de l’exode
L’oppression en Egypte : nouveau-nés et sages-femmes
Illustration : Nathan McBride – Unsplash
2022
Parashat Teroumah : faire place à la sainteté
Les Israélites ont quitté l’Égypte, ils ont reçu la Torah au mont Sinaï, et maintenant ils sont dans le désert et ils reçoivent des instructions pour la construction du Mishkan, la demeure portable de Dieu qui accompagnera le peuple dans le désert. La paracha de cette semaine donne bien l’impression qu’elle sera mieux placée sous forme de diagramme. Les instructions très complètes (qui occupent tout notre texte) sont longues, extrêmement détaillées et précisent chaque étape de la construction. Il y a treize versets détaillant la fabrication des tissus pour le Mishkan, quinze versets différents sur les planches de bois d’acacia, six détaillant les étapes de la construction de l’autel et de ses ustensiles et dix sur l’enceinte latérale du Mishkan, chaque instruction donnée avec ses propres mesures en coudées. Terumah est, à première vue, l’une des parashot dont la pertinence pour nos vies modernes est moins évidente.
Pourquoi Dieu a-t-il besoin d’un édifice physique au milieu du peuple ? Il a porté le peuple jusqu’ici sans en avoir, et nous avons encore de nombreux livres de la bible à finir avant de parler de la construction du vrai temple à Jérusalem. La raison est que nous avons la question à l’envers, ce n’est pas que Dieu a besoin d’un espace physique mais que lui, il sait que nous en avons besoin. En faisant une place pour Dieu, nous faisons place pour Dieu. Nous avons besoin de lieux sacrés, nous sommes programmés pour avoir besoin d’espaces distincts pour les différentes composantes de notre âme. Récemment, nous avons pris conscience de la douleur de la perte de cette physicalité. À notre époque, beaucoup d’entre nous sommes contraints de réduire toutes les composantes de nos vies à des espaces singuliers qui doivent servir de salles de classe, de synagogues, des salons des proches, de clubs sociaux, de bars où l’on rencontre de vieux amis et de chambres d’hôpital où l’on fait ses adieux pour la dernière fois. La réalité de notre condition humaine est que nous sommes façonnés par les espaces que nous habitons. Il y a un pouvoir dans notre environnement, c’est pourquoi nous nous promenons en automne dans la forêt, pourquoi nous ressentons de l’admiration en regardant la mer à l’horizon, de l’émerveillement en entrant dans nos synagogues aux fêtes des Tishri, et de la nostalgie pour les lieux que nous considérons autrefois comme les nôtres. Nous sommes façonnés par notre environnement, et nous sommes donc amenés à rechercher les lieux qui nous apportent ce dont nous avons besoin. La présence d’un Mishkan dans le camp sera l’un de ces endroits pour le peuple, et ils en auront besoin.
Rashi nous dit que la chronologie de ces événements ne correspond pas à leur ordre écrit dans notre Torah, et que l’épisode du veau d’or a précédé les instructions de construction du tabernacle[1]. Avec cette chronologie, nous pouvons imaginer les Israélites dans le désert, froids, confus, craignant les conséquences suite à l’épisode du veau d’or. Il en va de notre vie spirituelle comme de notre vie sociale, nous mentons, nous décevons, nous oublions et nous trahissons. Avec le récent épisode d’idolâtrie qui pèse sur la conscience du peuple, le Mishkan peut donc être vu non seulement comme un lieu où les israélites peuvent aller pour trouver Dieu, mais comme le souligne Abravanel, comme un rappel constant qu’il ne les a pas abandonnés, qu’il est toujours avec eux. Nous pensons que Dieu veut que les Israélites lui construisent un Mishkan pour qu’il puisse y habiter, mais l’hébreu est au pluriel, בְּתוֹכָֽם, ce qui indique que ce n’est pas dans/avec « cela » [le Mishkan] qu’il habitera, mais avec « eux » – parmi le peuple.
Les instructions continuent, détaillant les ornements qui vont du bronze le plus éloigné du Mishkan, à l’argent, puis à l’or pour les ornements de l’arche. Il est surprenant de constater que dans ce lieu très saint, avec tout l’or que les Israélites pouvaient donner, il y a quelque chose d’autre que l’on met. C’est là, nous dit la Guemara, que sont conservées les tables de la loi, non seulement la deuxième paire, mais aussi la première paire que Moïse a brisée en voyant ce que les Israélites avaient fait en construisant le veau d’or[2]. Dans ce sommet de la sainteté, nous devons placer quelque chose de brisé, un élément de la perfection de la révélation, brisé par les mains de l’Homme. Le symbolisme de ce placement dans le lieu le plus saint est frappant. Car ce n’est pas dans notre état parfait que nous avons accepté la torah, et ce n’est pas en tant qu’êtres parfaits que nous sommes créés. Les tablettes brisées dans l’arche nous rappellent que ce n’est pas en tant qu’êtres parfaits que nous sommes aimés, mais en tant qu’individus brisés, faillibles, que nous sommes réellement. Leur présence dans l’arche est un rappel que non seulement Dieu est avec nous dans le camp, mais qu’il est avec nous précisément tels que nous sommes.
Nous ne sommes plus dans le monde du temple, nous ne sommes pas dans le désert, et nous n’avons pas de Mishkan dans notre camp. Le rappel visuel de la présence divine a disparu, mais le monde dans lequel nous avons été jetés reste tout aussi déroutant, ses injustices tout aussi capricieuses, et son sens toujours plus insaisissable. Notre paracha explique comment créer une espace physique pour la sainteté, mais c’est dans le midrash que nous voyons comment nous faire de la place à la sainteté en nous-mêmes. On nous dit que lorsque Moïse reçoit l’instruction de construire la ménorah en or, il ne sait pas comment, et malgré les explications répétées de son créateur, il ne peut pas comprendre comment il peut la fabriquer, et on lui dit finalement de simplement jeter l’or sur le feu, où il émergera de lui-même en tant que ménorah[3]. Le pouvoir de façonner l’objet à sa volonté était toujours là, mais ce n’est que lorsque Moïse a fait tout ce qu’il pouvait, lorsqu’il a agi le premier, jusqu’aux limites de ses capacités, que Dieu est venu à ses côtés pour l’aider à terminer ce qu’il ne pouvait faire seul. Dieu est avec nous, pas dans le camp, pas dans le Mishkan, mais là où nous choisissons de le rencontrer. Nous faisons ce que nous pouvons, nous faisons un pas vers lui, nous mettons l’or sur le feu, en retour, il fait un pas vers nous, et prend notre main tendue.
Le Mishkan d’aujourd’hui n’est pas un édifice physique, mais c’est la place que nous laissons à l’émerveillement et à la joie dans le quotidien. Comme Moïse, nous devons faire le premier pas, ce que nous faisons à travers nos actes quotidiens de dévotion, dans le sourire à l’étranger, l’étreinte d’un être cher, le réconfort du rire d’un ami, et la joie que nous éprouvons dans l’expérience improbable d’être ici.
Nous sommes pressés et nous sommes occupés, mais lorsque nous nous forçons à ralentir, nous faisons de la place pour le sentiment de sainteté dans nos vies. Car même si le rappel visuel de la présence divine a disparu, nous pouvons toujours le sentir proche de nous. L’affaiblissement spirituel et l’aliénation par notre monde matériel ne sont pas inévitables, car même si nous remplissons nos jours avec les affaires de tous les jours et que nous nous tranquillisons avec les tâches futiles, Dieu est toujours là lorsque nous tendons la main vers lui, et il attend que nous fassions le premier pas.
[1] Rashi on Exodus 31:18:1
[2] Talmud Bavli, Bava Batra 14b
[3] Midrash Tanchuma Shmini 8.2
Version Anglophone
Parshat Terumah – Making space for holiness
The Israelites have left Egypt, they have received the Torah at mount Sinai, and now they are in the desert and they receive instructions for the construction of the Mishkan, the portable dwelling place for God to accompany the people through the desert. As texts go, this one seems like it would be better suited as a diagram. The very comprehensive instructions which occupy our whole portion are lengthy, extremely detailed, and spell out each step for the construction. There are 13 verses detailing the making of the cloths for the Mishkan, 15 different verses on the acacia wood planks, 6 elaborating on the steps for building the altar and its utensils and 10 on the Mishkan’ side enclosure, each with their own cubit measurements for the subcomponents. Terumah is, at first glance, one of the portions with less obvious relevance to our modern lives.
Why does god need a physical edifice among the people? He has carried them so far without, and we are many books of the bible away from the construction of the real temple in Jerusalem. The reason is that we have it the wrong way around, it is not that god needs a physical space but that he knows we do. By making a space for god, we are making space for god. We have a need for sacred places, we are hardwired to need spaces for the different components of our soul.
Recently, we have become acutely aware of the pain of losing this physicality. In these current times many of us are constrained to have all the components of our lives reduced to singular spaces which must serve as classrooms, as synagogues, as relative’s living rooms, as the social clubs we attend, as bars we meet old friends, and as the hospital rooms where we say goodbye for the last time. The reality of our human condition is that we are shaped by the spaces we inhabit, there is power to our surroundings which is why we go for autumn walks in the forest, why we feel awe staring the sea out to the horizon, feel wonder walking into our high-holy day synagogues, and nostalgia at the places we once thought of as ours. We are shaped by our surroundings, and so are moved to seek out the places that give us what we need. The presence of a Mishkan within the camp would be one of these places for the people, and they will need it.
Rashi tells us the chronology of these events is not the same as their written order in our Torah, and that the episode of the Golden Calf preceded the instructions to construct the tabernacle[1]. With this chronology, we can imagine the Israelites in the desert, cold, confused, fearful for the consequences following the episode of the golden calf. We are with our spiritual lives, as we are with our social lives, we lie, we disappoint, we forget, and we betray. With the recent episode of idolatry weighing on the conscience of the people, the Mishkan can thus be seen not only as a place where the israelites can go to find god, but as Abravanel points out, as a constant reminder that he has not forsaken them, that he is still with them. We think of god as wanting the israelites to build him a Mishkan so that he may dwell there, but the hebrew is plural, בְּתוֹכָֽם, indicating that it is not in/with « it » [the Mishkan] that he will dwell, but with « them » – among the people.
The instructions continue, detailing the ornaments that go from bronze furthest out from the Mishkan, to silver, and then to gold for the ornaments on the ark. Surprisingly though, among this holiest of places, with all the gold the Israelites could give, there lies something else within the ark itself. Here, the Gemara tells us, are kept the stone tablets of law, not only the second pair, but the first pair which Moses smashed on seeing what the Israelites had done in building the golden calf[2]. Within this apex of holiness we are to put something broken, an element of the perfect from revelation, broken by the hands of man. The symbolism of placing this at the holiest of holiest sites is striking. Because it is not in our perfect state that we accepted torah, and it is not as perfect beings that we are created. The broken tablets in the ark are a reminder that it is not as beings of perfection that we are loved, but as the broken, fallible, individuals we actually are. Their presence in the ark is a reminder that not only is God with us in the camp, but that he is with us precisely as we are.
We are no longer in the world of the temple, we are not in the desert, and we have no Mishkan in our camp. The visual reminder of God’s presence is gone but the world into which we have been thrown remains just as confusing, its injustices just as capricious, and its meaning ever more elusive. Our parasha spells out how to create the physical space for holiness, but it is in the midrash that we see how we can create the space for holiness within ourselves. We are told that when Moses is instructed to build the gold menorah, he does not know how, and despite repeated explanations from his creator, he can not understand how he can make it, and so is told finally to simply cast the gold onto the fire, where by itself, it will emerge as the formed menorah[3]. The power to form the object to his will was always there but it was only when Moses did all he could, when he acted first, up to the limits of his abilities that God came to his side to help him finish what he could not do alone. God is with us, not in the camp, not in the Mishkan, but where we meet him. We do what we can, we take a step towards him, we put the gold on the fire, in return, he takes a step towards us, and takes our outstretched hand.
The Mishkan of today is not an edifice, but the room we leave to experience the wonder and joy in the everyday. Like Moses, we must take the first step which we do through our daily acts of devotion, in the smile at the stranger, the embrace of a loved one, the comfort of friend’s laughter, and the joy we take in the improbable experience of being here at all.
We are rushed and we are busy, but when we force ourselves to slow down, we make room for the feeling of holiness in our lives. Because although the visual reminder of God’s presence may be gone, we can still feel him with us. The spiritual deadening and alienation of the material world is not inevitable, for though we fill our lives with the business of the everyday, and we tranquilize ourselves through the trivial, God is still there when we reach out to him, and he is waiting for us to take the first step.
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