Metsorah : éloge de la solitude
Les péricopes bibliques de Tazrìa et Métsorah analysent différentes circonstances qui impliquent des situations d’impureté, une forme d’ “opacité de l’âme” qui oblige celui ou celle qui s’y trouve à s’isoler pendant un certain temps, après quoi l’individu sera réinséré dans la société, en passant par des actes rituels qui vont célébrer sa faculté renouvelée d’entrer en relation avec le sacré et avec les autres.
J’ai parlé d’opacité car le terme hébreu Tameh, généralement traduit par “impur”, semble être relié à la racine du mot Atoum, “opaque”, puisque dans ces états nous assistons à une sorte de manque de clarté et de capacité de distinction, donc une opacité.
Parfois ces états peuvent être occasionnés par des événements naturels tels que l’accouchement, parfois plutôt par des éléments extérieurs, comme dans notre parasha arrive au Métsorah, qui est affecté par des lésions cutanées mystérieuses, ou encore par des situations accidentelles comme le contact avec un corps sans vie. Le contact avec la mort constitue la plus grande des sources d’impureté, puisque dans la mort les individus perdent l’éclat qui les rend différents les uns des autres. Il s’agit donc bien d’une opacité qui se crée.
Concernant le Métsorah nous lisons:
“Il est opaque/impur, il habite solitaire, son habitation hors du camp.” [Lév. 13:46].
À première vue, il semblerait évident que la raison de cette exclusion est celle d’éviter la contagion. Mais les Maîtres on lu dans cette manifestation physique étrange du Métsorah une conséquence de son incapacité de communiquer, notamment par l’usage de la médisance. Cette lecture vient en grande partie du fait que dans le chapitre 12 des Nombres Myriam, la soeur de Moché, est frappée par cette affection après avoir parlé du frère de façon inappropriée. Là encore, nous pouvons voir dans cette “impureté” une incapacité de reconnaître dans l’autre les peculiarités qui le rendent unique, en préférant plutôt le réduire à un stereotype.
Il est de notre devoir de toujours lire les textes et les interprétations avec un œil critique, ce qui me donne l’occasion de souligner les risques de cette lecture traditionnelle, où la victime de l’affection est identifiée comme la source de son mal, dans un esprit de blaming the victim que nous devrions toujours regarder avec une certaine méfiance. En même temps, nous ne pouvons pas ignorer cette lecture des Sages, notamment en considération de la gravité du phénomène de la médisance et de sa fréquence dans le monde moderne.
Différentes sources rabbiniques, notamment dans la littérature Hassidique, suggèrent que l’isolement du Métsorah a comme but celui de réduire son égoïsme. En restant isolée, la personne qui a dit du mal d’autrui devrait se rendre compte qu’elle a besoin des autres. Elle devrait sortir de cet isolement plus disposée à tolérer les aspects des autres qu’apparemment ont induit son comportement, et à mieux accepter les inévitables imperfections humaines qui l’entourent.
En même temps la médisance est souvent le fruit d’une vision qui amplifie de façon disproportionnée les défauts des autres. La solitude peut donc être une stratégie pour encourager le responsable à contempler ses propres défauts, à regarder à l’intérieur de lui-même.
Dans cet état d’isolement il n’y a donc pas qu’une attitude punitive. Bien au contraire, nous pouvons y déceler des aspects qui visent le développement intérieur de l’individu.
De nombreux psychologues ont souligné l’importance de la capacité d’être seuls, et cela depuis l’enfance. Très souvent l’art se développe en solitude, et le poète Novalis [Allemagne, 1772-1801] écrit que “C’est intérieurement que va le chemin mystérieux”. Mais pour aller vers l’intérieur, pour parcourir ce chemin mystérieux qui est le chemin de tout être humain, il faut avoir l’espace et la solitude nécessaires.
Le traité mishnique de Pirkei Avot commence avec la phrase « Moché a reçu la Torah du Sinaï. » La question classique est: pourquoi du Sinaï ? Pourquoi ne pas simplement dire qu’il l’a reçue de la Transcendance divine? Le commentateur Yehuda Abravanel [Portugal, 1464-Italie, 1530] suggère que le Sinaï, lieu isolé du reste du monde, a donné au prophète les facultés spirituelles nécessaires pour recevoir la Torah. Moché a donc bien reçu la Torah du Sinaï, car c’est le Sinaï qui le lui a permis.
L’isolement du Métsorah peut sans dout lui paraître comme une punition. Mais comme pour toute condition, si l’individu est en mesure de l’exploiter pour grandir et méditer sur son comportement, sa condition peut se transformer en un chemin vers l’intériorité la plus pure.
Nous commençons en ce moment à sortir de la pandémie, une situation dans laquelle beaucoup d‘entre nous ont vécu plus isolés que d’habitude, La pandémie nous a entre autre montré à quel point tous les êtres humains sont connectés et reliés les uns aux autres sous un même ciel. Il serait donc extraordinaire de pouvoir constater que ce temps nous aura donné la possibilité de voyager en nous, en nous rendant plus ouverts et plus bienveillants avec les autres.
Je suppose que seul l’avenir nous le dira.
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