2022
Parasha Chemini : du magique au symbolique
La parasha Chemini comprend, notamment, l’épisode de la mort des fils d’Aaron, condamnés par l’Eternel pour avoir commis un sacrifice non prescrit. Que signifie une telle sévérité concernant un geste qui, bien qu’excessif, est somme toute une marque de dévotion ? L’interprétation du rabbin Dalsace…
Illustration : Felix Mittermeier / Unsplash
2022
Parasha Tsav : le pouvoir d’une oreille, d’un pouce et d’un orteil
La Parachat Tsav poursuit la discussion des sacrifices que nous avons commencé à étudier dans les premiers chapitres du Lévitique. La paracha peut se diviser en deux parties. La première détaille différentes offrandes tandis que la deuxième montre comment Aaron et ses fils sont introduits dans leur fonction de prêtre.
En lisant la parachat Tsav, on peut constater que la cérémonie actuelle d’ordination rabbinique est fort heureusement éloignée de ce que nous dit la Torah de l’investiture de Aaron et ses fils. Cette dernière est un rituel compliqué qui comprend une purification par l’eau, le revêtement des vêtements sacerdotaux, l’onction par l’huile, le sacrifice d’un taureau et de deux béliers et l’aspersion de sang (chapitre 8 du Lévitique). Cette cérémonie a lieu devant toute la communauté d’Israël.
Dans la partie de la paracha qui décrit cette cérémonie, on trouve un shalshelet, un taam (signe de cantillation) très rare, avec seulement quatre occurrences dans toute la Torah. Ce signe de cantillation est posé sur le mot « Vayichhat » [il égorgea] dans le verset suivant (Lv 8:23):
« Il égorgea [le deuxième bélier], Moïse prit de son sang, il mit sur le lobe de l’oreille droite d’Aaron, et sur le pouce de sa main droite et sur le gros orteil de son pied droit ». La même procédure est ensuite appliquée aux fils d’Aaron.
Le shalshelet attire notre attention : alors attardons-nous sur ce verset, sur cet élément précis d’un rituel complexe.
Le texte nous dit que Moïse doit asperger du sang sur trois parties du corps : l’oreille droite, le pouce droit et le gros orteil du pied droit sur lesquels Moïse dépose du sang du bélier égorgé. Le sang est le symbole même de la vie. La droite symbolise la générosité, l’amour (alors que la gauche symbolise la rigueur, la justice). Mais que peuvent représenter ces trois parties du corps?
L’oreille pour entendre, pour écouter. Un texte fondamental de nos prières est ce verset du Deutéronome : « Chema Israël : Ecoute Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un » (Dt 6:4). Cette affirmation de notre monothéisme et de notre lien particulier à Dieu, commence par « Chema » : écoute. On ne dit pas : je crois. On dit : écoute. Comme un appel à faire attention, à entendre ce que l’autre dit et pas seulement ce que je crois qu’il dit.
Puis nous avons le pouce. Le pouce permet à la main de saisir et de tenir. Il représente aussi notre capacité d’agir.
Enfin, le gros orteil du pied. Tout comme le pouce, on n’a pas forcément conscience de l’importance fonctionnelle du doigt de pied. C’est celui qui est le premier à avancer et qui permet l’équilibre dans la marche.
Le rituel de consécration d’Aaron et ses fils nous rappelle ainsi les fondamentaux d’une vie humaine, et plus particulièrement les fondamentaux du pouvoir : savoir écouter, agir et avancer.
On retrouve ce même rituel avec le sang dans un autre passage du Lévitique, qui concerne le metsora, la personne atteinte de tsara’at, une maladie de peau, et qui est alors mise en quarantaine. La Torah décrit un rituel complexe de purification : dans une partie de ce rituel, le prêtre dépose du sang d’un animal sacrifié sur le bord de l’oreille droite, le pouce droit et le gros orteil du pied droit de la personne (Lv. 14:14)
On a ainsi une connexion entre le rite d’intronisation d’Aaron et de ses fils, appelés à jouer un rôle de leadership sacerdotal dans la communauté, et un rite pour le metsora, la personne en marge de la communauté. Cette connexion peut se voir comme un lien entre l’autorité associée à la fonction de prêtre et les parties les plus faibles de la communauté. La pouvoir du leader est associé à sa capacité à être en relation avec les plus vulnérables.
En posant un shalshelet sur le premier mot de ce verset, la tradition massorétique aurait-elle posé un signal de rappel? Ce verset peut sonner comme un rappel à nous tous, dès lors que nous sommes en capacité de pouvoir dans nos communautés, ou dans la société : il nous faut entendre, agir et avancer avec et pour tous, y compris les plus vulnérables, y compris ceux qui sont en marge.
Shabbat shalom
2022
Paracha Vayiqra
La haftarah de la paracha Vayiqra souligne son enjeu : «Ce peuple que j’ai formé pour moi, ils me feront monter, ils raconteront» ( עַם-זוּ יָצַרְתִּי לִי, תְּהִלָּתִי יְסַפֵּרוּ – Ishaï – Isaïe 43,21). Le prophète inspiré le proclame : Ha Shem veut oublier les fautes passées. Il veut élever Israël à le servir ; Il veut en faire un peuple de prêtres qui saura le faire connaître de l’humanité toute entière. C’est bien pourquoi le premier sacrifice dont il est question est appelé « עֹלה » (olah). Ce terme est communément traduit par holocauste, mais il signifie : montée, élévation. C’est d’ailleurs bien parce qu’il s’agit d’élévation que notre tradition considère que le livre de Vayiqra est la première chose à enseigner aux enfants dans leur scolarité. Il s’agit ici d’amour de ha Shem pour son peuple, et c’est aussi pourquoi le seul récepteur des sacrifices est le tétragramme (יהוה). Ce Nom assure la fonction compassionnelle de la Transcendance.
Pourquoi des sacrifices ?
Certes, la pratique des sacrifices n’était pas, en elle-même, spécifiquement hébraïque. Maïmonide (Guide des égarés C.III Livre 32 – Ed. Verdier cité par Elie Munk – La voie de la Torah) note que le contexte culturel de l’époque, favorisait leur usage. Il donnait au peuple hébreu un moyen universellement connu d’exprimer concrètement son attachement à ha Shem.
Pourtant les pratiques sacrificielles des Hébreux se différenciaient qualitativement des pratiques païennes. Pour commencer, nos anciens ne sacrifiaient pas d’humains, pas même des enfants. Quelle rupture avec le monde environnant ! Même les ingrédients les plus usuels se différenciaient, y compris dans certains détails qui avaient leur symbolique : les Hébreux utilisaient le sel (issu de la rencontre du feu et de l’eau) alors que les païens l’ignorait. Par contre, ces derniers se servaient du levain et du miel.
Les païens sacrifiaient pour obtenir des faveurs de leurs dieux ou l’apaisement de leurs colères. Les Hébreux cherchaient à mettre en œuvre un enseignement. Ce n’est pas pour rien que le Livre « vayiqra » dans son ensemble compte 247 mitsvot sur les 613 (voir A. Chouraqui – La Bible).
C’est d’ailleurs pourquoi Maïmonide ne considérait pas les sacrifices forclos. Ils reprendront, écrivait-il, à l’ère messianique, quand le 3ème Temple sera (re)construit. Ils feront alors toujours partie des mitsvot, même si leur sens restait pour lui mystérieux.
Aujourd’hui les moyens institutionnels de nous rapprocher de ha Shem sont les lieux d’étude, de prière, et aussi la terre et l’Etat d’Israël. C’est dans notre fidélité à ces lieux que réside notre capacité à rester nous-mêmes et à « faire revenir ceux qui se sont éloignés ». ( Jonathan Sandler « Pour plus de lumière – p.172»).
Celui-ci relève, à ce propos, que le mot qorban (קרבּן – sacrifice ) a pour racine qarov (קרב ) qui signifie : « être proche ». Quel objectif alors pour les mitsvot ? Se rapprocher. Le mot hébreux « qorban » le dit explicitement. Mais se rapprocher de qui ?
Rabbi Jonathan Sandler cite à ce propos Rabbi ‘Haïm ben Moché iben Atar (Salé, Maroc 1696 – Jérusalem 1743) dans le « Ohr Ha’Haïm » publié pour la première fois à Venise en 1741. Ce dernier considère le v. 2 du c.1 de Vayiqra : אָדָם כִּי-יַקְרִיב מִכֶּם קָרְבָּן, לַיהוָה . On peut le traduire littéralement par : « un homme, de parmi vous qui approchera un sacrifice pour ha Shem ». Rabbi ben Atar interprète ce verset de manière très intéressante. Pour ce Sage cela signifie : l’homme se rapprochera de son prochain.
Le Sefer ha Bahir (livre de la Cabbale de la fin du XIIe siècle de l’ère courante – parag.78) cité par Elie Munk (« La voix de la Torah » volume « Vayiqra » –p.12) élargit le propos. Il s’agit d’un rapprochement entre la sphère supérieure (céleste) et la sphère inférieure (matérielle, terrestre).
Les sacrifices aidaient donc les Hébreux à se rapprocher les uns des autres, mais aussi à rapprocher toute la communauté de ha Shem.
On peut souligner que ce rapprochement ne concerne pas seulement les enfants d’Israël mais l’humain en général puisqu’on a trouvé le mot Adam (אדם) en 1,2. Certes les enfants d’Israël sont choisis et formés par ha Shem pour servir (מכם אדם – un homme de parmi vous). Mais les hommes qui voudraient se joindre à leur action sont, naturellement, les bienvenus. Tout homme, même non Juif, pouvait sacrifier au Temple.
La référence à Adam signifie aussi que celui qui sacrifie, doit sacrifier ses biens propres. Adam ayant été seul au monde, il n’avait à offrir que ce qui lui revenait.
Transfert ?
Mais Elie Munk expose encore une autre opinion. Ibn Ezra, cité par Nahmanide émet l’idée selon laquelle les sacrifices permettent de transférer les fautes des hommes sur les animaux. « Puisque les actes des hommes sont composés de la pensée, de la parole et des actes, la Tora a ordonné d’appuyer les mains sur la tête du sacrifice ce qui correspond à l’acte, elle a exigé la confession des péchés ce qui correspond au facteur de la parole, puis la combustion des parties internes où se situe le siège de la pensée et des instincts ».
On pourrait rapprocher ces trois manières d’agir des trois principales fautes existantes dans la langue hébraïque :
– חטא (‘hata) – la faute commise par mégarde ou acte manqué (actes sans parole ni pensée). Le sacrifice expiatoire peut alors la réparer.
– עון (avon) – la faute commise par préméditation – (pensée et acte) – C’est l’holocauste (« עֹלה » (olah) qui doit en rendre compte.
– אשם ( ashem) ou faute commise par un crime de sacrilège, rébellion ou faux serment (parole et acte) Le sacrifice délictif y répond.
La définition des termes peut varier selon les interprétations, mais l’essentiel est là : il faut un sacré niveau de moralité et de spiritualité pour être capable d’une telle introspection !!!
Hypothèse moderne : l’animal jouerait ainsi le rôle du psychanalyste dans sa fonction réparatrice. Le taureau permettrait ainsi de se débarrasser d’une trop grande volonté de pouvoir, le mouton de sa passivité…
Les sacrifices d’animaux ne sont pas un besoin pour ha Shem, c’est évident. Le prophète Ishaï le rapporte nettement « Qu’ai-Je à faire de la multitude de vos sacrifices ? » dit-Il par sa bouche. On le perçoit aussi très bien avec la discussion suscitée par le verset 9 du c.1 ,11 : ריח־ניחוח ליהוה » ( trad. :une odeur agréable pour ha Shem). Cette expression revient à maintes reprises. Elle pourrait faire croire que la Transcendance se délecte des odeurs émises par les sacrifices. Ce n’est pas du tout le sujet. « L’odeur agréable » fait en réalité référence au sensible dans sa relation à la Transcendance. Elle n’a aucune valeur en lui-même, sauf s’il exprime une intention : la volonté d’être agréable à ha Shem en réparant ses fautes et en s’améliorant.
Pour la « techouva » et le pardon des fautes
Pour un peuple vivant, en pleine ascension, le tabernacle ne pouvait rester vide de vie. N’est-ce pas l’absence de Moshe, et le vide matériel qui s’ensuivit, qui fut la cause immédiate du veau d’or ?
Dans « Shemot » (L’Exode), ha Shem avait donné une carté d’identité à Israël avec les 10 paroles (paracha Yitro). Puis Il lui a donné un cadre avec le tabernacle. Avec le livre « Vayiqra » dans son ensemble Il s’attache à donne un contenu à ces paroles et à ce cadre. Ha Shem se donne un peuple vivant pour incarner Son Alliance. Et c’est bien parce que ce peuple est vivant, qu’il est toujours amené à fauter. Les sacrifices forment le processus qui conduit à la « techouva », ce retour vers le bien. C’est la condition même du pardon qui sera développée beaucoup plus tard, au plan philosophique par V. Jankelevitch (1903-1985) au regard de l’extermination des Juifs d’Europe. Cela n’est possible que pour un peuple qui a atteint ce très haut niveau de conscience et qui veut sans cesse se perfectionner. Le peuple hébreu ne peut exister que par une Ethique et par un Etat. Sans Etat l’Ethique meurt, sans Ethique l’Etat ne peut survivre. Vayiqra n’est qu’un début…
Illustration : Vlad Kiselov / Unsplash
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