Dire le mal
La brutalité du récent fait divers de Courbevoie peut laisser sans voix. Il faut pourtant dire : dire le viol d’une enfant, le passage à tabac, les menaces de crémation, le tout justifié par l’antisémitisme, et doublé d’une inversion accusatoire : la victime “aurait eu de mauvaises paroles à propos de la Palestine”, aurait caché son appartenance au judaïsme ; elle l’aurait donc bien cherché, mériterait son destin. A son judaïsme, déjà suffisant pour justifier une agression et un viol, s’ajoute une version à peine laïcisée et politisée d’un crime de blasphème.
C’est un classique de la pensée antisémite, qui veut que le Juif ne mérite jamais le bien qui lui arrive (il l’a toujours volé, détourné ou mal acquis) mais est toujours le seul responsable de ses propres malheurs. Le bourreau, l’assassin, le violeur, lui, n’est jamais coupable : il n’agit qu’en état de légitime défense, personnelle ou par procuration. Cette rhétorique est la même que celle des tueurs du 7 octobre. Il existe une différence dans l’ampleur de l’acte, non dans sa nature. Sauf que ça n’est pas en Israël que cela se passe. C’est en France, sur la ligne A du RER.
Que des gamins de treize ans se montrent capables de tels actes en dit long sur l’ensauvagement de nos sociétés, la violence installée, la haine du Juif perçue non seulement comme normale, mais comme exonérante. Un Mal banalisé, se nourrissant d’une absence de pensée, d’une soumission aux pulsions les plus noires de l’individu et justifié par la certitude d’appartenir au camp du Bien.
Pour ceux qui adhèrent à cette pensée, qu’ils aient 13 ou 73 ans, on peut blesser, tuer, violer, quiconque pense mal, vit mal, croit mal : le déviant, l’infidèle, bouc-émissaire pour tous les maux du monde, à qui l’on peut faire subir tout ce que l’on veut puisqu’après tout, il n’est pas vraiment humain ; c’est un Juif / bourgeois / sioniste / ennemi du peuple / autre, rayez les mentions inutiles.
Comme tout un chacun, il m’arrive de douter ; il m’arrive d’ignorer dans quel camp se trouve la justice, la morale ou le bien. Il m’arrive de manquer de certitude quant à l’attitude à adopter. Et je vous souhaite de tels moments de doute également : ils sont la marque qu’on n’a pas encore irrémédiablement plongé dans le fanatisme. Mais il y a une chose dont on peut être certain : ni la morale, ni le bien, ne se trouveront jamais dans le camp de ceux qui, au nom de leur cause, trouvent justifiable que l’on viole une enfant.
Ce shabbat, nous adresserons des prières pour le rétablissement de cette jeune fille, bien entendu. Mais cela ne suffit pas. Le collectif des associations juives de Montpellier prévoit des actions dans les jours qui viennent. Vous en serez informés dès que possible.
Julien Taillandier
Président de Kehilat Kedem
Photo de Daniele Levis Pelusi sur Unsplash