Parasha Haazinou, un cantique comme antidote contre les tentations
Par Gérard Feldman
Du peuple témoin au peuple conquérant
La parasha Haazinou (ch.32) est composée du Cantique de Moïse annoncé dans Vayelekh. Elle se présente comme une antidote contre les tentations – toujours présentes – des Hébreux à abandonner le chemin de ha Shem. Elle annonce aussi la mort de Moshe. Il verra la terre donnée, mais ne pourra y pénétrer en raison de la faute commise dans l’épisode des eaux de Meriva à Cadesh. Moshe et Aahron ont alors désobéi à ha Shem. Ils ont frappé par deux fois le rocher pour obtenir de l’eau alors qu’ils avaient pour consigne de lui parler.
Dans Bamidbar (Nombres, 20, 12), il est écrit : « Mais l’Éternel dit à Moïse et à Aaron: « Puisque vous n’avez pas assez cru en moi pour me sanctifier aux yeux des enfants d’Israël, aussi ne conduirez-vous point ce peuple dans le pays que je leur ai donné. »
LE Cantique Haazinou rassemble le peuple hébreu
Dans ce dernier chant, Moshe s’adresse aux cieux et à la terre pour proclamer le Nom de ha Shem, sa force et sa justice parfaites. Même s’il y a le bien et le mal, la balance penche vers le bien. Puis le cantique rappelle que le monde a été créé en fonction des enfants d’Israël et les enfants d’Israël pour le monde. Rachi explique : « C’est selon le nombre des enfants d’Israël, qui allaient être issus de Chem, et le nombre de soixante-dix âmes des enfants d’Israël qui sont descendues en Egypte qu’Il a « fixé les limites des peuples » en soixante-dix langues, que les 70 peuples de la terre et leurs 70 langues ont été conçues à partir des 70 hébreux ». Et le cantique rappelle tous les bienfaits dont Israël a bénéficiés en conséquence. Yaacov (Jacob est « le lot de son héritage » (v.9), lui, le troisième patriarche qui synthétise les qualités des deux précédents.
Ha Shem se désole ensuite de l’inconduite de Son peuple et promet de les punir en conséquence : «J’entasserai sur eux tous les malheurs » (v.23).
Mais au verset 27, ha Shem reprend l’argument que lui avait soufflé Moshe après l’épisode du Veau d’Or. Si ha Shem laisse les ennemis d’Israël le détruire, ceux-ci croiront que c’est grâce à leur seule puissance qu’ils ont triomphé. Il ne peut les laisser croire cela. C’est pourquoi le cantique se termine par ces mots (ha Shem) « réhabilite sa Terre et son Peuple ».(v. 43).
Le cantique de Moïse joue un rôle fédérateur et constitutif du peuple d’Israël. Il met en garde contre les dérives. Mais surtout, il montre la voie de l’unité du peuple, sans laquelle il n’aura pas la force de résister à ses ennemis. C’est la voie de la Sagesse.
Comme nous l’avons vu à la fin de Vayelekh, il joue le même rôle que tous les textes (à commencer par la Torah et les Talmuds) qui ont rassemblé les Hébreux, puis les Juifs dans leur histoire.
La mort de Moshe : punition ou miracle ?
Moshe monte au mont Nevo pour contempler « le pays que Je donne aux enfants d’Israël en propriété (32,49). Il n’y a aucun doute. Il ne s’agit pas d’une vague promesse mais d’un don sans condition.
La mort de Moshe ne se résume pas à une punition pour une faute commise dans l’épisode des eaux de Meriva. Celle-ci peut paraître vénielle, surtout comparée aux immenses mérites de Moshe.
Il s’agit d’un véritable renouvellement du pacte entre ha Shem et le peuple d’Israël. Comme il est écrit dans la parasha Ki Tavo (Deutéronome, 28,69) : « Ce sont là les termes du pacte que ha Shem ordonna à Moshe d’établir avec les enfants d’Israël dans le pays de Moav, indépendamment (מלבד – Milvad) du pacte qu’il avait conclu avec eux au Horeb ».
Jonathan Sandler (dans Pour plus de lumière) s’appuie sur le Rav letton Hacohen de Dvinsk (1843 – 1926, Mechekh Hochma ) pour expliquer que Iéhoshouah (Josué) n’aurait jamais pu conquérir Kenaan sans le regard de Moshe. Il compare le regard de Moshe qui parcourt la terre de Kenaan au périple d’Avraham. Ce dernier propagea, au cours de ses différentes étapes, l’idée de la Transcendance Une. Le regard de Moshe s’inscrit dans la continuité du périple d’Avraham. La marque des deux hommes c’est le Hessed, la bonté, la compassion.
La parasha Haazinou fait référence au Hessed d’Avraham quand, au verset 32, le texte parle de Sodome et Gomorrhe. Nous nous souvenons du célèbre épisode où Avraham tente de sauver les cinq villes de l’agglomération. Ha Shem voulait les détruire à cause des horreurs commises par leurs habitants. Avraham Lui objecta : et s’il y avait cinquante justes (dix par ville) les détruirais-tu ? Et Avraham poussa le bouchon jusqu’à dix justes pour sauver au moins une ville. Et à chaque fois ha Shem acquiesça.
Une négociation qui deviendra un pacte
De la même manière, Moshe négocia à plusieurs reprises avec ha Shem pour sauver son peuple de l’extermination, après le Veau d’or ou après l’épisode des explorateurs. Le plus grand prophète d’Israël commença même sa carrière en Egypte, où il est écrit : « Moshé, ayant grandi, alla parmi ses frères et fut témoin de leurs souffrances. » (Shemot/Exode, 2,21). Rachi commente : « il s’appliqua de tous ses yeux et de tout son cœur à souffrir avec eux. »
C’est justement ce regard plein de compassion pour son peuple que Moshe porte du haut du mont Nevo sur Kenaan. Cette compassion est indispensable car elle est aussi transmission. Mais elle ne suffit plus. Il faut un autre pacte (voir Ki Tavo 28,69 cité plus haut) qui sera marqué par la rigueur et la détermination pour entrer en Kenaan. Ce pacte n’annule pas l’autre, mais le complète.
La référence aux Eaux de Meriva le démontre bien. Ces eaux se trouvent à Cadesh. Cadesh c’est le lieu d’où sont partis les explorateurs. Ils revinrent découragés de leur exploration de Kenaan, à l’exception de Iéhoshouah et Calev. A leur retour, ces explorateurs, et tout le peuple avec eux, voulurent revenir en Egypte. Moshe ne soutint pas alors les deux chefs qui ont tenu bon. Il ne s’exprima pas explicitement. Sa seule intervention sera une nouvelle fois pour sauver son peuple de la colère de ha Shem. Il était bien dans le Hessed, mais pas dans la conquête.
Il faudra donc Iéhoshouah pour ouvrir une nouvelle période, comme il a fallu Its’haq, incarnation de la rigueur et de l’implantation en Kenaan, pour succéder à Avraham.
Photo : Karina Zhukovskaya – Pexels