2023
Antisémitisme en France et dans le monde : les chiffres 2022
Fin janvier 2023, sont parus plusieurs rapports concernant l’évolution de l’antisémitisme (non en tant que sentiment ou opinion, mais bien en tant qu’acte), à la fois en France et dans le monde.
Antisémitisme en France
Pour ce qui concerne la France, les données proviennent du CPCJ et du Ministère de l’Intérieur. Elles semblent indiquer, pour 2022, une baisse des actes antisémites sur le territoire français (436 actes recensés en 2022, soit 26% de moins que l’année précédente). Il y aurait de quoi se réjouir si l’on était certain que cette baisse est réelle. Car ce qui est mesuré ici, ce sont uniquement les actes antisémites recensés par le Ministère de l’Intérieur. Autrement dit : ceux qui ont fait l’objet d’une plainte. Tous les autres, et ils sont nombreux, passent sous le radar. Combien ? Impossible à dire. Beaucoup de victimes, confrontées à un sentiment d’abandon par l’Etat et par la Justice, renoncent en effet à porter plainte pour les cas qui ne leur semblent pas pouvoir déboucher sur une condamnation des coupables. Aussi est-il utile de rappeler qu’il est impératif de porter plainte en tous les cas : aux yeux de l’administration française, si ça n’est pas dans les statistiques officielles, ça n’existe pas. On ne porte donc pas plainte que pour soi : on porte plainte pour que l’acte soit enregistré et qu’il entre dans le champ de connaissance de l’Etat.
Il faut ajouter à cela un autre fait : tous les actes de délinquance ou d’agression qui ciblent des personnes juives ne sont pas antisémites. Les Juifs sont victimes de la violence quotidienne, au même titre que tous les autres Français. Aussi le Ministère peut-il parfois se montrer prudent (certains diront peut-être frileux) dans la qualification d’un acte antisémite : les chiffres 2022 ne concernent donc que les actes pour lesquels la motivation antisémite ne fait aucun doute ou a été exprimée de manière explicite.
Éléments qui ont de quoi inquiéter : si les Juifs ne représentent, en gros, qu’1% de la population française, ils sont visés par 61% des actes expressément anti-religieux portant atteinte aux personnes. La majorité des actes antisémites contre des personnes sont des insultes, des propos menaçants ou des gestes provocateurs; mais près de 10% des actes antisémites sont des agressions physiques violentes (soit une quarantaine en 2022 : en moyenne, trois à quatre fois par mois en France) et une agression physique de ce type sur huit est commise avec une arme. On notera également pour 2022 un homicide au caractère antisémite établi : celui de René Hadjadj (זיכרונו לברכה); 89 ans, assassiné par défenestration par son voisin en mai 2022. Ce qui porte à 13 le nombre d’années, depuis 2000, durant lesquelles la France a vécu au moins un homicide antisémite.
Il est également à noter que la majorité des actes antisémites a lieu hors de la sphère publique : non dans la rue, mais dans la résidence, sur le lieu de travail ou autre. Il s’agit de harcèlement, de brimades, d’inscriptions menaçantes, de courriers anonymes … autant d’actes qu’il n’est pas toujours facile de qualifier, contre lesquels le dépôt de plainte n’est pas forcément efficace mais qui peuvent provoquer un sentiment d’abandon et de désarroi important chez les victimes, surtout les plus âgées. Face à de tels actes, il est important que les communautés se mobilisent pour apporter un soutien, y compris psychologique, à leurs membres les plus vulnérables. Si vous avez connaissance d’une situation de ce type, contactez immédiatement les autorités, mais aussi la synagogue : s’il est possible de faire quelque chose pour la victime, de l’aider ou de la soutenir, nous nous y emploierons.
Antisémitisme dans le monde
L’Organisation Sioniste Mondiale a elle aussi publié récemment son rapport pour 2022. La France semble s’inscrire dans un mouvement d’ensemble, puisque là encore, on constate un léger tassement des actes rapportés, en comparaison avec 2021. Une tendance dont on peut se réjouir mais qui ne veut rien dire tant qu’elle n’est pas confirmée plusieurs années d’affilée. Il faut ajouter que cette baisse est pour l’instant une exception : au cours des dix dernières années, la tendance était plutôt à une légère hausse. Il faudra donc attendre pour savoir si on a affaire à un simple « accident de parcours » dans un schéma général de hausse des actes antisémites ou si l’on peut espérer une baisse sensible et durable.
Au total, ce sont tout de même dix incidents antisémites qui sont signalés chaque jour dans le monde (et encore … uniquement dans les pays qui permettent le signalement de ce genre de plainte et reconnaissent une spécificité à la violence antisémite, ce qui est loin d’être le cas partout). On peut noter, avec le conflit en Ukraine, la recrudescence de théories du complot juif, ainsi que d’appels au boycott d’Israël, de la part d’organisations dont, bien souvent, l’antisionisme de façade cache mal un antisémitisme profond.
En termes de répartition : 46% des incidents antisémites ont eu lieu en Europe, contre 39% en Amérique du Nord, alors qu’il y a davantage de Juifs dans les seuls Etats-Unis que dans l’ensemble de l’Europe (pour rappel : on estime qu’il y aurait environ 6.5 millions de Juifs aux Amériques, dont 5.7 millions aux Etats-Unis; en Europe, la population juive, même élargie au maximum en incluant les personnes d’ascendance juive mais sans rapport avec le judaïsme depuis plusieurs générations, ne dépasse pas 1.2 millions, dont la moitié en France). La propagande occupe 39% des actes antisémites, le vandalisme 28%, les violences physiques 14%, les violences verbales 11% et la délégitimation 7%. Ces chiffres sont relativement en cohérence avec ceux concernant la France, qui ne se démarque donc pas particulièrement à ce niveau.
Le rapport de l’OSM comprend également quelques chiffres concernant non l’antisémitisme déclaré, mais l’antisémitisme vécu et perçu, au regard d’enquêtes menées auprès de la population juive : ainsi, en France
- 74% des Juifs interrogés disent avoir été victimes d’actes antisémites au moins une fois dans leur vie;
- 37% des Juifs interrogés s’estiment menacés en raison de leur judaïté;
- 41% des Juifs interrogés disent que la raison pour laquelle ils ne mettent pas de mezouza à leur porte est qu’ils ne souhaitent pas être identifiés comme Juifs par leurs voisins;
- 80% des Juifs interrogés qui déclarent avoir été victimes d’un acte antisémite disent ne pas voir porté plainte
Un point positif
D’autre part, il est intéressant de constater, dans l’enquête de l’OSM, que parmi les Français non-juifs interrogés, 73% estiment que l’antisémitisme est un problème pour l’ensemble de la société. C’est là un point dont on peut se réjouir : une vaste majorité de nos concitoyens n’est pas antisémite. Les actes antisémites sont le fait d’une minorité de personnes, au sein de la minorité constituée par les antisémites d’opinion (antisémites avoués, antisionistes réels ou prétendus, judéophobes…). Ils en viennent cependant à constituer une forme d’antisémitisme quotidien, qui dans certaines zones est entré dans les mœurs. Et certaines idées négationnistes entrent peu à peu, notamment par le biais des médias sociaux, dans l’esprit des plus jeunes.
Illustration : Alejo Reinoso – Unsplash
2023
Enquête européenne sur l’antisémitisme
L’enquête la plus complète qui existe sur les perceptions et expériences des Juifs de l’antisémitisme dans l’Union Européenne est aujourd’hui ouverte à la participation sur www.eujews.eu
Nous vous encourageons vivement à participer à cette enquête qui est ouverte à toutes les personnes de 16 ans et plus qui se considèrent juives.
L’enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) collectera des données dans 13 États membres de l’Union Européenne. Les conclusions aideront les autorités nationales et les institutions européennes dans leurs efforts pour mieux protéger les droits fondamentaux de Juifs, combattre l’antisémitisme et favoriser la vie juive en Europe.
Rendez-vous sur www.eujews.eu dès maintenant pour en savoir plus sur l’enquête et y participer. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et ses partenaires garantissent le respect des règles de protection de toutes les données durant la collecte et l’analyse.
Merci de partager le lien de cette enquête avec votre famille et vos connaissances – en particulier avec les personnes qui n’appartiennent à aucune organisation juive afin de garantir la participation la plus large possible.
2023
Les penchants criminels de l’Europe démocratique, par Jean-Claude Milner : une réflexion sur l’antisémitisme européen
Le moins que l’on puisse dire de cet essai de Jean-Claude Milner, publié en 2003, est qu’il a bien vieilli : vingt ans après sa publication, la clarté de sa pensée et la qualité de l’analyse n’ont pas pris une ride. Mieux encore : il a un indéniable aspect prophétique.
Dans ce livre court mais très dense, Jean-Claude Milner, en convoquant l’appareil intellectuel de Lacan et celui de Levinas, se propose d’analyser et de mettre en valeur ce qui, dans la pensée hitlérienne, a de fondamentalement européen, et à quel point, si l’Europe démocratique d’après 1945 a dénoncé les méthodes du Troisième Reich, elle reste profondément marquée, dans son idéologie et son logiciel d’approche politique du monde, par des logiques sinon identiques, du moins similaires. Logiques qui, in fine, ne peuvent qu’arriver en contradiction avec certains éléments de la pensée juive, et selon lesquelles le nom juif est défini comme un problème en Europe.
Pensée de la limite (il y a ce que l’on peut faire et ce que l’on ne peut pas faire, ce qui est souhaitable et relève de la mitzvah et ce qui n’en relève pas…) contre pensée de l’illimité ; pensée catégorielle (Juifs et non-Juifs, hommes et femmes, parents et enfants…) contre pensée de la négation radicale des catégories et des identités fixes ; pensée de la responsabilité individuelle et collective contre pensée de la toute-puissance du politique (à l’égard duquel le logiciel moderne considère que la définition d’un problème existant dans la société et la nécessité, pour le politique, de résoudre ce problème, à l’aide d’une solution aussi complète et définitive – donc finale – que possible, constituent une seule et même chose) ; renvoi à l’introspection et à la responsabilité personnelle contre mythe d’une solution technique à tout problème défini ; prééminence de l’étude et de la transmission d’une culture et d’une réflexion propres contre fantasme d’une culture universalisée, indifférenciée et destinée à tous, c’est-à-dire à personne en particulier ; pensée de l’Histoire sur un mode hérité de Thucydide contre pensée de la fin de l’Histoire et de l’extension infinie d’un présent éternel … les points d’achoppement sont nombreux. A bien des égards, la pensée juive, qui a conservé bien des aspects des logiciels européens classiques, est semblable à une mauvaise conscience de la pensée moderne, en cela qu’elle illustre et met en évidence tout ce à quoi l’Occident a, conceptuellement parlant, renoncé.
La modernité ne fait pas de différence entre affirmation de soi et négation de l’autre, renvoyée à une haine sans contour précis mais néanmoins insupportable ; et puisque la haine est odieuse, l’affirmation de soi le devient. Par ricochet, l’affirmation du nom et de l’identité juive devient insupportable à la pensée européenne moderne et post-moderne. Le Juif, ainsi, devient hideux et odieux et le logiciel européen ne l’aime que dans deux cas précis : quand il se trouve totalement assimilé et que son judaïsme n’est plus qu’un vague vernis, une sorte de coquetterie biographique sans conséquence aucune sur son comportement réel, un petit côté folklorique se limitant à un accent ou à quelques recettes de cuisine ; ou quand le Juif est à plaindre, victime des persécutions soviétiques ou de la Shoah, auquel cas on peut le pleurer et déplorer sa mort, pour tirer de cette déploration un sentiment de vertu personnelle. Ce qui relie ces deux idées est simple : dans un cas comme dans l’autre, ce Juif si sympathique n’est plus réellement Juif, qu’il ait renoncé à toute pratique et toute étude ou qu’il soit tout bonnement mort. Renoncer à sa vie ou renoncer à son identité : telles sont les alternatives posées par cette pensée de l’illimité, pensée totale et parfois totalitaire qui n’avoue pas son nom.
Si rien n’oblige le lecteur à suivre Jean-Claude Milner dans chacune de ses conclusions, force est de constater que le raisonnement est brillant, les concepts convaincants et l’ensemble passionnant. Une lecture profonde, et intellectuellement très stimulante.
Les penchants criminels de l’Europe démocratique
Jean-Claude Milner
Editions Verdier, 2003
Illustration : Charl Folscher – Unsplash
2022
Actualité JEM – Lettre ouverte à Messieurs Olivier Faure et Julien Bayou.
Lettre ouverte à Messieurs Olivier Faure et Julien Bayou.
Vous êtes tous les deux des chefs de partis qui avez gouverné à plusieurs reprises la France au cours de ces 25 dernières années et tous deux fondateurs et dirigeants de la coalition intitulée NUPES.
Au nom de Judaïsme En Mouvement nous souhaiterions connaître et partager avec nos 12 000 adhérents et sympathisants votre avis concernant l’initiative parlementaire prise par 38 de vos collègues députés membres de la NUPES qui accuse Israël d’être un régime d’apartheid.
Ce terme qui renvoie à l’odieux système politique et juridique qui sévissait en Afrique du Sud est-il vraiment celui que vous considérez s’appliquer à Israël ?
Quelle est très précisément votre position de chef de parti qui engage le PS et EELV sur ce texte qui travestit l’histoire et la réalité d’Israël pour en faire une nouvelle fois le bouc émissaire des Nations, fidèle en cela au vieil antisémitisme de l’extrême gauche ? Il nous semble nécessaire et urgent que vous éclairiez l’ensemble de nos compatriotes.
Eu égard à la gravité de cette résolution, nous sommes nombreuses et nombreux à attendre votre réponse.
Nous vous transmettons nos plus républicaines salutations.
Gad Weil et Jean-François Bensahel
Co-Présidents de Judaïsme En Mouvement
Signez la pétition ici !