2023
Parasha Vayetse : le long chemin vers l’intégrité – par le rabbin Philippe Haddad
Jacob fuit la colère de son frère Esaü. Il s’arrête en chemin dans un lieu appelé Louz, où lui apparaît en rêve une échelle qui touche les cieux, et que parcourent des anges. Il aperçoit au sommet l’Eternel, qui lui promet de l’accompagner en exil. A son réveil, Jacob dresse une pierre et renomme le lieu Bethel.
Jacob parvient à Haran, chez son oncle Laban, où il rencontre sa cousine Rachel, près d’un puits (comme Eliezer, qui avait rencontré Rébecca près d’un puits; mais alors que Rébecca avait donné à boire à Eliezer, c’est Jacob qui fait rouler la pierre du puits pour permettre à Rachel de boire). Jacob accepte de travailler sept ans pour Laban afin d’obtenir la main de Rachel mais après la noce, il se rend compte qu’il a été trompé et qu’il a, sans le savoir, épousé la soeur aînée de Rachel, Léa. Au prix de sept années de labeur supplémentaires, il obtient également Rachel. Mais celle-ci demeure stérile, contrairement à Léa. Les deux femmes donnent chacune à Jacob l’une de leurs servantes comme concubine. Ce n’est qu’après la naissance de dix fils et d’une fille que Jacob a enfin un enfant de Rachel : Joseph. Décidant de rentrer en Canaan, Jacob doit encore échapper à Laban, à qui Rachel a dérobé des idoles.
Illustration : Mohamad Babayan – Unsplash
2022
Parasha Vayetse : aller vers un ailleurs – par Gabriel Farhi
Jacob fuit la colère de son frère Esaü. Il s’arrête en chemin dans un lieu appelé Louz, où lui apparaît en rêve une échelle qui touche les cieux, et que parcourent des anges. Il aperçoit au sommet l’Eternel, qui lui promet de l’accompagner en exil. A son réveil, Jacob dresse une pierre et renomme le lieu Bethel.
Jacob parvient à Haran, chez son oncle Laban, où il rencontre sa cousine Rachel, près d’un puits (comme Eliezer, qui avait rencontré Rébecca près d’un puits; mais alors que Rébecca avait donné à boire à Eliezer, c’est Jacob qui fait rouler la pierre du puits pour permettre à Rachel de boire). Jacob accepte de travailler sept ans pour Laban afin d’obtenir la main de Rachel mais après la noce, il se rend compte qu’il a été trompé et qu’il a, sans le savoir, épousé la soeur aînée de Rachel, Léa. Au prix de sept années de labeur supplémentaires, il obtient également Rachel. Mais celle-ci demeure stérile, contrairement à Léa. Les deux femmes donnent chacune à Jacob l’une de leurs servantes comme concubine. Ce n’est qu’après la naissance de dix fils et d’une fille que Jacob a enfin un enfant de Rachel : Joseph. Décidant de rentrer en Canaan, Jacob doit encore échapper à Laban, à qui Rachel a dérobé des idoles.
Illustration : Mohamad Babayan – Unsplash
2021
Parasha Vayétsé : Il faut savoir partir
Par Sophie Bismut
Après la parachat Toledot qui racontait les années de jeunesse de notre patriarche Jacob, la parachat Vayetse est consacrée à ses années d’exil. Jacob a quitté Beer-sheva vers l’Est pour fuir la colère de son frère Esaü à qui il a pris la bénédiction de leur père Isaac. Il s’installe à Haran chez son oncle Laban où il va passer vingt années.
La paracha commence avec un coucher de soleil et le début de la nuit où Jacob est visité en rêve par des anges (le fameux rêve de l’échelle de Jacob). Elle se termine avec un lever de soleil et le début d’une journée où des anges viennent à sa rencontre. Ces années d’exil apparaissent comme une seule nuit, « la nuit profonde de l’âme » pour reprendre l’expression de Aviva Zornberg, commentatrice biblique contemporaine, où Jacob est confronté aux trahisons de Laban et, par là-même à ses propres tromperies.
Un départ rendu indispensable….
Ces vingt années sont marquées par le conflit avec Laban. Lorsque Jacob arrive chez son oncle Laban après avoir trompé son propre père Isaac et son frère Ésaü, Laban le fait travailler pendant sept ans pour gagner le droit d’épouser Rachel. Mais il le trompe et lui fait épouser à sa place Léa, la sœur ainée de Rachel. Jacob va devoir travailler sept années de plus pour pouvoir s’unir à Rachel. Dans les années suivantes, Laban continue d’exploiter Jacob qui s’occupe de ses troupeaux et assure sa prospérité. La Torah nous dit qu’il ajuste son salaire par dix fois et l’on comprend bien que ce n’est pas à la hausse (Gn: 31,7).
Toutes ces années sont marquées par la défiance, la tromperie, ainsi que par la jalousie des fils de Laban. Lorsque Jacob cherche à partir, Laban tente de le piéger de nouveau pour continuer à profiter de son savoir-faire. Jacob répond par la ruse pour protéger ses intérêts. Finalement, Jacob décide qu’il est temps de quitter Laban. Il s’enfuit avec sa famille et lorsque Laban l’apprend trois jours après, il part à sa poursuite avec ses troupes et le rattrape au bout de sept jours. La dernière partie de la paracha nous amène ainsi au point culminant de ce conflit.
Contrairement peut-être à nos attentes, l’histoire se termine pacifiquement. Les deux hommes concluent un pacte, et le marquent cérémonieusement en construisant un monument de pierres et en prenant un repas ensemble. L’accord n’est toutefois pas complet. Il s’agit plutôt d’un pacte de non-agression. Jacob et Laban ne s’entendent d’ailleurs pas sur le nom du lieu du monument. Surtout, au matin, chacun repart de son côté, définitivement.
Comment a-t-on pu en arriver à cette issue ? Le récit montre tout d’abord qu’une telle résolution nécessite d’abord une confrontation. Jacob avait fui son frère, il a fui Laban mais se trouve ici rattrapé pour la première fois dans sa fuite. Il ne peut plus fuir et doit faire face, ce qui préfigure les retrouvailles à venir avec son frère. Après des années de conflit larvé, Jacob et Laban s’affrontent. Laban se dit blessé que Jacob soit parti sans lui donner l’occasion de dire au revoir à ses enfants et petits-enfants. Jacob exprime avec virulence tout son ressentiment pour les années de dur labeur, d’exploitation et de tromperies.
… pour retrouver ses valeurs et accomplir la promesse divine
La résolution du conflit passe aussi par l’acceptation par chacun d’une séparation définitive. Tout comme l’avait fait Abraham avec Lot, Jacob met de la distance avec Laban. Pour Jacob, le départ est rendu indispensable par une prise de conscience d’une exigence vitale. Il ne s’agit pas seulement pour lui de conquérir son autonomie matérielle, mais aussi d’une exigence morale et spirituelle.
Dans la nuit qui précède son départ de Haran, Jacob fait un rêve dans lequel il est question de troupeaux qui se multiplient. À la fin de ce rêve, un ange apparaît qui lui dit « Maintenant, lève-toi, sors de ce pays, et retourne au pays de ta naissance » (Gn 31:13). Avant d’arriver à Haran, Jacob avait vu en rêve des anges montant et descendant une échelle allant de la terre au ciel. Dans ce nouveau rêve, l’ange semble lui montrer qu’il ne rêve plus d’anges et d’échelle montant au ciel, mais qu’il ne sait plus rêver que de troupeaux de chèvres et de brebis. Jacob est confronté à ce qu’il est devenu ou est en train de devenir, une sorte de deuxième Laban, enfermé dans des aspirations personnelles et instrumentalisant son entourage. Pour retrouver ses valeurs et accomplir la promesse divine, Jacob doit quitter Laban.
Le conflit et la rupture de Jacob avec Laban nous apprennent que nous ne pouvons pas nous abstraire de notre entourage, et que nous ne pouvons pas toujours accepter de composer avec des valeurs incompatibles avec nos valeurs. Il nous faut prendre conscience que nos pensées et nos actions sont influencées par tous ceux qui nous entourent, parfois de manière positive, parfois de manière négative. La séparation et la mise à distance sont parfois nécessaires pour construire son propre chemin, un chemin de recherche de la justice.
C’est ce que dit le tout début du livre des Psaumes (Ps 1.1, 6) : « Heureux celui qui ne suit pas le conseil des méchants, qui ne se tient pas dans la voie des pécheurs et ne prend pas place dans la société des railleurs. […] Car l’Eternel protège la voie des justes, mais la voie des méchants conduit à la ruine. »
2021
La Haftara de Vayétsé
Par Georges-Elia Sarfati
Versets haftarah Osée: 11,7 jusqu’à 12,12 et Osée12,13 jusqu’à 14,10
Les Sages ont choisi deux extraits du livre d’Osée pour nous faire réfléchir à certains enseignements particulièrement significatifs de la sidra Vayétsé. Les oracles d’Osée (-780-740) concernent le Royaume du Nord qui disparut sous les coups de l’empire d’Assyrie (- 722). Le livre qui les recueille porte l’une des plus virulentes critiques de l’idolâtrie (qualifiée de ‘’prostitution’’). Examinons en quelques lignes sous quel rapport ces paroles peuvent, le cas échéant, s’adresser au peuple d’Israël rétabli dans ses frontières, après les épreuves d’un exil bimillénaire.
Un verset fait explicitement référence au principal motif de la sidra Vayétsé, puisqu’il évoque les pérégrinations de Jacob à Aram, et son séjour prolongé pour y obtenir le droit de s’unir à Rachel : « (12, 13) Jacob s’était réfugié sur le territoire d’Aram, Israël avait été esclave pour une femme, pour une femme il avait été pâtre. »
Cependant le propos d’Osée se prolonge en direction de l’évènement plus tardif et fondateur de la sortie d’Egypte, en insistant sur le rôle libérateur de Moïse (bien que celui-ci ne soit pas nommé) : « (12, 14) … et c’est par un prophète que l’Eternel retira Israël de l’Egypte, par un prophète qu’il le protégea. »
Le royaume d’Israel contre le royaume de Juda en parallèle de Lavan contre Jacob
Il est remarquable que les paroles d’Osée constituent une valorisation de la fonction prophétique, dans un contexte historique, où précisément celle-ci ne pouvait pas être entendue, tant le Royaume d’Israël s’était éloigné de la Torah. Pourtant, de même que Jacob avait consenti à la servitude pour épouser Rachel, Moïse avait mis fin à la servitude des Hébreux, en partageant leur condition. Dans les deux cas, c’est la science prophétique qui leur avait servi de guide et de source d’inspiration pour leur action. Ce double rappel serait incomplet sans la mention d’un second motif, qui lui aussi entre en résonance directe avec Vayétsé ; il s’agit de la duplicité d’Ephraïm, fortement dénoncée : « (12, 1) – Ephraïm m’a obsédé de mensonge et de duplicité, la maison d’Israël, de même Juda (quoiqu’il prétende demeurer) soumis à Dieu et attaché au Très-Saint. » Précisons ici qu’Ephraïm est un autre nom du Royaume d’Israël, et ne désigne pas seulement la tribu du même nom. Osée évoque ici la tension délétère qui existe de son temps entre le Nord (Israël) et le Sud (Juda) ; mais il en tire argument pour dresser un parallèle avec la duplicité de Lavan, dont Jacob eut à souffrir. Pour recouvrer son indépendance et accéder à la maturité de la liberté, il dut s’affranchir du mensonge violent de Lavan. La connaissance de la sidra nous montre que de même qu’au temps d’Osée, Juda et Israël (Ephraïm) s’opposent sur le chapitre de la fidélité à la Torah, le différend entre Jacob et Lavan s’entretient aussi de la différence de leur conception. En effet, bien que parents, leurs philosophies de vie se contestent mutuellement, voire s’excluent : tandis que Jacob est héritier de la promesse et des bénédictions reçues par Isaac et Abraham, Lavan sacrifie aux idoles : l’épisode au cours duquel sa fille Rachel subtilise ses « pénates » (31, 19) représente une tentative pour l’en détourner.
A l’époque d’Osée, le différend qui creuse l’écart de la fidélité à la Torah, est bien plus périlleux, puisqu’Israël au nord, et Juda au sud, se sont séparés à la succession de Salomon, et n’ont cessé de diverger quant à la conduite des affaires collectives, sur fond d’enjeux de politique internationale mais aussi d’orientation culturelle et théologique..
Le clivage d’antan royaume d’Israel/royaume de Juda se retrouve au XXIe siècle
Les rapports du propos d’Osée avec les problèmes qui se posent au peuple d’Israël au XXIe siècle sont nombreux, sans doute ne tiennent-ils pas seulement à certaines analogies. Dans l’Antiquité, les enfants d’Israël étaient scindés en deux composantes nationales. Aujourd’hui, le clivage n’est pas seulement binaire, mais ternaire : le peuple d’Israël poursuit son développement, certes, mais ses continuités heurtées se déploient sur deux pôles : le pôle national, et le pôle cosmopolite (celui de ses dispersions persistantes), auxquels il faut ajouter une ligne de fracture plus générale, qui traverse ces deux pôles. Si tant est que la tension consiste dans le degré d’adhésion des enfants d’Israël à leur héritage mosaïque, force est d’admettre que ce qui est en jeu c’est en effet le degré de proximité que chacun d’entre eux conçoit dans son rapport avec la Torah. Plus encore : les différences menacent toujours davantage de se confirmer en différends irréversibles. Il existe aujourd’hui, dans le peuple d’Israël, des figures d’Ephraïm, en grand nombre, prompts à faire sécession, à s’ériger en substituts et délateurs de leurs frères, au motif qu’Israël doit être comme tout le monde. Seul un authentique mouvement du retour – indissociable d’une transmission responsable – est susceptible de fournir une réponse aux perplexités nées du déracinement. Ce mouvement constitue la véritable thérapeutique de la haine de soi : « (12, 6-7) – Oui, l’Eternel, le Dieu des Armées est son titre. O toi, reviens donc au sein de ton Dieu, sois fidèles à la droiture et à la vertu, et espère en Dieu constamment ! »
En Diaspora, ce sont les forces centrifuges de l’assimilation qui exercent une pression continue sur les psychismes. Dans l’Israël souverain, ce sont les tiraillements idéologiques liés aux nécessités d’un véritable débat d’identité nationale qui agissent comme des ferments de querelle. Ici et là, c’est également le complexe dissolvant de l’identification à l’agresseur, qui convainc nombre de fils et de filles d’Israël de se ranger du côté de leurs ennemis, lorsqu’ils ne prennent pas la tête des nouvelles croisades antijuives. Dans le même temps, on voit s’accroître au sein du Kelal Israel (l’assemblée d’Israel) des processus d’éloignement, de désolidarisation, qui rappellent dans certains cas le mensonge de Lavan, dans d’autres la duplicité d’Ephraïm, détournée de l’essentiel : « (12, 9)- Ephraïm aussi a dit : « Pourvu que je m’enrichisse, que j’acquière la puissance ! »
Peut-on concevoir idoles plus déroutants que la fierté mal placée d’un peuple plusieurs fois millénaire, s’enorgueillir par la voix de ses ‘’élites’’, de s’avancer dans l’histoire sous la guise d’une start up nation ? Est-ce là la véritable raison d’être d’Israël ?
L’esprit de prophétie, une spécificité exclusive du peuple d’Israel
Certes, si Jacob s’est éloigné de Lavan, comme Abraham de Lot, ce n’est guère pour en mimer le mode de vie. Du reste, Jacob et Lavan ne sont pas ennemis, ils sont susceptibles de s’entendre, au terme d’un pacte. Mais cette entente repose justement sur le principe de la différenciation et de leur identité et de leur territoire (31, 44-54). Les errements d’Israël proviennent de l’oubli de cette démarcation fondatrice. Or, c’est par le souffle transhistorique de l’esprit de prophétie que le peuple d’Israël a de nouveau fait souche sur la Terre d’Israël, et de ce point de vue l’histoire n’a pas fait mentir la prophétie : « (12, 10) – Et moi l’Eternel, qui fus ton Dieu à dater du pays d’Egypte, je te rétablirais dans tes tentes comme aux jours mémorables »; entendons ici: de toutes les Egypte. Mais en dernière analyse, que nous enseigne la sidra Vayétsé, et que nous rappelle son écho puisé dans les oracles d’Osée ? La réponse tient en peu de mots : la singularité d’Israël ne vient pas de ce qu’il s’incarne seulement dans une puissance égale ou supérieure à celle des autres nations, mais de ce que la Halakha se fonde sur l’esprit de prophétie. Cela nous est dit par deux fois cette semaine. D’abord par la sidra : « (32,2) – Pour Jacob, il poursuivit son voyage ; des envoyés du seigneur se trouvèrent sur ses pas. Jacob dit en les voyant : « Ceci est la légion du Seigneur ! » Et il appela cet endroit Mahanayim. » La colère d’Osée réitère avec éclat cette prémisse, à savoir que c’est l’esprit de prophétie qui représente la spécificité exclusive du peuple d’Israël, sa contribution unique et singulière, sa marque inaliénable, elle-même source possible d’une histoire sensée : « (12, 11) – Et je parlerai aux prophètes ! Et je multiplierai les apparitions et, par la voix des prophètes, je ferai connaître des visions (…) »