Histoire de l’antisémitisme : de 38 à 1144
Arte a consacré une série d’émissions à la longue histoire de l’antisémitisme, des origines à nos jours. Il a été décidé de faire commencer cette histoire en l’an 38 de l’ère commune, avec les émeutes d’Alexandrie d’Egypte.
Philon d’Alexandrie relate ces événements ainsi dans sa Legatio ad Caium :
C’était une guerre terrible, sans merci, qui se déchaînait contre notre nation. Quel plus grand malheur peut survenir à un esclave que l’inimitié de son maître ? Or les sujets de l’empereur sont ses esclaves ; s’il en avait été autrement jusque-là sous le gouvernement paternel des empereurs précédents, telle était du moins notre condition sous Caïus, qui avait banni de son cœur tout sentiment de clémence, et foulait aux pieds tous les droits. La loi, pensait-il, c’était lui-même ; il bravait, comme de vaines paroles, tout ce que la législation avait consacré. Nous fûmes donc mis moins au rang des esclaves qu’au rang des valets les plus infimes ; au lieu d’un prince nous eûmes un maître. Lorsque la populace désordonnée et séditieuse d’Alexandrie s’en aperçut, elle crut avoir trouvé une bonne occasion de donner cours à la haine qu’elle nous portait depuis longtemps ; elle remplit la ville d’épouvante et de trouble. Comme si l’empereur nous eût abandonnés à sa barbarie pour souffrir les plus grandes misères, comme si le sort des armes nous eût livrés entre ses mains, elle se jeta sur nous avec une fureur sauvage. Nos maisons furent pillées ; on chassa les maîtres avec leurs femmes et leurs enfants, au point qu’elles restèrent désertes ; on en arracha les meubles et ce qu’il y avait de plus précieux, non pas comme le font les voleurs, qui dans la crainte d’être pris, cherchent l’obscurité de la nuit, mais en plein jour et publiquement. Chacun montrait son butin aux passants, comme une chose acquise par héritage ou à prix d’argent. Quelques-uns, qui s’étaient associés pour le pillage, partageaient leur prise sur la place publique, souvent sous les yeux des malheureux qu’ils avaient dépouillés et qu’ils insultaient de leurs railleries, ce qui était plus dur que tout le reste. Tout cela était bien assez triste sans rien y ajouter. Qui n’eût trouvé affreux en effet de voir ces infortunés tomber de la richesse dans la pauvreté, de l’opulence dans la misère, sans avoir commis le moindre mal ; de les voir chassés de leurs foyers déserts, errant à travers les rues, exposés à succomber aux ardeurs d’un soleil torride, aux rigueurs de nuits glaciales ? C’était cependant moins affreux que ce qui suivit.