Appel de JEM : «Soutenons les Juifs d’Ukraine !»

La guerre est déclarée en Ukraine, sa démocratie et son indépendance sont en péril face à l’invasion russe. Pour venir en aide à la communauté juive ukrainienne, JEM a mis en place un système de don via son formulaire. Mobilisons-nous !

Jeudi 24 février, Vladimir Poutine annonçait à la télévision russe qu’une opération militaire allait être lancée en Ukraine. Peu après son intervention, des explosions se faisaient entendre dans plusieurs villes de l’Est ukrainien. Depuis Jeudi matin, la Russie envahit le territoire et le bombarde pour assouvir l’envie du chef du Kremlin de reconstruire un nouvel empire russe. La centrale de Tchernobyl et un aéroport militaire situé à 25 kilomètres de Kiev ont déjà été annexés par les troupes russes. Cette agression est une menace pour la démocratie de l’Ukraine, mais aussi pour la stabilité de l’Europe et de la communauté internationale. Quelque 100 000 personnes ont déjà été déplacées et 50 000 ont quitté le territoire ukrainien, a déploré l’ONU, qui a réclamé un « accès sans entrave » pour l’aide humanitaire.

Kiev, le vendredi 25 février : Message de la rabbanit Eina Makovitch 

« Chalom ,

Mon mari a été officier dans l’armée de l’air israélienne pendant douze ans. Après cela, nous avons pris la décision de partir en mission à Kiev avec nos sept enfants. Aujourd’hui mon mari est le rav de Kiev et cela fait 21 ans que nous sommes installés ici. Jusqu’à il y a encore un mois, nous étions à la tête d’une communauté florissante. Et depuis, on sent comme une odeur de guerre. La plupart des familles aisées de Kiev ont quitté la ville. Ceux qui sont restés sont essentiellement les personnes âgées (la pension de retraite en Ukraine s’élève à 70 dollars par mois), les malades, les rescapés de la Shoah et des personnes défavorisées.

Nous distribuons des repas chauds, des colis alimentaires et nous nous chargeons de l’école, du jardin d’enfants et de l’institution pour autistes (la première du pays) de la communauté. Dans cette situation, il ne nous était tout simplement pas possible de tout quitter et de rentrer en Israël. Nous avons décidé de rester et de ne pas laisser tous ces malheureux livrés à eux-mêmes. Ce matin, quand les bombardements ont débuté, les juifs se sont rassemblés dans le bâtiment communautaire. Il n’y a aucun abri à Kiev et aucune instruction sur la façon d’agir en cas d’urgence n’a été donnée à la population.

Pour le moment nous disposons encore d’assez de matelas et de nourriture dans notre réserve pour tous, mais nous ne savons pas pendant combien de temps cela pourra suffire. Nous avons recruté un agent de sécurité armé pour nous prémunir du vol et du pillage, car il n’y a tout simplement pas de service de police. Nous avons lancé une campagne de dons, et pendant que les alarmes et les explosions se font entendre, nous essayons de renforcer et de prendre soin de tous ceux qui continuent d’affluer vers le centre communautaire.

Ce sera dans quelques heures l’entrée du Chabbat. Nous aurions souhaité célébrer « Chabbat mevahim » qui célèbre le mois « Adar cheni » autrement.  Comme on sait, lorsqu’on approche du mois de Adar on doit redoubler de joie.

Le moment de l’allumage des bougies du Chabbat a un pouvoir spécial. Je demande donc à toutes les femmes qui liront ces mots de bien vouloir penser à nous et à prier pour nous ce Chabbat.

Chabbat Chalom de Kiev »

Comment aider ? 

JEM a mis en place sur son  formulaire de don une case à cocher « Crise ukrainienne » pour que l’intégralité de la somme récoltée soit reversée à la World Union For Progressive Judaism qui a de suite lancé un appel à toutes les communautés juives libérales du monde pour venir en aide aux populations juives ukrainiennes : « Si le conflit s’intensifie, votre argent deviendra une aide cruciale et nécessaire pour de nombreuses personnes. Si la tension s’apaise, le fonds sera consacré au développement de la communauté juive progressiste d’Ukraine. »

La religion : facteur d’émancipation pour les femmes ?

Quatre femmes nommées dans leur religion respective à des postes à responsabilité débattent et exposent leur point de vue, détaillant comment elles ont, chacune, trouvé dans leur texte sacré et dans leur pratique religieuse la légitimité de leur fonction et un facteur d’émancipation.

Avec: Kahina BAHLOUL, première femme imame en France, Floriane CHINSKY, troisième femme rabbin en France, Marie-Reine MEZZAROBBA, théologienne catholique et Emmanuelle SEYBOLDT, pasteure et première femme présidente du Conseil Nationale de L‘EPUdF.

Illustration : Karl Magnuson / Unsplash

Parasha Ki Tissa : beauté et sainteté

Nous lisons dans le Décalogue: « Tu ne feras pour toi ni sculpture ni toute image de ce qui est dans les ciels en haut, sur la terre en bas, et dans les eaux sous terre. » [Ex. 20 :4] Mais pendant que la Transcendance communique à Moshé ces lois, les Israélites construisent le veau d’or. Généralement cet objet est considéré comme idolâtre car il est perçu comme objet de culte et d’adoration. Mais l’impulsion qui anime les Juifs n’est probablement pas d’ordre cultuel et religieux uniquement. Il y a aussi un désir de beauté. Les Israélites viennent de sortir d’Égypte, lieu où la beauté artistique est recherchée et soignée. Aujourd’hui encore, les ornithologues peuvent savoir quels types d’oiseaux il y avait en Égypte à l’époque, grâce à la qualité artistique des détails de leurs représentations. Les Juifs, peut-être inspirés par la beauté des paysages désertiques, veulent eux aussi pouvoir créer quelque chose d’artistique. Mais nous savons que la beauté peut parfois comporter des risques.

Matthew Arnold, poète et écrivain britannique du XIXe siècle, a écrit que les Grecs adoraient la sainteté de la beauté, les Juifs recherchaient la beauté de la sainteté. C’est une définition peut-être simpliste mais fascinante. Les Grecs, cependant, étaient conscients des dangers de l’expression artistique. Platon dans la République critique l’art parce qu’il exerce son charme sur la partie irrationnelle, enchante l’âme, l’exalte et la confond, enflammant les passions, et nous savons que cela est susceptible de se produire véritablement.

Le Judaïsme n’a pas toujours été très orienté vers l’art, mais l’art en a toujours fait partie. La Torah consacre quelques versets à la création du monde, mais des centaines de versets à la construction du Tabernacle. Il existe aussi un concept de Hiddour Mitsvah, beauté de la Mitsvah, selon lequel nous devrions accomplir les mitsvot de la manière la plus somptueuse et la plus élégante possible. Nous remarquerons que dans le Décalogue, il est dit : «Tu ne feras pour toi ni sculpture ni toute image … ». Je pense que l’expression « pour toi » est centrale. Si l’objet est fait «pour toi», pour nourrir l’ego et pour flatter la vanité de ceux qui le réalisent, nous sommes dans l’idolâtrie. S’il est conçu pour transcender ceux qui le réalisent et canaliser l’attention vers autre chose, c’est autre chose. L’idée juive selon laquelle il faudrait imiter la Transcendance dans ses qualités de générosité et de sollicitude pourrait et devrait aussi s’étendre à la faculté de créer la beauté. Ce n’est pas un hasard si dans la prochaine Sidra nous rencontrerons le personnage de Betsalel, qui aura les qualités artistiques qui manquent à Moshè pour créer le Tabernacle. Cela signifie que déjà à partir de l’époque biblique les artistes et l’arts ont un rôle, et que même le culte peut et doit s’exercer dans la beauté et par la beauté, sans toutefois que la beauté elle-même devienne un objet de culte. La beauté créée par l’humain doit être une force qui conduit à aller au-delà de l’humain, quelque chose qui va engendrer l’admiration pour la création divine. Ce n’est pas un hasard si le même or utilisé dans cette Sidra pour le veau sera utilisé dans la prochaine pour le Tabernacle. Symboliquement, cela signifie que les mêmes impulsions que nous pouvons utiliser pour nous glorifier et nous auto-célébrer peuvent être utilisées pour ressentir et exprimer qu’il y a quelque chose de plus grand que nous et qui nous transcende. Cela peut être réalisé avec des vertus comme la générosité, ou des valeurs comme la justice, mais aussi avec la beauté, une beauté qui ne sera pas seulement extérieure, mais qui touchera quelque chose de profond et d’intérieur dans l’être humain et dans le monde que la Transcendance a créé. C’est en prenant soin de cette beauté dans ce que nous faisons et dans la manière dont nous le faisons que nous montrerons à nous-mêmes, aux autres et à la Transcendence elle-même l’amour pour ce monde et la gratitude pour la beauté qui nous a été donnée. Le souhait pour nous tous est donc celui de pouvoir reconnaître et imiter cette beauté dans nos vies, avec l’aide de HaChem.

Liens : Etz Haim / H. F. Cipriani / H.F.Cipriani (page Facebook)

Photo de KoolShooters provenant de Pexels

Atelier Musar : Le statut et la signification existentielle du rêve dans le Talmud de Babylone

NOUVEAU THÈME DE L’ATELIER MUSAR AVEC GEORGES-ELIA SARFATI

Un dimanche sur deux, de 18h à 20h

La Sagesse d’Israël, au même titre que les autres civilisations du Proche Orient Ancien, accorde un statut privilégié au rêve. Ce dernier est indissociable d’un questionnement éthique, qui touche au devenir de la personne. Au demeurant, la loi orale fait une constante référence à la loi écrite, qui consigne les épisodes du narratifs où des songes sont vécus par d’importants personnages (Joseph, Pharaon, etc.).

Le Talmud aborde la question du rêve sous différents rapports : il consigne d’abord les divers enseignements des sages, leurs controverses, mais dans toutes les situations abordées, la compréhension comme les clefs d’interprétation du rêve renvoient en dernière analyse au sens que celui-ci peut avoir dans l’existence du rêveur. Aux dires de certains critiques, les enseignements du Talmud touchant à cette question préfigurent bien des aspects de l’exploration psychanalytique.

L’étude du Musar – c’est-à-dire de la tradition éthique du judaïsme- se poursuit ici à partir de l’examen de la thématique onirique, à travers une série de rencontres au cours desquelles le dialogue personnel préside à l’étude collective de ce patrimoine commun.

 

 

 

 

 

 

 

Chers amis, nous continuons avec joie le cursus d’études initié l’an dernier avec notre ami le professeur Georges-Elia Sarfati*. Pour plus d’informations sur le 1er cursus, nous vous engageons à cliquer sur ce lien.

L’Atelier Musar/Éthique du judaïsme propose des cycles indépendants les uns des autres.  Cette année (2021-2022), il prend la forme d’une lecture musarique/éthique du Talmud, travaillée en binôme avec un thème par trimestre.

Comme il est de règle, le Musar prend appui sur les ressources de la tradition pour proposer des motifs de réflexion pratique. Notre étude partira de la lecture de certains textes du Talmud Babylone, pour aborder leurs enjeux individuels et collectifs, de manière également à en expérimenter la signification.

Les perspectives pratiques de ces enseignements seront directement appelées par le principe du dialogue et du partage des implications personnelles entre participants – par le travail en binôme -, puisque la fréquentation de ces textes fait apparaître leur portée existentielle toujours actuelle.

Un cycle de 6 cours bimensuel en ligne qui aura lieu le dimanche tous les 15 jours de 18h à 20h, à partir du 30 janvier.

Dates 
30 janvier, 13 et 27 février, 20 mars, 3 et 17 avril

Tarifs 
Adhérent : 75 euros le cycle de 6 cours – 15 euros la séance. 
Non adhérent : 100 euros – 20 euros la séance.

Inscription 
Dans un premier temps, pour vous inscrire, merci de cliquer sur le lien

Lors de votre règlement, il vous sera proposé d’effectuer un don à HelloAsso, qui propose ses services gratuitement aux associations comme KEHILAT KEDEM. Ce don est facultatif et vous avez la possibilité de le refuser en cliquant sur « modifier » et « je ne souhaite pas soutenir.”.
Un mail de confirmation vous sera immédiatement envoyé.
Dans un second temps, peu avant le jour de la conférence, vous recevrez le lien ZOOM de connexion.

* Philosophe, linguiste, traducteur, diplômé de l’institut rabbinique Schechter de Jérusalem, docteur en études juives de l’université de Strasbourg, psychanalyste existentiel. 

Parashat Teroumah : faire place à la sainteté

Les Israélites ont quitté l’Égypte, ils ont reçu la Torah au mont Sinaï, et maintenant ils sont dans le désert et ils reçoivent des instructions pour la construction du Mishkan, la demeure portable de Dieu qui accompagnera le peuple dans le désert. La paracha de cette semaine donne bien l’impression qu’elle sera mieux placée sous forme de diagramme. Les instructions très complètes (qui occupent tout notre texte) sont longues, extrêmement détaillées et précisent chaque étape de la construction. Il y a treize versets détaillant la fabrication des tissus pour le Mishkan, quinze versets différents sur les planches de bois d’acacia, six détaillant les étapes de la construction de l’autel et de ses ustensiles et dix sur l’enceinte latérale du Mishkan, chaque instruction donnée avec ses propres mesures en coudées. Terumah est, à première vue, l’une des parashot dont la pertinence pour nos vies modernes est moins évidente.

Pourquoi Dieu a-t-il besoin d’un édifice physique au milieu du peuple ? Il a porté le peuple jusqu’ici sans en avoir, et nous avons encore de nombreux livres de la bible à finir avant de parler de la construction du vrai temple à Jérusalem. La raison est que nous avons la question à l’envers, ce n’est pas que Dieu a besoin d’un espace physique mais que lui, il sait que nous en avons besoin. En faisant une place pour Dieu, nous faisons place pour Dieu. Nous avons besoin de lieux sacrés, nous sommes programmés pour avoir besoin d’espaces distincts pour les différentes composantes de notre âme. Récemment, nous avons pris conscience de la douleur de la perte de cette physicalité. À notre époque, beaucoup d’entre nous sommes contraints de réduire toutes les composantes de nos vies à des espaces singuliers qui doivent servir de salles de classe, de synagogues, des salons des proches, de clubs sociaux, de bars où l’on rencontre de vieux amis et de chambres d’hôpital où l’on fait ses adieux pour la dernière fois. La réalité de notre condition humaine est que nous sommes façonnés par les espaces que nous habitons. Il y a un pouvoir dans notre environnement, c’est pourquoi nous nous promenons en automne dans la forêt, pourquoi nous ressentons de l’admiration en regardant la mer à l’horizon, de l’émerveillement en entrant dans nos synagogues aux fêtes des Tishri, et de la nostalgie pour les lieux que nous considérons autrefois comme les nôtres. Nous sommes façonnés par notre environnement, et nous sommes donc amenés à rechercher les lieux qui nous apportent ce dont nous avons besoin. La présence d’un Mishkan dans le camp sera l’un de ces endroits pour le peuple, et ils en auront besoin.

Rashi nous dit que la chronologie de ces événements ne correspond pas à leur ordre écrit dans notre Torah, et que l’épisode du veau d’or a précédé les instructions de construction du tabernacle[1]. Avec cette chronologie, nous pouvons imaginer les Israélites dans le désert, froids, confus, craignant les conséquences suite à l’épisode du veau d’or. Il en va de notre vie spirituelle comme de notre vie sociale, nous mentons, nous décevons, nous oublions et nous trahissons. Avec le récent épisode d’idolâtrie qui pèse sur la conscience du peuple, le Mishkan peut donc être vu non seulement comme un lieu où les israélites peuvent aller pour trouver Dieu, mais comme le souligne Abravanel, comme un rappel constant qu’il ne les a pas abandonnés, qu’il est toujours avec eux. Nous pensons que Dieu veut que les Israélites lui construisent un Mishkan pour qu’il puisse y habiter, mais l’hébreu est au pluriel, בְּתוֹכָֽם, ce qui indique que ce n’est pas dans/avec «cela» [le Mishkan] qu’il habitera, mais avec «eux» – parmi le peuple.

Les instructions continuent, détaillant les ornements qui vont du bronze le plus éloigné du Mishkan, à l’argent, puis à l’or pour les ornements de l’arche. Il est surprenant de constater que dans ce lieu très saint, avec tout l’or que les Israélites pouvaient donner, il y a quelque chose d’autre que l’on met. C’est là, nous dit la Guemara, que sont conservées les tables de la loi, non seulement la deuxième paire, mais aussi la première paire que Moïse a brisée en voyant ce que les Israélites avaient fait en construisant le veau d’or[2]. Dans ce sommet de la sainteté, nous devons placer quelque chose de brisé, un élément de la perfection de la révélation, brisé par les mains de l’Homme. Le symbolisme de ce placement dans le lieu le plus saint est frappant. Car ce n’est pas dans notre état parfait que nous avons accepté la torah, et ce n’est pas en tant qu’êtres parfaits que nous sommes créés. Les tablettes brisées dans l’arche nous rappellent que ce n’est pas en tant qu’êtres parfaits que nous sommes aimés, mais en tant qu’individus brisés, faillibles, que nous sommes réellement. Leur présence dans l’arche est un rappel que non seulement Dieu est avec nous dans le camp, mais qu’il est avec nous précisément tels que nous sommes.

Nous ne sommes plus dans le monde du temple, nous ne sommes pas dans le désert, et nous n’avons pas de Mishkan dans notre camp. Le rappel visuel de la présence divine a disparu, mais le monde dans lequel nous avons été jetés reste tout aussi déroutant, ses injustices tout aussi capricieuses, et son sens toujours plus insaisissable. Notre paracha explique comment créer une espace physique pour la sainteté, mais c’est dans le midrash que nous voyons comment nous faire de la place à la sainteté en nous-mêmes. On nous dit que lorsque Moïse reçoit l’instruction de construire la ménorah en or, il ne sait pas comment, et malgré les explications répétées de son créateur, il ne peut pas comprendre comment il peut la fabriquer, et on lui dit finalement de simplement jeter l’or sur le feu, où il émergera de lui-même en tant que ménorah[3]. Le pouvoir de façonner l’objet à sa volonté était toujours là, mais ce n’est que lorsque Moïse a fait tout ce qu’il pouvait, lorsqu’il a agi le premier, jusqu’aux limites de ses capacités, que Dieu est venu à ses côtés pour l’aider à terminer ce qu’il ne pouvait faire seul. Dieu est avec nous, pas dans le camp, pas dans le Mishkan, mais là où nous choisissons de le rencontrer. Nous faisons ce que nous pouvons, nous faisons un pas vers lui, nous mettons l’or sur le feu, en retour, il fait un pas vers nous, et prend notre main tendue. 

Le Mishkan d’aujourd’hui n’est pas un édifice physique, mais c’est la place que nous laissons à l’émerveillement et à la joie dans le quotidien. Comme Moïse, nous devons faire le premier pas, ce que nous faisons à travers nos actes quotidiens de dévotion, dans le sourire à l’étranger, l’étreinte d’un être cher, le réconfort du rire d’un ami, et la joie que nous éprouvons dans l’expérience improbable d’être ici. 

Nous sommes pressés et nous sommes occupés, mais lorsque nous nous forçons à ralentir, nous faisons de la place pour le sentiment de sainteté dans nos vies. Car même si le rappel visuel de la présence divine a disparu, nous pouvons toujours le sentir proche de nous. L’affaiblissement spirituel et l’aliénation par notre monde matériel ne sont pas inévitables, car même si nous remplissons nos jours avec les affaires de tous les jours et que nous nous tranquillisons avec les tâches futiles, Dieu est toujours là lorsque nous tendons la main vers lui, et il attend que nous fassions le premier pas.

 

[1] Rashi on Exodus 31:18:1

[2] Talmud Bavli, Bava Batra 14b

[3] Midrash Tanchuma Shmini 8.2

Version Anglophone

Parshat Terumah – Making space for holiness

The Israelites have left Egypt, they have received the Torah at mount Sinai, and now they are in the desert and they receive instructions for the construction of the Mishkan, the portable dwelling place for God to accompany the people through the desert. As texts go, this one seems like it would be better suited as a diagram. The very comprehensive instructions which occupy our whole portion are lengthy, extremely detailed, and spell out each step for the construction. There are 13 verses detailing the making of the cloths for the Mishkan, 15 different verses on the acacia wood planks, 6 elaborating on the steps for building the altar and its utensils and 10 on the Mishkan’ side enclosure, each with their own cubit measurements for the subcomponents. Terumah is, at first glance, one of the portions with less obvious relevance to our modern lives. 

Why does god need a physical edifice among the people? He has carried them so far without, and we are many books of the bible away from the construction of the real temple in Jerusalem. The reason is that we have it the wrong way around, it is not that god needs a physical space but that he knows we do. By making a space for god, we are making space for god. We have a need for sacred places, we are hardwired to need spaces for the different components of our soul.

Recently, we have become acutely aware of the pain of losing this physicality. In these current times many of us are constrained to have all the components of our lives reduced to singular spaces which must serve as classrooms, as synagogues, as relative’s living rooms, as the social clubs we attend, as bars we meet old friends, and as the hospital rooms where we say goodbye for the last time. The reality of our human condition is that we are shaped by the spaces we inhabit, there is power to our surroundings which is why we go for autumn walks in the forest, why we feel awe staring the sea out to the horizon, feel wonder walking into our high-holy day synagogues, and nostalgia at the places we once thought of as ours. We are shaped by our surroundings, and so are moved to seek out the places that give us what we need. The presence of a Mishkan within the camp would be one of these places for the people, and they will need it.

Rashi tells us the chronology of these events is not the same as their written order in our Torah, and that the episode of the Golden Calf preceded the instructions to construct the tabernacle[1]. With this chronology, we can imagine the Israelites in the desert, cold, confused, fearful for the consequences following the episode of the golden calf. We are with our spiritual lives, as we are with our social lives, we lie, we disappoint, we forget, and we betray. With the recent episode of idolatry weighing on the conscience of the people, the Mishkan can thus be seen not only as a place where the israelites can go to find god, but as Abravanel points out, as a constant reminder that he has not forsaken them, that he is still with them. We think of god as wanting the israelites to build him a Mishkan so that he may dwell there, but the hebrew is plural, בְּתוֹכָֽם, indicating that it is not in/with «it» [the Mishkan] that he will dwell, but with «them» – among the people.

 

The instructions continue, detailing the ornaments that go from bronze furthest out from the Mishkan, to silver, and then to gold for the ornaments on the ark. Surprisingly though, among this holiest of places, with all the gold the Israelites could give, there lies something else within the ark itself. Here, the Gemara tells us, are kept the stone tablets of law, not only the second pair, but the first pair which Moses smashed on seeing what the Israelites had done in building the golden calf[2]. Within this apex of holiness we are to put something broken, an element of the perfect from revelation, broken by the hands of man. The symbolism of placing this at the holiest of holiest sites is striking. Because it is not in our perfect state that we accepted torah, and it is not as perfect beings that we are created. The broken tablets in the ark are a reminder that it is not as beings of perfection that we are loved, but as the broken, fallible, individuals we actually are. Their presence in the ark is a reminder that not only is God with us in the camp, but that he is with us precisely as we are.

We are no longer in the world of the temple, we are not in the desert, and we have no Mishkan in our camp. The visual reminder of God’s presence is gone but the world into which we have been thrown remains just as confusing, its injustices just as capricious, and its meaning ever more elusive. Our parasha spells out how to create the physical space for holiness, but it is in the midrash that we see how we can create the space for holiness within ourselves. We are told that when Moses is instructed to build the gold menorah, he does not know how, and despite repeated explanations from his creator, he can not understand how he can make it, and so is told finally to simply cast the gold onto the fire, where by itself, it will emerge as the formed menorah[3]. The power to form the object to his will was always there but it was only when Moses did all he could, when he acted first, up to the limits of his abilities that God came to his side to help him finish what he could not do alone. God is with us, not in the camp, not in the Mishkan, but where we meet him. We do what we can, we take a step towards him, we put the gold on the fire, in return, he takes a step towards us, and takes our outstretched hand. 

 

The Mishkan of today is not an edifice, but the room we leave to experience the wonder and joy in the everyday. Like Moses, we must take the first step which we do through our daily acts of devotion, in the smile at the stranger, the embrace of a loved one, the comfort of friend’s laughter, and the joy we take in the improbable experience of being here at all. 

We are rushed and we are busy, but when we force ourselves to slow down, we make room for the feeling of holiness in our lives. Because although the visual reminder of God’s presence may be gone, we can still feel him with us. The spiritual deadening and alienation of the material world is not inevitable, for though we fill our lives with the business of the everyday, and we tranquilize ourselves through the trivial, God is still there when we reach out to him, and he is waiting for us to take the first step.

 

Photo by Igor Rodrigues on Unsplash

 

Tetzavé ou le sens du sacrifice

La scène se déroule toujours sur le Sinaï. D.ieu décrit précisément à Moïse la manière de préparer l’huile pour la ménorah, ainsi que les habits sacerdotaux pour le Kohen Gadol, les rites initiatiques pour les Kohanim, les divers rituels liés au sanctuaire et les offrandes perpétuelles (sacrifice de deux moutons par jour).

Une éloquente absence

La parasha Tetzave est la seule, depuis la naissance de Moïse, à ne pas comporter le nom de celui-ci. Il est présent dans l’action, bien entendu, mais n’est pas expressément nommé. Comme si, dans cette circonstance, son identité propre était absente de la parasha. Ce fait n’est bien entendu pas passé inaperçu des commentateurs classiques et plusieurs traditions tentent de l’expliquer. L’une d’elles affirme qu’il s’agit d’une réponse a priori à une prière de Moïse, dans la parasha suivante qui, après l’épisode du Veau d’Or, dit au Seigneur : Hélas ! Ce peuple est coupable d’un grand péché, ils se sont fait un dieu d’or ; et pourtant, si tu voulais pardonner à leur faute… ! Sinon, efface-moi de la Torah. D.ieu aurait alors pardonné à Israël sa faute mais l’absence de la mention de Moïse dans une unique parasha témoignerait néanmoins du fait qu’à certains égards, Sa confiance en son Peuple demeure moindre qu’elle ne l’était auparavant. Peut-être, cependant, peut-on penser à une autre raison. Une raison en rapport avec le sujet même de la parasha. Car tous ces commandements relatifs aux Kohanim ne concernent pas Moïse.

Une récompense pour l’hérésie ?

Les prescriptions, en effet, sont essentiellement destinés Aaron et à sa descendance. Aussi contre-intuitif que cela puisse sembler au premier abord, ce n’est pas Moïse qui va devenir le grand prêtre, mais bien son frère, et ce malgré le fait qu’il participe à l’hérésie du Veau d’Or. Comment se fait-il que ce même Aaron, qui ordonne l’érection d’une idole soit celui à qui l’Eternel confie la charge de gardien de l’orthodoxie ?

L’idole en question, représentant un bovidé, peut être interprétée soit comme une statue d’Apis, soit comme une statue de Sin (le dieu babylonien de la lune et du temps, représenté avec des cornes de taureau, et dont le nom est à l’origine du terme Sinaï; Sin était le dieu tutélaire d’Ur, d’où est originaire Abraham; la tradition selon laquelle Moïse serait descendu cornu du Mont Sinaï n’est peut-être pas une simple erreur de traduction ou d’interprétation : il est très possible qu’il s’agisse, dans des versions très archaïques du récit, d’une transfiguration et d’une manifestation physique d’une proximité avec le divin Sin). Dans les deux cas, il s’agit d’un retour en arrière, que ce soit vers l’Egypte ou vers les lointaines origines mésopotamiennes des Hébreux.

Une charge pour Aaron

Premier élément de réponse possible : rien ne nous assure que le statut de Kohen Gadol, attribué à Aaron, soit une récompense. A bien des égards, il s’agit d’une charge, et qui peut être écrasante. La parasha Shemini nous montrera d’ailleurs qu’elle peut être mortelle. Être celui qui, de tous, se trouve le plus proche de l’Eternel est certes un honneur, mais un honneur terrible. Ce n’est pas sans raison.

Qui a déjà vécu une expérience religieuse authentique sait combien cet événement peut être traumatisant : en un instant, votre vision du monde s’écroule ; vous découvrez d’autres manières d’appréhender les choses, l’univers s’ouvre à vous. Mais on peut se perdre dans une telle vision; elle peut aussi bien vous illuminer que vous détruire.

Les expériences religieuses sont communes à toute l’humanité, et bien souvent décrites dans des termes à peu près similaires quelles que soient les cultures et les époques. Si nous n’avons aucune certitude quant à la nature de ces expériences, ni ce vers quoi elles ouvrent exactement, nous pouvons être certains d’une chose : notre esprit est capable de les vivre. Mais ces expériences bouleversent nos cadres de références et peuvent nous plonger dans l’angoisse et le chaos. Ça n’est pas sans raison que de nombreuses traditions voient l’initiation comme une forme de mort symbolique, une Œuvre au Noir dans laquelle il faut d’abord détruire les structures préexistantes, parce qu’on ne construit bien que sur des ruines. Reste à savoir si l’on est capable de survivre à cette destruction, et d’en tirer quelque chose de positif.

Dans son livre My Stroke of Insight (2008), la neurophysiologiste Jill Bolte Taylor décrit en détails l’intense expérience religieuse qu’elle vécut au cours d’un accident vasculaire cérébral qui toucha son cerveau gauche, et comment, après cette expérience, elle parvint, peu à peu, à reconstruire ses fonctions cérébrales. Tous ceux qui vivent une expérience religieuse ne sont pas affectés de manière aussi dramatique mais il est indéniable qu’il s’agit d’un événement de nature à altérer définitivement l’existence. Une des raisons principales pour lesquelles Jill Bolte Taylor est parvenue à maîtriser l’expérience et à aller au-delà du trauma pour en faire une est le fait qu’en tant que neurophysiologiste, elle a parfaitement compris ce qui lui arrivait : les différentes étapes de l’accident vasculaire cérébral lui étaient connues, elle n’a pas paniqué et a su, dans une certaine mesure, observer l’événement d’un œil extérieur. Bref : elle s’était préparée à cela, même si elle ne le savait pas.

Les rites d’initiation et de purification, que ce soit ceux des traditions shamaniques les plus archaïques ou ceux, bien plus sophistiqués, décrits ici pour l’initiation des Kohanim, remplissent la même fonction : préparer à la rencontre avec un événement qui dépasse, et de loin, nos capacités de compréhension. Et sans doute peut-on lire ainsi ces rituels méticuleux et précis destinés à Aaron et aux siens : il ne s’agit pas d’une récompense, mais bien de la reconnaissance de leur imperfection, et donc de la nécessité de les préparer à la rencontre avec le Divin.

Une question de pardon et de dépassement

La faute d’Aaron dans l’épisode du Veau d’Or est indéniable. Et c’est sans doute parce qu’il a commis cette faute qu’il peut effectivement devenir le Grand Prêtre.

Tout d’abord parce qu’Aaron a toujours été le visage de Moïse face aux Israélites. Il est celui qui fait face au peuple, alors que son frère fait face à D.ieu. Aussi n’est-il sans doute pas inutile qu’Aaron souffre de ce petit degré d’imperfection qui le rend plus accessible, plus compréhensible au commun des mortels. Par ailleurs, Aaron, en manifestant les racines égyptiennes et mésopotamiennes de la foi hébraïque, se montre aussi potentiellement capable de les dépasser tout en les intégrant, dans une dynamique similaire à celle de l’Aufhebung hégélienne. Mais surtout, Aaron prouve par l’exemple que le pardon divin est possible : le péché n’est pas la fin de l’existence, et même l’hérésie peut être rattrapable. A condition d’opérer les sacrifices adéquats.

Le sens du sacrifice

Le sacrifice est une pratique qui nous semble aujourd’hui primitive, brutale ou simpliste. A tort : il s’agit sans doute l’une des plus grandes inventions humaines. Aucun autre animal ne pratique un tel rituel, absurde en apparence mais en réalité d’une grande sophistication intellectuelle et dont le sens est d’une incroyable profondeur.

Outre sa fonction religieuse, le sacrifice antique a une fonction de redistribution sociale : l’animal une fois tué, sa chair est cuite, et partagée entre tous ceux qui assistent à la cérémonie. Pour les membres les plus pauvres de la société, il s’agit bien souvent de l’unique moyen de consommer de la viande. Il s’agit donc au moins en partie d’un mode d’atténuation des différences (et donc des tensions) sociales. Mais le sens du sacrifice va bien au-delà.

Le sacrifice et l’avenir

Car qu’est-ce qu’un sacrifice ? Si on le prend dans son acception la plus étroite, il s’agit de détruire quelque chose qui a une valeur immédiate (de la nourriture, du vin, un animal, parfois un être humain) pour complaire à l’Eternel, en espérant que le Divin nous soit favorable à l’avenir. L’invention du sacrifice, c’est donc l’invention de la jouissance différée : la découverte du fait qu’on peut négocier avec le monde et qu’il est possible, en renonçant à un plaisir ou même à un besoin immédiat, de s’assurer un avenir meilleur. Si l’on agit comme il convient, si l’on accepte les efforts (et souvent les souffrances) nécessaires, il est possible d’obtenir ce que l’on souhaite, à condition d’en avoir payé le prix en amont. C’est la découverte du fait que l’Homme n’est pas démuni face à l’arbitraire du monde mais qu’il peut, en en payant le prix, plier le réel à sa volonté.

Pour que cet avenir meilleur advienne, il faut cependant que le sacrifice plaise à l’Eternel. Il ne s’agit donc pas de détruire n’importe quoi : il faut sacrifier une chose précise et précieuse. Cette notion a des échos jusque dans notre vie individuelle : il est courant que nos fardeaux nous empêchent d’avancer et que la seule chose qui nous permette d’aller de l’avant est de nous alléger de certaines choses. Faire un sacrifice. Et souvent un sacrifice douloureux, puisque ce qui nous bloque, ce qui nous empêche, c’est généralement justement ce à quoi nous ne voulons pas renoncer.

La Bible nous présente le premier conflit de l’humanité, entre Abel et Caïn, comme apparaissant parce que Caïn avait jalousé son frère. Abel, en effet, avait procédé aux bons sacrifices et avait été béni, tandis que Caïn, qui avait sacrifié mais ne l’avait pas fait dans les formes, les qualités ou les proportions appropriées, n’avait pas reçu cette bénédiction. Caïn avait pensé qu’il suffirait de se séparer d’une chose sans valeur pour que la magie du sacrifice s’accomplisse ; et comme cela ne s’est pas produit, il avait cru voir de l’arbitraire et de l’injustice là où il n’y avait en réalité que la conséquence de ses actes. A bien des égards, il a tenu le raisonnement, si courant parmi les complotistes, consistant à se dire : Je n’ai pas ce que je souhaite, malgré le fait d’avoir sacrifié ; comme il m’est trop difficile de remettre en cause mes propres actes, c’est qu’une injustice me prive de ce qui me revient. Or Caïn est également le créateur des premières cités. Il est donc le père de la civilisation. D’après la Bible, la civilisation est donc basée sur la jalousie, la spoliation et le meurtre.

Dès l’origine, le sacrifice porte donc cette ambivalence : il est ce qui établit un lien avec la Transcendance, ce qui garantit l’avenir dans la matière, mais également ce qui peut attiser la jalousie et la colère des autres. Et sa pratique peut très rapidement déraper.

Etablir et réguler

Comment, dès lors, prétendre fonder un Etat et une nation qui soient autre chose qu’un système d’asservissement des êtres humains et de perpétuation du Mal de génération en génération ? Comment garantir la protection du Seigneur, c’est-à-dire la prospérité de la nation, tout en minimisant le mal et la souffrance ?

Quel est le prix de la Terre Promise ?

D’abord en établissant des sacrifices et en les régulant. Etablir des sacrifices, c’est faire d’Israël une nation soucieuse de son avenir et prête à renoncer à des gratifications immédiates, afin de se prolonger dans le temps et les générations. Une nation qui ne consent pas à des sacrifices uniquement de manière ponctuelle, quand elle a quelque chose à demander à D.ieu, mais tous les jours, parce que c’est bel et bien tous les jours que l’avenir se prépare. Réguler ces sacrifices, c’est s’assurer que les Hommes, toujours prompts à confondre le mot et la chose, ne croient pas que le sacrifice a une valeur magique en lui-même. Et en faisant en sorte que cette violence rituelle reste rituelle seulement, car confiée à une classe spécialisée, formée à comprendre ces notions et à se confronter au sang et à la mort. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que les fils d’Aaron mourront d’avoir voulu exécuter des sacrifices non prescrits : si pratiquer les sacrifices nécessaires pour l’avenir de la nation est indispensable, créer de la souffrance là où elle n’est ni utile ni nécessaire est en revanche criminel.

Toute l’histoire des Israélites après l’épisode du Veau d’Or est d’ailleurs une longue histoire de jouissance différée : quarante années durant, ils vont errer dans le désert, préparant l’arrivée dans une terre qu’eux-mêmes ne connaîtront jamais. Et de nombreux épisodes vont les voir contraints à renoncer à leurs pulsions immédiates, afin de comprendre et d’appréhender un projet d’ensemble plus vaste, et dépassant l’horizon d’un simple individu. En établissant des sacrifices et en les régulant, donc.

Le choix d’Aaron

Pour encadrer cette entreprise, D.ieu va choisir non pas Moïse, qui est celui qui a su réguler ses pulsions primaires pour rester dans la droiture et la doxa, mais bien Aaron : celui qui a échoué à le faire. Mais parce qu’il a échoué à le faire, cela signifie qu’il est capable d’apprendre. Car nous n’apprenons rien, ou presque, de nos succès : quand nous nous trompons, quand nous errons, quand nous échouons, nous avons une chance, pour peu que nous survivions à cette erreur, d’en sortir plus forts, plus sages et plus prudents. A l’inverse, quand nous réussissons, les raisons de notre succès ne nous sont pas toujours claires et nous apprenons souvent beaucoup moins. Ce qui est vrai sur le plan de l’apprentissage individuel l’est également sur le plan moral. Il faut lire Des hommes ordinaires, de Christopher Browning, qui décrit les membres du 101ème bataillon de réserve de la police allemande, responsables de la mort de plus de 80 000 personnes, qu’elles aient été assassinées à Jozefow ou déportées à Treblinka. Ces policiers n’étaient pas des monstres. La plupart d’entre eux étaient, comme le titre l’indique, des hommes comme les autres. Beaucoup ont obéi aux ordres sans se poser de question. Beaucoup, également, savaient que ce qu’ils faisaient était moralement inacceptable mais ils se sont conformés au groupe, ils ont suivi, ils ont imité les autres. Ce conformisme face au groupe, nous le ressentons tous, tôt ou tard, et il peut nous pousser au pire. C’est à cette pression du groupe qu’Aaron a cédé dans l’épisode du Veau d’Or.

Il est facile, quand on regarde de telles horreurs à distance, ou dans la position, éthiquement bien plus confortable, des vainqueurs et des victimes, de se dire que soi-même, on refuserait ; qu’on résisterait à la pression générale ; que de telles noirceurs ne concernent que les autres ; que ce Mal-là nous est extérieur et que, nous, nous ne ferions pas cela. Or c’est justement ceux qui se pensent incapables de commettre de telles choses qui sont les plus susceptibles de s’y livrer si l’occasion se présente. On peut ici se référer à Jung : seul celui qui a su intégrer son Ombre peut être réellement moral; seul celui qui sait qu’il pourrait devenir un monstre est réellement apte à ne pas le devenir. C’est avec les meilleures intentions du monde, et avec la conscience la plus pure, que s’accomplissent les pires horreurs. Là encore, se retrouve le thème d’une certaine Œuvre au Noir, ou encore d’une initiation orphique : avant de s’élever, il faut avoir plongé dans la nuit, au risque d’y demeurer à jamais, pour en émerger purifié. On ne construit bien que sur des ruines.

C’est la raison pour laquelle Moïse ne peut faire l’affaire : lui n’a pas écouté les sirènes de l’hérésie. Il n’a pas erré sur les chemins de la facilité. Il n’a pas cédé à la pression du groupe. Aaron l’a fait. Raison pour laquelle il peut être purifié, pardonné, élevé. Raison, également, pour laquelle il doit être préparé par le rituel, les habits sacerdotaux, les huiles saintes.

Moïse est un être exceptionnel mais tout le monde n’est pas Moïse et il n’est pas raisonnable d’établir un Etat en partant du principe que les dirigeants seront autre chose que des hommes ordinaires. La vertu ne se décrète pas. C’est justement parce qu’ils ont fauté qu’Aaron et les siens ont besoin de ces habits sacerdotaux et de ces rituels : pour leur rappeler en permanence quels sont leurs devoirs, autant que pour les préparer psychologiquement à des expériences hors du commun.

Loin d’être un catalogue abscons de pratiques d’un autre âge, Tetzave est donc le témoignage d’une forme d’ingénierie sociale d’une extrême sophistication : l’établissement d’un mode de pensée dans lequel il devient non seulement courant, mais normal et quotidien de renoncer à une partie de sa jouissance immédiate pour assurer au groupe un avenir meilleur ; dans lequel l’acte par lequel on manifeste cette pensée est lui-même un mode de régulation sociale et d’apaisement des tensions au sein du groupe ; et dans lequel les hommes qui sont chargés de ces rituels sont préparés psychologiquement à le faire, en partant du principe non pas qu’ils sont exceptionnels ou disposent d’une vertu spécifique (ce qui serait tentant dans le cadre d’une fonction héréditaire), mais au contraire qu’ils sont faillibles, et ont donc besoin, pour réaliser leur mission, d’une infrastructure symbolique, une cartographie idéologique dans laquelle se situer et agir.

 

Illustrations : Max MuselmannUnsplash; Benjamin Davies / Unsplash

Paracha Michpatim : une justice transcendante

Pour la Torah, la justice est transcendante. Elle vient du ciel. Et ce n’est pas une parole en l’air. Si la Justice ne venait pas du ciel comment pourrait-elle transcender les intérêts particuliers ?

Que la Loi vienne du ciel, tout l’indique. Dès la paracha Yitro, Moshe monte au Sinaï (C. 19.3). Il s’élève pour accéder à la Loi que le peuple hébreu acceptera de suivre (C.19.8). Ce seront   les 10 devarim ou paroles du C.20.  Elohim, en créant le monde, crée la loi qu’elle soit naturelle ou humaine (justice). Les 10 paroles sont les 10 piliers qui fondent une véritable société humaine. Le mouvement des Lumières s’en inspirera, notamment pour « la déclaration des droits de l’homme et du citoyen » du 26 août 1789, en France.

Avec la paracha  Michpatim c’est toujours de Justice que nous parlons. Il s’agit d’un code civil qui prolonge dans le détail, les 10 paroles. Le titre même de la paracha et son premier verset (C.21, 1) le disent clairement. On peut aussi percevoir dans ce titre, un clin d’œil en creux au Livre des Shofatim (« Les Juges »). Pourquoi ? Ce dernier se caractérise justement par l’absence de respect des lois selon la formule qui conclue le Livre : : אִישׁ הַיָּשָׁר בְּעֵינָיו יַעֲשֶׂה בַּיָּמִים הָהֵם אֵין מֶלֶךְ בְּיִשְׂרָאֵל (« en ces jours pas de roi sur Israël et chacun, ce qui est droit à ses yeux, il fait  (21, 25) » Pas de roi, pas de loi, et chacun pouvait faire  ce qu’il voulait.

Avec Michpatim, il y a un Roi, c’est le Roi des rois.  Pas question de déroger aux statuts qu’il révèle, et pour cause : y déroger serait (re)conduire l’humanité au chaos. Qu’il s’agisse bien de justice, et même de tribunal, la préposition לִפְנֵיהֶם (« devant eux ») l’indique : elle renvoie aux 70 Anciens d’Israël qui composent le Tribunal Suprême d’Israël, le Sanhédrin (Gittin 88b). (Voir l’enseignement de R. Tarphon dans Elie Munk « La voie de la Torah » p.320). Pour confirmer cette interprétation, on retrouve explicitement ces « Anciens » à la fin de la paracha  (24,1) : «  et monte vers ha Shem avec Aaron, Nadav, Avihou et les 70 anciens d’Israël… »

Une législation révolutionnaire

La plus grande partie de la paracha expose en détail les lois concernant les personnes, les biens, et la terre. Elle va du C. 21 à 23 jusqu’au v.19. Il s’agit d’un recueil de lois révolutionnaires ! Il rend chacun responsable de ses actes, tout en y introduisant la dimension très moderne des « circonstances atténuantes » (voir 21,12 et les villes refuges). La justice est bien la référence suprême sur laquelle doit s’édifier la société, mais attention ! La justice seule ne suffit pas ! Le ‘hessed (חסד – la compassion, l’amour, la charité) en est le couronnement. Sans le ‘hesed la justice perd tout son sens, et la société qu’elle est sensée maintenir s’écroule.

Pas de justice sans « ‘hessed » (compassion)

La justice exige de chaque humain qu’il se sente responsable envers l’autre, qu’il soit puissant ou faible, maître ou serviteur, homme ou femme. Même celui que tu détestes, s’il est en difficulté, tu l’aideras à retrouver son âne ou à le décharger (23, 4 et 5).

Pour la première fois dans l’antiquité, les esclaves ou serviteurs ne sont pas traités comme des biens meubles, mais comme des êtres humains. Les femmes acquièrent des droits qu’elles ne possédaient pas (même s’ils peuvent paraître dérisoires aujourd’hui) et aussi l’étranger (« guer ») qui habite avec toi… et mêmes les animaux qui bénéficient du Shabbat. Il faut lire ces lois, non comme un aboutissement mais comme le déclenchement d’une dynamique de libération qui ira beaucoup plus loin dans les textes et dans l’histoire. L’objectif est bien de « sortir de la maison de servitude » ( Yitro 20, 2) pour tout Israël, dans un premier temps, pour l’humanité toute entière à sa suite.

Pourtant, on peut s’interroger. Le ‘hessed est-il vraiment toujours présent ? Les sanctions pour les faits les plus graves (21.23 à 25) semblent relever de la loi du talion, connue dans le code Hammourabi. Mais « Le Talmud, dans le traité Baba Kama, enseigne, au nom de Rabbi Chimon Bar Yohaï : « Œil pour œil veut dire compensation financière » (Jeanine Elkouby – Actualité Juive). Cette interprétation peut s’appuyer sur le terme תחת (ta’hat) qui veut dire (à la place, mais aussi en-dessous). Cette préposition nous indique qu’il ne s’agit pas de crever un œil pour un œil – ce qui n’aurait pas de sens – mais de le compenser (financièrement).

Pas de « ‘hessed » pour les sorcières ?

Les sorcières sont vouées à la mort sans rémission (22,17). Ce verset résonne douloureusement à nos oreilles. 60 000 sorcières ont été brûlées au XVIème et au XVIIème siècles ; il y eut environ 100 000 procès avec toutes les tortures qui les accompagnent ! La Torah applaudirait-elle ce « féminicide » caractérisé ?  La réponse est non car il ne fait jamais sortir un verset de son contexte historique et textuel.

Tout d’abord, on constate que ces crimes de masse contre les femmes ont été commis par les chrétiens (catholiques et surtout protestants, et aussi en Afrique animiste et musulmane). Ils ont appliqué ce verset, sans sourciller, au pied de la lettre.   Pourtant, jamais les Juifs n’ont brûlé des sorcières. D’autant moins que les persécutions contre ces pauvres femmes n’étaient qu’un volet de la lutte générale contre les hérésies. Et là, les Juifs étaient concernés au premier plan, avec les sorcières.

De plus, le texte ne vise  pas spécifiquement les femmes. Le Livre « devarim » ( « Deutéronome ») précise très clairement que la sorcellerie n’est pas spécifiquement féminine (voir c.17, 2). L’objectif du texte est donc, avant tout, d’éradiquer l’idolâtrie dont la sorcellerie constitue une pratique majeure. C’est le sens que lui donne Maïmonide (Guide III – 37). On voit ici à quel point une interprétation unilatérale des textes conduit aux pires atrocités.

D’ailleurs, ce verset sur les sorcières renvoie logiquement à la suite : l’éradication des 6 peuples cananéens (23,23).

Se libérer pour que les autres nations se libèrent

A partir du c. 23, 20, un messager (מלאךְ– malakh ) accompagnera les Hébreux. Ce messager c’est Metatron  (מטטרון) selon Rachi. Sa valeur numérique est la même que שדי (Chadaï – 314). Sa présence est signe que les Hébreux ne respecteront pas toujours la loi. Il faut les limiter.  C’est d’ailleurs pourquoi, juste avant, il est fait référence à la loi qui interdit de cuire le chevreau dans le lait de sa mère. Le chevreau, selon le Zohar II (123b – 126a), est le pseudonyme de Essav. Le lait symbolise la source de la sagesse humaine. Il ne faut donc pas mélanger la sagesse à la folie du pouvoir. C’est un avertissement.

Pour appliquer leurs lois, les Hébreux devront effacer toute trace des 6 peuples qui habitent la terre qu’Israël doit hériter. Comme le verset sur les sorcières, ce passage nous met mal à l’aise. Nettoyage ethnique ? Effacement du ‘hessed ? Pas du tout.

D’abord, les mouvements de population et les guerres mentionnées déjà à l’époque d’Avraham (Guerre des rois – bereshit – c.14) font qu’il n’y a pas de possesseurs légitimes ou naturels de la terre. La terre ne peut s’acquérir qu’au nom de la parole de la Transcendance : au nom de la justice et du ‘hessed.

Les peuples païens font le contraire : ils adorent des idoles faites en matériaux. Pire, ils leur sacrifient des humains et même leurs enfants. Chez eux, une seule loi : les forts dominent et oppriment les faibles. Les esclaves sont des objets. La soumission des hommes à d’autres hommes est la règle.

La question est : jusqu’où peut aller la tolérance ? Jusqu’à fermer les yeux sur des actes inhumains ? La question s’est posée vis-à-vis des nazis. Fallait-il les laisser faire au nom de la tolérance et/ou du pacifisme, ou fallait-il les détruire ? Les pacifistes, on le sait, se sont ralliés à la collaboration. Le judaïsme n’est clairement pas un pacifisme. Parce qu’il aime la vie, il n’aime pas la paix des cimetières. Parce qu’il a pour mission de créer les conditions d’une vie décente pour tous les peuples sur terre, le peuple hébreu se doit de détruire ceux qui pratiquent l’injustice.

Cette passion de la justice ne s’applique d’ailleurs pas qu’aux autres. Dans la haftarah de cette paracha, le grand prophète Yrmeyaou (Jérémie) au C.34 v.8 à 34.22 et 33.25 et 26 l’explique très clairement : le même sort attend les Hébreux s’ils s’alignent sur les pratiques païennes. C’est bien ce que Yirmaeyaou dénonce à son époque : les Judéens devaient libérer leurs serviteurs, mais ils ne le font pas. Certes, ils les libèrent dans un premier temps, mais finalement, ils reviennent sur leur parole et les récupèrent.  Ce reniement de la loi va provoquer une catastrophe : la destruction du Temple et de Jérusalem, et l’exil des élites judéennes à Babylone en 586 avant l’ère courante.

Construire une nation

Pratiquer la justice et le ‘hessed suppose d’avoir un pays pour le faire. C’est pourquoi la paracha définit des frontières. : « de la mer des Joncs à la mer des Philistins et du désert au fleuve (Euphrate) ». Cela signifie qu’Israël ne veut pas conquérir le monde, mais juste trouver un lieu où pratiquer la Torah. Pas n’importe quel lieu : celui où justement sévissent l’idolâtrie et l’injustice.

 

Photo : Tingey Injury Law FirmUnsplash

Glissements et extensions de la manne : kouzou et milouï

Par Laurent Picard, frère d’étude (havrouta), ami de Kehilat Kedem

Cette section se situe entre les rachats des premiers-nés début du chapitre 13 et la guerre contre Amalek au chapitre 18. Dans cette parasha, se trouvent les principales péripéties de la sortie d’Egypte :  colonne de fumée, colonne de feu, premières pérégrinations dans le désert face à la mer rouge, passage de la mer rouge, cantique à la gloire de l’Éternel, les eaux amères, les douze tribus et les 70 sages, le pain du ciel, l’eau du Rocher et la bataille contre Amalek.

Une péripétie attire particulièrement l’attention. C’est le passage de la manne et plus précisément le verset 16 du chapitre 16 qui est l’énonciation par Moïse du rituel de la manne.

18 MOTS, TOUT L’ALPHABET

Ce qui est remarquable, c’est tout d’abord la structure de ce verset.  En regardant de plus près, on trouve l’apparition des 22 lettres de l’alphabet. En effet, le verset est composé de 18 mots et une série de 70 lettres, il contient toutes les lettres de l’alphabet.

Lors de la lecture de la Genèse, ce n’est qu’au chapitre 2 verset 11 que toutes les lettres de l’alphabet auront été présentes au moins une fois. C’est dire le « concentré d’alphabet » qu’il y a dans ce verset 16 !

LA MÉTAPHORE DE LA LETTRE

Le glanage de la Manne, annoncé par Moïse, se fait selon une règle quantitative d’un omer (une unité de volume) par tête, donc suivant le nombre de personnes par maison. Le texte hébreu utilisele mot crâne pour désigner l’individu.

La guematria simple de l’expression un « omer par crâne » (« omer lagoulgolet ») totalise en hébreu, un compte de 806. Cette valeur écrit également l’expression « les signes » (« hahotot ») au pluriel ; notre propos est de montrer comment dans ce contexte de la manne, « l’omer par crâne » s’entend comme signes alphabétiques, les lettres.

Une précision méthodologique concernant la guematria est ici nécessaire. Rappelons que la guematria simple ou cumulative (en hébreu le « raguil ») est la somme de la valeur numérique de chaque lettre qui compose un mot, une expression, une phrase, voire davantage.

Nous appelons guematria pleine, la guematria qui prend en compte le développement du nom de la lettre : ainsi la lettre aïn ע a pour valeur numérique 70 mais le développement de la lettre, sa plénitude, s’écrit Aïn+Yod+Noun עין 130. C’est ce qu’on appelle la guématria pleine : en hébreu, le « milouï ». Ici, l’aspect visible de chaque lettre c’est-à-dire, sa figure, l’initiale, cache d’autres lettres invisibles qui constituent le déploiement de son nom (épellation). Petit rappel : chaque lettre est l’initial d’un nom, ex : le signe aleph est l’initiale du mot taureau (aleph).

DU SIGNE DE LA LETTRE A LA TORAH

Revenons à notre verset 16.

Au vu de la remarque qui précède, on peut considérer que chacun des 18 mots du verset est constitué de son initiale et des lettres qui constituent le mot. Par exemple : « ich », un homme, a pour initiale aleph et comme déploiement yod et shin. Au travers de cet exemple, on est invité à penser que l’homme c’est la présence d’un commencement « yod + shin = yesh », « yesh » + aleph, il y a un initial, un début, un commencement.

Le verset est donc constitué de 18 initiales et d’autre part des lettres qui constituent le déploiement de chaque initiale.

Faisons la somme de ces 18 lettres initiales (de ces 18 mots) : la valeur cumulée totalise un compte de 838. Et 838 peut s’écrire 806 + 32.

Remarquons que 32 écrit le mot « bal », c’est-à-dire la première lettre de la Torah -le Beth ב de Berechit qui vaut 2-, et la dernière lettre de la Torah, le lamed ל (qui vaut 30) de Israël. /Berechit-Israël/ sont les 2 bornes du texte de la Torah.

 Sachant que d’une part 806 renvoie aux signes, « hahotot », et d’autre part, 32 renvoie aux lettres- bornes de la Torah, c’est une façon de dire que 838 renvoie à l’ensemble des lettres de la Torah.

Parmi les 70 lettres du verset, qu’en est-il des 52 lettres restantes ? Bien sûr c’est la question qui vous démange !

La guematria de l’ensemble du verset est 5106.  Par conséquent, la guematria de ces 52 lettres résulte de la différence entre 5.106 et 838 (valeur cumulative des 18 initiales), soit 4268.

Il faut ici faire une deuxième remarque.

Tout d’abord, la guematria simple de l’ensemble des 22 lettres de l’alphabet (le raguil) est égal à 1495.

La guématria pleine de l’ensemble des 22 noms des 22 lettres de l’alphabet (ou milouï : ex : aleph c’est aleph+lamed+phe ; bet c’est bet + youd + tav etc.), c’est-à-dire chaque initiale et son développement est lui égal à 4248.

LE MILOUÏ, RÉSERVE DE SENS

Nous avons vu à l’instant que 4268 correspond au milouï des initiales du verset 16. Le nombre 4268, milouï de ces initiales est comme l’alphabet et son milouÏ.

Et 4 268 peut s’écrire 20 + 4248. Pourquoi 20 ? 20 correspond à la lettre caf כ qui signifie en français « comme » ou « ainsi ». On peut donc interpréter cette valeur de 4268 ainsi : comme le milouï de l’alphabet, alphabet qui est, comme nous l’avons dit, présent dans son intégralité dans ce verset.

Ce verset renferme l’alphabet et son milouï. Le milouï de ce verset (4268) correspond à la somme de l’alphabet et son milouï.

Ce verset unique met en relation le texte de la Torah avec l’alphabet. Ce qui invite à imaginer que la Torah serait aussi un milouï de l’alphabet.

Si on a bien compté et bien suivi, on peut alors comprendre maintenant, plus clairement, l’ossature remarquable de ce verset. Il met en exergue d’une part la matérialité alphabétique de la Torah, dans toute sa dimension, et d’autre part le potentiel de sens, à travers les noms des lettres et leurs déclinaisons qui composent la Torah.

Autrement dit, le glanage de la manne, c’est-à-dire le glanage des lettres sur le sol donne à voir de nouveaux sens.

LA QUESTION DE LA MANNE

Une question essentielle demeure : pourquoi la manne est-elle porteuse de ce potentiel herméneutique?

C’est que l’apparition de la manne pose la question de la question. En effet, quand les Hébreux la découvrent au matin, ils posent la question : « qu’est-ce que c’est ?» et la réponse est « c’est du qu’est-ce que c’est ». Cette expression « c’est du qu’est-ce que c’est » se dit en hébreu /ze man/ et le mot « zman » signifie en hébreu « temps ». « Jeux de langue, jeux de mots »

Il ne s’agit pas ici de l’éternité du temps mais de la succession des instants de vie, du mouvement de la vie.

DANSE DU LANGAGE

La manne est comparée à de la rosée.

La guematria du mot rosée « tal » est 39, elle est aussi la guematria du mot « kouzou ». Ce mot « kouzou » est écrit sur le parchemin de chaque mezouzah. Il correspond au nom du Dieu Tétragramme en mouvement. Ce mouvement correspond au glissement de chaque lettre du Nom divin vers la lettre suivante dans l’ordre de l’alphabet ; le Yod devient caf, le Hé devient vav, le Vav devient zaïn et le Hé devient vav. C’est le langage en mouvement, rien n’est fixe et chaque signifiant renvoie à un autre signifiant. Ainsi se construit l’interprétation à chaque fois nouvelle elle aussi.

Développement et glissement sont deux modalités de l’action de la manne sur le monde. Développer la Manne, c’est considérer le nom de la lettre memמ et de la lettre nounנ, c’est-à-dire מם+נון soit un cumul de 186. Ce nombre 186 renvoie au maquom, lieu de la présence divine.

Le glissement ou kouzou de la manne le memמ devenant nounנ et le nounנ devenant samekh ס écrit le mot נס /nes/ le miracle.

Miracle du pain des cieux !

Historiciser «Mein Kampf»

Conférence de Florent Brayard au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (mahJ)

«Mein Kampf», publié entre 1925 et 1926, présente l’obsession antisémite d’Adolf Hitler et condense des propos à la fois anciens et plus nouveaux dans la longue histoire de la haine du juif. Il présente les Juifs comme un peuple avide de pouvoir et désireux de prendre le contrôle du monde; il conclue en estimant que combattre les Juifs est indispensable à la survie de l’humanité en général, de l’Occident et de l’Allemagne en particulier. Analyser les conceptions hitlériennes permet de mieux en comprendre les origines, qui puisent à la fois dans un vieil antijudaïsme chrétien, un antisémitisme racialiste apparu au XIXème siècle et un antijudaïsme issu de la gauche à la même époque. Cette analyse permet de réaliser combien les persécutions qui commencent dès le début de 1933 sont clairement annoncées dans le véritable programme que constitue Mein Kampf.

Illustration : Mateus Campos Felipe – Unsplash