2021
Parasha Toledot : Creuser les vieux puits ou boire de nouvelles eaux ?
Dans notre sidra (Gen 26,1-2), Itshaq se rend à Gherar, qui se trouve au Sud, en direction de l’Egypte, comme pour anticiper le mouvement qui sera plus tard celui de son fils Yaakov. Mais la Transcendance l’arrête, car Itshaq doit avant toute chose revivre ce qu’Avraham son père avait vécu avant lui. Il devra creuser les puits que le père avait déjà creusé, (Gen 26,18) mais aussi entrer en relation avec un roi étranger qui s’appelle Avimelekh exactement comme celui qu’ Avraham avait connu, et se questionner sur le rapport avec sa femme, comme son père l’avait fait. (Gen, 20).
Chaque projet doit connaître des étapes d’innovation, ce qui est le propre du chemin d’Avraham, et d’autres des étapes de stabilisation, qui sont tout aussi importantes. Ce sera le rôle d’ Itshaq.
Ouvrir de nouveaux chemins ou les approfondir ?
Ces deux aspects doivent toujours être maintenus en équilibre, car si l’un des deux annule l’autre il y a un risque important pour la stabilité et le devenir du projet. Parfois le désir d’aller de l’avant, de progresser, est extrêmement fort, impérieux. Mais nous devons apprendre à être prudents, car il est parfois plus judicieux de creuser les vieux puits que de vouloir à tout prix boire de nouvelles eaux.
Le point d’arrivée de l’épisode cité est le choix du nom Chiva pour le dernier puits qu’ Itshaq creuse, qui donnera le nom à la localité de Beer Chéva (Gn. 26:33). Certains commentateurs font remarquer que le mot Chiva en araméen signifie aussi « chance ». Or, exactement, à Béer Chéva, Avraham avait déjà signé une alliance avec un autre Avimelekh (Gn. 20). Cela signifie qu’Itshaq, arrivé à sa maturité, parvient à s’identifier aux choix de son père en revivant une partie de sa vie.
Ce type d’expérience, vécu par de nombreux adultes, est une phase importante de la formation d’un individu, un aspect qui finit par jeter un éclairage différent sur leurs parents et sur le passé en général.
Un équilibre à trouver
Il serait difficile et risqué d’entreprendre de nouveaux chemins avant d’avoir traversé cette phase d’identification qui nous fait sentir la continuité avec ceux qui nous ont précédés, malgré les différences inévitables.
Ce principe est valable pour la dimension individuelle mais aussi pour celle collective, juive et humaine, où il est parfois plus approprié de creuser à nouveau les mêmes puits, de retrouver les mêmes noms, de stabiliser et approfondir les acquis.
Ce n’est qu’après cela que nous pourrons enfin nous lancer vers des projets nouveaux et révolutionnaires.
2021
La haftarah de Toledot
Par Georges-Elia Sarfati
Versets de la haftarah : Malachie 1,1-2,7
Les Sages ont extrait quelques-uns des premiers versets du Livre de Malachie (Mal. 1,1-2,7) pour nous faire réfléchir à certaines perspectives contenues dans la Sidra Toledot. Malachie fait partie, avec Hagaï et Zacharie, des derniers prophètes, dont les oracles ont accompagné les Judéens de retour de Babylone (après -538). Malachie s’inscrit dans la tradition prophétique antérieure, par ses imprécations lancées contre les manquements réitérés à l’instruction (Torah) de Moïse ; il s’insurge ici contre les usages impropres, déjà en vigueur, dans un Temple récemment reconstruit (-520/-515).
Ce passage fait directement écho au récit princeps de la Sidra Toledot, en ce qu’il évoque la relation entre Jacob et Esaü, comme un double paradigme : d’une part de l’attitude métaphysique du Créateur, d’autre part de l’antagonisme des deux frères.
Esaü/Edom versus Jacob/Israël
« (Mal. 1, 1-5)- Enoncé de la parole de l’Eternel adressé à Israël par l’organe de Malachie : « Je vous ai pris en affection, dit l’Eternel ! Vous répliquez : « En quoi nous as-tu témoigné ton amour ? »– Esaü n’est-il pas le frère de Jacob ? dit l’Eternel ; or, j’ai aimé Jacob, mais Esaü, je l’ai haï, si bien que j’ai livré ses montagnes à la dévastation et son héritage aux chacals du désert. Qu’Edom dise : « Nous avons été écrasés, mais nous allons relever nos ruines ! » – ainsi répond l’Eternel des Armées : « Qu’ils bâtissent, moi je démolirai, et on les appellera le Domaine de la Perversité, le Peuple à jamais réprouvé de Dieu. Vos yeux en seront témoins, et vous-mêmes direz : « L’Eternel s’est montré grand par-delà les frontières d’Israël ! »
Cet oracle demande un bref éclaircissement contextuel, si l’on veut en percer au jour la signification, en prenant également en considération ses possibles relectures. Au moment de la mise à sac de la Judée par les armées de Nabuchodonosor, le royaume d’Edom, situé au sud-est de Juda, prend part au pillage. Au moment du retour des Exilés, soixante dix ans plus tard, l’inimitié d’Edom n’a pas varié.
Ce passage met déjà en lien associatif la figure d’Esaü avec la conduite historique d’Edom. La proximité géographique d’Edom et de Juda, aussi bien que leur animosité mutuelle, aura immanquablement inspiré ce rapprochement. Au point qu’au fil du temps, Edom et Esaü apparaîtront eux-mêmes comme les supports nominaux de nouvelles analogies. Edom devient une catégorie de l’adversité : Rome et l’Empire romain, puis la chrétienté, et plus généralement l’Occident, ou la partie de l’Occident la plus constamment opposée au peuple juif.
Dès lors, il devient facile de lire – avec le sentiment d’un trait de reconnaissance – ce que cet oracle de Malachie doit en effet à la vision de l’appelé (nabi). La Sidra Toledot nous renseigne d’emblée sur la gémellité adverse des deux fils d’Isaac/Rebecca, qui incarnent respectivement « deux nations », en précisant que « le plus âgé obéira au plus jeune » (Ber. 6, 23-24). De plus, le Texte donne en peu de mots les caractéristiques respectives des deux frères : Esaü est « un habile chasseur, un homme des champs », tandis que Jacob est « un homme inoffensif », qui « vit sous la tente » (Ber. 6, 27). Il peut enfin être utile de rappeler que la préférence de leurs parents différait : Isaac inclinant pour Esaü, et Rebecca pour Jacob (Ber. 6,28).
Le dessein universel de Jacob/Israel
La mémoire de plusieurs siècles d’histoire nous rappelle que Jacob fut l’hôte contraint d’Edom : sous les anciens régimes – à l’ère des monarchies de droit divin, d’est en ouest de l’Europe, Jacob fut dégradé, doctrinalement diffamé, affublé en repoussoir, par les principaux pôles d’une chrétienté politique triomphante. A l’ère des révolutions séculières, Jacob fut individuellement émancipé, reconnu comme un être humain d’égal dignité, par Edom, redevenu Esaü. Mais c’est aussi dans le nouvel espace politique sécularisé d’Esaü, que Jacob fut encore montré du doigt comme un faux-frère, de nouveau exposé à la dégradation, et finalement à l’annihilation. Conscient qu’il lui fallait affirmer son droit à la vie, et son droit à la souveraineté, Jacob a quitté « la tente », imitant Esaü, pour se défendre contre son frère ennemi. La haine d’Esaü pour Jacob a revêtu plusieurs formes doctrinales : l’antijudaïsme théologique, l’antijudaïsme politique (‘’antisémitisme’’), l’antijudaïsme national (‘’antisionisme’’). Il n’est toutefois pas certain qu’Esaü ait tiré la moindre leçon morale de cette histoire, dont il n’est pas sorti grandi. Ne s’est-il pas commis, une fois encore, dans les nouvelles formes de la détestation de Jacob, de manière frontale ou indirecte ? De cela les yeux de Jacob « sont témoins ». Les manifestations de destructivité ne représentent peut-être pas le danger suprême pour Jacob. Ce dernier, devenu Israël, court aujourd’hui le risque de s’exténuer, par souci de normalisation, en parlant ‘’par la voix’’ (Ber. 27,22) d’Esaü. Mais cette fraternité contraire, le plus souvent ambivalente, porte un autre témoignage : la permanence persistante de Jacob constitue une leçon pratique de musar /d’éthique juive pour toutes celles et ceux qui douteraient de sa primogéniture. Si Jacob/Israël soutient ce défi c’est parce que sa raison pluri-millénaire – même insondable – plonge ses racines dans un dessein universel.
Motifs de méditation personnelle
Si je suis d’Israël, je me demande quelle est ma différence spécifique positive vis-à-vis d’Esaü, et ce que je dois lui enseigner dans la coexistence fraternelle.
Si je suis d’Edom, je me demande quelle relation il m’incombe d’entretenir avec Israël, à partir d’un bilan personnel de l’histoire de nos relations passées.
2021
Delphine Horvilleur : la saga des Patriarches
C’est par l’histoire singulière des patriarches (Abraham, Isaac, Jacob) et des matriarches (Sarah, Rebecca, Rachel, Lea) que commence l’histoire collective du peuple juif. Dans cette brève introduction au sujet, Delphine Horvilleur rappelle les principes essentiels à avoir en tête quand on aborde l’étude de ces passages de la Bible, et leur influence sur la culture juive à travers l’histoire, et jusqu’à nos jours. Un cours pour débutants, mais aussi pour ceux qui auraient besoin de se rafraichir un peu la mémoire quant aux fondamentaux des patriarches et des matriarches.
Davantage de détails sur Akadem.
Photo : Giorgio Parravicini – Unsplash