La haftarah de Mikets
Par Georges-Elia Sarfati
Semaine de Hanukah
(Zacharie 2,14 – 4, 7)
Les Sages ont choisi pour appréhender la célébration de Hanukah un passage des prophéties de Zacharie, qui fut actif au VIe siècle avant notre ère (-520), au moment du règne de Darius 1er. Le texte sélectionné évoque la place de la fonction royale et de la fonction sacerdotale. De façon immédiate, le discours de Zacharie célèbre le mouvement de retour des Judéens dans le contexte de la reconstruction du Temple de Jérusalem. La tonalité et l’inspiration universalistes dont témoigne le texte tient au fait que Zacharie souligne que le retour des Judéens va de pair avec celui de la Présence divine parmi eux. Cette célébration joyeuse du thème de l’élection d’Israël semble prolonger nombre d’oracles d’Isaïe, puisqu’il y est aussi question de l’attrait que l’Unique exercera aussi sur les nations du monde : « (2, V.14-16) Exulte et réjouis-toi, fille de Sion ! Car voici, j’arrive pour résider au milieu de toi, dit l’Eternel. Nombre de nations se rallieront à l’Eternel, ce jour-là, et elles deviendront mon peuple ; je résiderai au milieu de toi, et tu reconnaîtras que c’est l’Eternel des Armées qui m’a envoyé vers toi. L’Eternel rentrera en possession de Juda, son domaine sur la Terre Sainte, et fera de nouveau choix de Jérusalem. »
Royauté, prêtrise et prophétie : les institutions juives au retour d’exil
Cette prophétie de Zacharie met en scène autant qu’en jeu deux figures importantes du judaïsme de l’époque du retour de l’exil de Babylone : Zorobabel et Josué. Pour comprendre la portée, mais aussi la signification inédite de cette prophétie, il importe de rappeler qui sont ces deux personnages. Le prince Zorobabel est issu de la lignée royale de la Maison de David, tandis que Josué est le grand prêtre en fonction, issue de la lignée d’Aaron. La prophétie de Zacharie leur assigne ici leur rôle à partir de l’avenir renouvelé qui s’ouvre. Dans la conception hébraïque, la royauté et la prêtrise forment, avec la prophétie, les trois grandes institutions qui confèrent sa singularité à la vie collective.
Le sceptre de la royauté a échu à la tribu de Juda, à laquelle appartiennent les rois de lignée davidique, selon les termes de la bénédiction de Jacob (Gn 49, 10), et c’est au roi qu’il incombe notamment de défendre l’unité et la souveraineté nationale. Mais ici, le prophète accorde au grand prêtre Josué une importance politique inédite dans l’histoire d’Israël, en le considérant aussi comme un chef, qui aurait en chargé l’intégrité et la sauvegarde, non seulement spirituelle, mais encore physique du peuple qu’il représente devant le Créateur : « (3, 1-7)- Puis, il me fit voir le grand prêtre Josué debout devant l’ange de l’Eternel ; le Satan se tenait à sa droite pour l’accuser. L’Eternel dit au Satan : « L’Eternel te réprouve, ô Satan ! Oui, il te réprouve, l’Eternel qui a élu Jérusalem. Celui-ci n’est-il pas un tison sauvé du feu ? » Or, Josué était couvert de vêtements souillés, tandis qu’il se tenait devant l’ange. Celui-ci s’écria en s’adressant à ceux qui étaient placés devant lui : « Enlevez-lui ses vêtements souillés ! Puis il lui dit : « Vois, je te débarrasse de tes péchés, en te faisant vêtir d’habits de prix. » Et ils lui mirent une tiare propre sur la tête et ils lui passèrent les vêtements, tandis que l’ange de l’Eternel était présent. Et l’ange de l’Eternel fit cette déclaration à Josué : « Ainsi parle l’Eternel des Armées : Si tu marches dans mes voies, si tu suis mon observance, et que tu gouvernes bien ma maison et gardes avec soin mes parvis, je te donnerai accès parmi ceux qui sont là debout. »
Néanmoins, cette situation ne constitue pas le premier précédent de la sorte. Dans le narratif du Sefer Berechit, c’est notamment Lévi – appuyé par son frère Siméon – qui prend l’initiative de la guerre contre le clan dont l’un des hommes a violé leur sœur Dinah. (Gn 34, 25). Dans un autre épisode, c’est également le zèle de Pinhas – un autre Levi – qui permit de sauvegarder l’honneur de la Torah (Nb 25, 7-8). Corrélativement, la possibilité que la responsabilité de la guerre soit assumée par la tribu de Lévi s’avère entièrement confirmée par la bénédiction de Moïse (Dt 33, 11). Voilà donc une situation historique, envisagée par l’oracle de Zacharie, dans laquelle la fonction régalienne du recours à la guerre, ne sera pas assurée par le roi, mais par les représentants de la prêtrise : « (3, 8-10) – Ecoute donc bien, ô Josué, grand prêtre, toi et tes compagnons qui siègent avec toi – tous personnages de marque –, oui certes je vais faire apparaître mon serviteur, le Rejeton ! Pour ce qui est de la pierre que j’ai posée devant Josué, – sur une seule pierre il y a sept yeux – j’en graverai l’inscription, dit l’Eternel des Armées, et j’effacerai l’iniquité de ce pays en un jour. En ce jour, dit l’Eternel des Armées, vous vous convierez l’un l’autre sous la vigne et le figuier. »
Se convier « sous la vigne et le figuier » est assurément une image de fertilité mais aussi de plénitude. Quant à « la pierre » sertie de « sept yeux », elle préfigure les principales étapes de la reconquête étincelante de la liberté spirituelle d’Israël, au moment où elle fut menacée, à l’époque d’Antiochus Epiphane, ironiquement rebaptisé « épimane » (le fou) par la tradition rabbinique. A cette même époque, alors que la Judée était soumise aux Séleucides, responsables du pillage et de la profanation du Temple de Jérusalem, c’est à la famille sacerdotale de Matthatyahu qu’incomba la responsabilité du soulèvement militaire contre les Grecs.
Le primat de la prêtrise : une espérance prophétique
Cet oracle – contre-intuitif à souhait – annonce des temps historiques dont l’Antiquité judéenne nous a donné l’exemple. Il projette un temps où le grand prêtre est investi comme l’égal du roi, « à ses côtés ». Ce temps, alors encore lointain (l’épisode des Maccabim se situe plus de trois siècles après la prophétie de Zacharie), voit s’affirmer dans une guerre le primat de la volonté sacerdotale. L’élucidation du moment de ce discours prophétique permet de comprendre ce qui devait alors se jouer : « (4, 6)- Il reprit et me parla en ces termes : « Ceci est la parole de l’Eternel à Zéroubabel : Ni par la puissance, ni par la force, mais bien par mon esprit ! dit l’Eternel des Armées. »
Il semble que notre époque connaisse de nouveau les perspectives dessinées par ces oracles : Israël réunifié sur sa Terre, après un exil de deux millénaires, doit toujours veiller à l’intégrité de son pouvoir régalien. Dans le même temps, la réalité des combats spirituels qui s’y mènent montre que l’esprit de Hanukah n’a rien perdu de sa récurrente nécessité : « (4, 2-3) « Je vois un chandelier tout en or – son récipient sur son sommet, ses sept lampes alignées – et sept conduits pour les lampes qui en couronnent le sommet. Puis, deux oliviers à ses côtés, l’un à droite du récipient, l’autre à gauche. »